Ce sera mon cadeau d’anniversaire au pape émérite, Benoît XVI. Il s’agit d’une conférence prononcée par celui qui était encore le cardinal Joseph Ratzinger, en 2001. Il était l’invité du « séminaire Ambrosetti » qui se tient tous les ans à huis-clos au bord du lac de Côme à Cernobbio pour promouvoir les valeurs européennes et faire réfléchir aux défis de notre temps : globalisation et avancées techniques. Les invités ? Des hommes d’Etat, des prix Nobel, des industriels, des hommes d’affaires.
C’est en recherchant des informations pour un article que je préparais pour Présent daté du 11 septembre 2012, et qui m’avait fait découvrir l’existence de ce groupe discret, que j’ai noté en compulsant les listes des invités que le cardinal Ratzinger s’y était exprimé onze ans plus tôt en tant qu’invité spécial. Evidemment, je me mis à la recherche de ce qu’il avait bien pu y dire. Pas facile. Il ne semble pas que sa conférence ait été traduite ou recueillie dans un quelconque ouvrage.
Pour finir, je tombai sur ceci, sur un site italien « ratzinguérophile » qui a publié de nombreux textes du préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi. A ma connaissance, c’est un texte qui n’a pas paru ailleurs ni dans une autre langue, et pour autant que je puisse en juger, il s’agit d’une transcription d’une conférence enregistrée plutôt que d’une conférence écrite… La publication date d’octobre 2004.
En tout état de cause, c’est un texte qui précède d’autres réflexions du cardinal Ratzinger sur l’Europe – notamment celui où il définit le concept d’Europe, qui jadis englobait le pourtour méditerranéen, par la résistance de ce territoire historique, aux frontières changeantes, face à l’avancée de l’islam.
C’est également un texte qui me paraît comporter une part d’argumentation ad hominem, prononcé dans le contexte d’un auditoire européiste et cherchant à sauver l’idée de l’identité chrétienne dans un cadre qui l’oublie volontiers, cherchant aussi – à la manière du pari de Pascal – à inviter même les non-croyants à miser sur Dieu et sur sa loi.
Il m’a en tout état de cause paru assez intéressant pour être traduit, ce que j’ai fait, non sans maladresses, et publié : le 87e anniversaire de Benoît XVI me sembler fournir une bonne occasion. En voici donc la première partie, le reste suivra dans les jours qui viennent.
Le cardinal, l’Europe unie et le Nouvel ordre mondial
Qu’est-ce que l’Europe ? Que peut-elle et que doit-elle être dans le cadre complexe de la situation historique où nous nous trouvons au commencement du troisième millénaire chrétien ? Depuis la Seconde Guerre mondiale la recherche d’une identité commune et d’un objectif commun pour l’Europe est entrée dans une nouvelle phase.
Après les deux guerres-suicides qui, au cours de la première moitié du XXe siècle, ont dévasté l’Europe et engagé le monde entier, il était devenu clair que tous les Etats européens étaient les perdants de ce terrible drame, et qu’il fallait faire quelque chose pour éviter qu’il ne se reproduise. L’Europe avait toujours été par le passé un continent de contrastes, bouleversé par de multiples conflits. Le XIXe siècle avait apporté avec lui la formation des Etats-nations dont les intérêts contraires avaient donné une nouvelle dimension à l’opposition destructrice. L’œuvre de l’unification européenne était fondée essentiellement sur deux motivations.
Face aux nationalismes qui divisent et face aux idéologies hégémoniques, qui avaient radicalisé l’opposition au cours de la Seconde Guerre mondiale, l’héritage culturel, moral et religieux commun de l’Europe devait façonner la conscience de ses nations et révéler comme l’identité commune de tous ses peuples la voie de la paix, une voie commune vers le futur. On cherchait une identité européenne, qui ne devait ni dissoudre ni contredire les identités nationales, mais les unir au contraire à un niveau d’unité plus élevé dans une communauté unique des peuples.
L’histoire commune devait être mise en valeur en tant que force créatrice de paix. Il ne fait aucun doute que pour les pères fondateurs de l’unification européenne l’héritage chrétien était considéré comme le noyau de cette identité historique, naturellement pas dans ses formes confessionnelles ; ce qui est commun à tous les chrétiens paraissait toutefois reconnaissable au-delà des limites confessionnelles en tant que force unificatrice de l’« agir » dans le monde.
Cela ne semblait pas non plus incompatible avec les grands idéaux moraux des Lumières, qui avaient pour ainsi dire mis en exergue la dimension rationnelle de la réalité chrétienne et, au-delà de toutes les oppositions historiques, cela semblait tout à fait compatible avec les idéaux fondamentaux de l’histoire chrétienne en Europe. Cette intuition générale n’a jamais été totalement évidente dans les détails ; en ce sens des problèmes ont subsisté, qui exigent un approfondissement. Au départ, la certitude de l’existence d’une compatibilité entre les grandes composantes de l’héritage européen était encore plus forte que les problèmes existant à cet égard.
A cette dimension historique et morale qui était à l’origine de l’unification européenne, s’ajoutait cependant une deuxième motivation. La domination européenne sur le monde, qui s’était exprimée surtout dans le système colonial et à travers les liens économiques et politiques qui en ont découlé, s’était définitivement achevée avec la Seconde Guerre mondiale : en ce sens, c’est l’Europe en tant qu’ensemble qui avait perdu la guerre.
Les Etats-Unis d’Amérique campaient alors sur la scène de l’histoire du monde comme une puissance dominatrice, mais même le Japon, vaincu, devenait une puissance économique de niveau semblable, et pour finir l’Union soviétique représentait, avec ses Etats satellites, un empire, sur lequel les Etats du Tiers-Monde surtout cherchaient à s’appuyer en opposition à l’Amérique et à l’Europe occidentale. Dans cette situation nouvelle les Etats européens individuels ne pouvaient plus se présenter comme des interlocuteurs de même niveau. L’unification de leurs intérêts au sein d’une structure européenne commune était nécessaire, si l’Europe voulait continuer d’avoir un poids dans la politique mondiale.
Les intérêts nationaux devaient s’unir ensemble dans l’intérêt européen commun. A côté de la recherche d’une identité commune résultant de l’histoire et créatrice de paix, se juxtaposait l’auto-affirmation des intérêts communs, qui comprenait donc la volonté de devenir une puissance économique, ce qui représente le présupposé de la puissance politique.
A suivre.
• Voulez-vous être tenu au courant des informations originales paraissant sur ce blog ? Abonnez-vous gratuitement à la lettre d’informations. Vous recevrez au maximum un courriel par jour. S’abonner
Merci. J’attends la suite avec impatience!