Une légende (tenace) prétend que lorsque les mahométans assiégeaient Constantinople, les Constantinopolitains se déchiraient entre eux lors de débats passionnés sur la question du sexe des anges.
Si l’anecdote est fausse, la leçon n’en est pas moins vraie : alors que la situation des sociétés, des familles et des coeurs est tout à fait comparable à celle de forteresses fragiles assiégées – bella premunt hostilia ! – , sur les forums ou sur certains réseaux sociaux, on trouve des fidèles traditionalistes qui passent un temps considérable à débattre du sexe des anges ou, plus exactement, qui se « prennent le chou » pour savoir si le Pape a la foi, ou si Monseigneur Bidule a eu raison d’employer tel mot plutôt que tel autre, ou si la Fraternité Saint-Frusquin n’est pas en train de dévier, ou si l’abbé Trucmuche a bien trente-trois boutons à sa soutane (je n’invente pas) …etc.
Mais, ce faisant, un grand nombre de ces « bonnes âmes » négligent bien souvent de se consacrer pleinement à leur devoir d’état, perdent du temps qu’elles eussent pu consacrer à la prière, oublient de faire des sacrifices, ne se préoccupent pas de correspondre aux grâces que Dieu leur communique à elles personnellement hic et nunc, ne recherchent pas à approfondir les exigences de la Divine Volonté sur eux.
Sans compter que ces discutailleries vont souvent de pair avec des péchés de manque de charité, de manque de foi, de manque d’espérance, de manque de prudence, de manque de tempérance, de manque de justice et de force, sans parler des médisances et des calomnies…
Mais – saperlipopette ! – , Dieu ne me demandera pas compte, à moi, de la foi du Pape, des propos de Monseigneur Bidule, des orientations de la Fraternité Saint-Frusquin, ou du nombre de boutons sur la soutane de l’abbé Trucmuche !
En revanche, au jour où je comparaîtrai devant Lui, Il me demandera compte de la manière dont j’aurais approfondi ma foi, fait grandir mon espérance, pratiqué la charité, exercé toutes les vertus, et veillé sur mes paroles…
La ville est assiégées par l’ennemi : bella premunt hostilia !
Cette ville assiégée, c’est d’abord mon âme, entourée par les pièges et les tentations du démon : c’est d’elle qu’il me sera demandé compte, pas de celle du Pape ni de celle de Monseigneur Bidule qui auront à en rendre compte personnellement, pour eux-mêmes et pour celles de tous ceux dont leur fonction les a rendus responsables.
Moi, je n’aimerais pas du tout être à leur place ce jour-là, donc je ne me mets pas à leur place aujourd’hui.
Je ne m’en désintéresse pas, mais je ne m’attribue pas des compétences qui ne sont pas de mon ressort ni de mon devoir d’état.
En revanche, ce que Dieu me demande, c’est de prier et de faire des sacrifices : il n’y a pas de vie chrétienne authentique sans la pratique de la pénitence volontaire, sans l’offrande de vrais sacrifices – sacrifices d’expiation pour mes fautes et pour les péchés du monde d’aujourd’hui, sacrifices d’impétration pour la Sainte Eglise et pour ceux qui la dirigent…
De cela, Dieu me demandera compte. A moi, pas au Pape, ni à Monseigneur Bidule, ni à l’abbé Trucmuche.
Bella premunt hostilia !
Dans le combat actuel, je me dois d’être à ma place, pas à une autre. Dans la cité assiégée, je me dois d’être au point précis du rempart dont la défense m’a été confiée, pas ailleurs.
Lully.