“Un meurtre sera commis le…”
Les fans d’Agatha Christie auront reconnu le titre d’un de ses très bons polars : tout commence avec l’annonce par la presse, façon faire-part de mariage, d’un meurtre, « le vendredi 29 octobre à six heures trente de l’après-midi à Little Paddocks ». Angleterre des années 50, Miss Marple et tasses de thé : le décor est planté avec ses cadavres exquis et ses conversations tout en finesse et perspicacité qui aboutiront au dénouement spectaculaire où tout est dévoilé dans les dernières pages du roman. On se régale et le sens de la justice est satisfait : on part à la recherche du méchant, on le découvre, il est puni.
France, 2013. Les temps ont bien changé. La chronique d’une mort annoncée peut envahir les quotidiens nationaux, les journaux professionnels des médecins multiplier les articles, et il n’y a aucun suspense quant à l’identité de l’exécuteur.
Vincent Lambert, 37 ans, doit mourir. Tétraplégique et en état de conscience minimale, il ne demande que ça, a décidé son médecin, Eric Kariger. Après une première tentative qui a échoué, celui-ci vient de convoquer, par une lettre sèche et sans objet, les parents du jeune homme et ses frère et sœur opposés au « protocole de fin de vie » déjà engagé une première fois au mois d’avril, à un « conseil de famille » le 27 septembre. Sans même prendre la peine de les consulter pour se mettre d’accord sur une date.
Les parents de Vincent Lambert savent évidemment de quoi il retourne : le 27 septembre, on leur dira que leur fils doit mourir, qu’ils le veuillent ou non. Le Dr Kariger l’avait annoncé rageusement au mois de mai lorsqu’il avait été contraint par la justice de réalimenter Vincent Lambert : il entend relancer la « procédure collégiale » mise en place par la loi Leonetti sur la « fin de vie » pour prendre une décision de mise à mort par suppression de l’alimentation. Dans les clous, cette fois : sans omettre de « consulter » les proches de son patient comme il l’avait fait dans un premier temps, ce qui lui avait valu d’être désavoué par le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, le 11 mai, qui à la demande de M. et Mme Lambert et d’une sœur et d’un frère de Vincent avait constaté une « atteinte grave et manifestement illégale » à « une liberté fondamentale » : le droit de vivre de Vincent Lambert et le droit de ses proches qui ne souhaitent pas le voir tué.
Mais même si le médecin n’avait pas caché son intention de recommencer, les parents Lambert l’auraient appris ces derniers jours par voie de presse. Partout on parle de cette réunion de famille, de la volonté de remettre en route l’« euthanasie passive ». « Compte tenu de l’état de Vincent, une réunion a été programmée pour la fin du mois avec toutes les parties concernées pour expliquer notre position avant d’engager un protocole de fin de vie », a déclaré Kariger, alors que de nombreux éléments du dossier médical de Vincent Lambert sont donnés au public.
On ne saurait être plus clair. D’autant que l’avocat de l’épouse du jeune homme abonde dans son sens en expliquant qu’au sens de la loi Leonetti, la décision finale appartient au médecin et à lui seul : il ne lui appartient que de prendre l’avis de confrères, d’écouter celui de la famille, après quoi il agit seul et sans appel.
Et donc le Dr Kariger se répand dans la presse. Dans Le Monde du 16 septembre, il explique : « Il fallait laisser passer l’été pour que chacun puisse se reconstruire. J’ai convoqué un conseil de famille pour la fin du mois, où tous les membres de la famille de Vincent Lambert seront représentés : sa femme, ses parents, ses frères, sœurs, demi-frères et demi-sœurs… Cette commission familiale, qui ne m’est pas imposée juridiquement, vise d’abord à valider une méthode et un calendrier. »
Méthode ? Calendrier ? Combien d’eau administrer au jeune homme qui sera privé d’alimentation ? Quels sédatifs ? Quand commencera le processus ? Quand peut-on raisonnablement penser qu’il aboutira par la mort de Vincent Lambert ? La manière de répondre indique clairement qu’il ne s’agit pas de savoir si une euthanasie, « passive » comme ose le dire la presse, sera pratiquée sur Vincent Lambert en raison de sa « qualité de vie » jugée insuffisante par le corps médical, mais quand.
« La seule chose qui doit nous animer » ose-t-il poursuivre, « c’est l’intérêt de Vincent Lambert. Je suis là pour défendre l’intérêt d’un malade, pas des convictions. »
C’est ainsi qu’on évacue les lois non écrites et la morale, l’éthique et la déontologie médicale, le serment d’Hippocrate et la raison d’être du médecin qui est dans tous les cas de conserver, de protéger la vie et de soulager la souffrance – et non de donner la mort.
Qu’on ne nous parle pas de « laisser mourir ». Vincent Lambert n’est pas en fin de vie. Il n’est pas malade. Il est handicapé, profondément handicapé – mais il n’est plus en état végétatif comme il le fut un temps après l’accident de la route dont il a été victime il y a cinq ans : il est dans un état « pauci-relationnel », de conscience minimale, ce qui veut dire qu’il a conscience (combien ?) de son entourage, qu’il réagit (comment ?) à la présence de ceux qu’il aime et qu’il éprouve des sentiments. On ne sait quel est son degré de conscience. Mais on sait qu’il existe.
Et quand bien même ! Quand bien même les relations seraient totalement coupées avec son entourage, c’est un homme qui vit. Et sa vie doit être respectée. Ce n’est pas une question de « convictions » dans la mesure où celles-ci peuvent être celles d’une conscience mal formée… mais de bien et de mal, de respect de l’interdit fondamental : « Tu ne tueras pas l’innocent. »
Cesser d’alimenter une personne est d’une rare violence. Les journalistes de la presse « convenable » semblent ne même plus s’en apercevoir – c’est dire l’extrémisme insidieux de ces gros médias qui ne s’étonnent même pas de voir un homme s’arroger un droit de vie et de mort sur son semblable.
Vincent Lambert est aujourd’hui dans un service où il n’a rien à faire – ni vieux, ni en fin de vie, il devrait être accueilli par un service spécialisé pour les grands handicapés, et d’ailleurs un professeur en neurologie, spécialiste d’éthique, lui offre une place dans un hôpital de l’Est de la France. Kariger ne veut pas. Vincent Lambert devrait recevoir des soins adaptés à son état : on lui a supprimé la kinésithérapie.
Ses parents vont engager plusieurs procédures pour sauvegarder sa vie.
Mais c’est toute une mobilisation qu’il faudrait. Présent s’y engage, à fond.
- Cet article a paru dans Présent du 18 septembre. Vous pouvez soutenir le seul quotidien qui ne transige jamais avec la culture de mort en profitant d’un abonnement parrainé (réservé aux nouveaux lecteurs ou au « revenants ») de six mois : 84 € (minimum) au lieu de 168. Abonnement possible par téléphone au 01 42 97 51 30.
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Madame,
Je viens de faire un message à la clinique du docteur Kariger “maison des familles”, il est encore visible maintenant, je vous enverrai copie s’il est effacé.
Cordialement,
H. LENGLET.