Sermon de notre glorieux Père Saint Augustin
sur
la Passion du Sauveur et les deux larrons
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Titien : le Christ et le bon larron
§ 1. Jésus, qui ne S’est pas défendu Lui-même, S’est suscité un avocat en la personne du larron repentant. Que s’est-il donc passé dans le coeur de ce brigand pour qu’il se convertisse sur la croix?
Le Seigneur Jésus était attaché à la croix, les Juifs blasphémaient, les princes ricanaient, et bien que le sang des victimes tombées sous ses coups ne fût pas encore desséché, le larron lui rendait hommage ; d’autres secouaient la tête en disant : « Si tu es le Fils de Dieu, sauve-toi toi-même! » (Matth. XXVII, 10).
Jésus ne répondait pas, et, tout en gardant le silence, Il punissait les méchants. Pour la honte des Juifs, le Sauveur ouvre la bouche à un homme qui doit plaider Sa cause ; cet homme n’est autre qu’un larron, crucifié comme Lui ; car deux larrons avaient été crucifiés avec Lui, l’un à Sa droite, l’autre à Sa gauche. Au milieu d’eux se trouvait le Sauveur. C’était comme une balance parfaitement équilibrée, dont un plateau élevait le larron fidèle, dont l’autre abaissait le larron incrédule qui l’insultait à Sa gauche. Celui de droite s’humilie profondément : il se reconnaît coupable au tribunal de sa conscience, il devient, sur la croix, son propre juge, et sa confession fait de lui un docteur. Voici sa première parole, elle s’adresse à l’autre brigand : « Ni toi, non plus, tu ne crains pas? » (Luc, XXI, I, 3).
Hé quoi, larron! tout à l’heure tu volais, et maintenant tu reconnais Dieu ; tout à l’heure tu étais un assassin, et maintenant tu crois au Christ?
Dis-nous donc, oui, dis-nous ce que tu as fait de mal ; dis-nous ce que tu as vu faire de bien au Sauveur?
Nous, nous avons tué des vivants, et, Lui, Il a rendu la vie aux morts ; nous, nous avons dérobé le bien d’autrui, et, Lui, Il a donné tous Ses trésors à l’univers ; et Il S’est fait pauvre pour me rendre riche.
Il discute avec l’autre larron : Jusqu’ici, dit-il, nous avons marché ensemble pour commettre le crime. Offre ta croix, on t’indiquera le chemin à suivre, si tu veux vivre avec moi. Après avoir été mon collègue dans la voie du crime, accompagne-moi jusqu’au séjour de la vie ; car cette croix, c’est l’arbre de vie. David a dit en l’un de ses psaumes : « Dieu connaît les sentiers du juste, et la voie de l’impie conduit à la mort » (Ps. I, 6).
§ 2. La prière du larron manifeste qu’il a été illuminé par la foi. La réponse du Christ va bien au-delà de ce que le larron a demandé dans sa prière.
Après sa confession, il se tourne vers Jésus : « Seigneur, Lui dit-il, souvenez-Vous de moi, lorsque Vous serez arrivé en Votre Royaume! » (Ps. XXIII, 42).
Je ne savais comment dire au larron : Pour que le Christ se souvienne de toi, quel bien as-tu fait? A quelles bonnes oeuvres as-tu employé ton temps? Tu n’as fait que du mal aux autres, tu as versé le sang de ton prochain, et tu oses dire « Souvenez-vous de moi! »
Larron, tu es devenu le compagnon de ton Maître, réponds donc : J’ai reconnu mon Maître, au milieu des ignominies de mon supplice ; aussi ai-je le droit d’attendre de Lui une récompense. Qu’Il soit cloué à une croix, peu m’importe! je n’en crois pas moins que Sa demeure, que le trône de Sa justice est dans le Ciel.
« Seigneur, dit-il, souvenez-Vous de moi, lorsque Vous serez arrivé en Votre Royaume!»
Le Christ n’avait ouvert la bouche ni en présence de Pilate, ni devant les princes des prêtres : de Ses lèvres si pures n’était tombé aucun mot de réponse à l’adresse de Ses ennemis, parce que leurs questions n’étaient pas dictées par la droiture.
Et voilà qu’Il parle au larron sans Se faire attendre, parce que celui-ci Le prie avec simplicité : « En vérité, en vérité, Je te le dis : aujourd’hui même tu seras avec Moi dans le paradis » (Luc, XXIII, 13).
Hé quoi, larron? tu as demandé une faveur pour l’avenir, et tu l’as obtenue pour le jour même! Tu dis : « Lorsque Vous arriverez en Votre Royaume », et, pas plus tard qu’aujourd’hui, Il te donne une place au paradis!
§ 3. De quelle manière le larron a reçu la grâce du saint baptême.
Mais comment expliquer ceci? Le Christ promet la vie au larron, et le larron n’a pas encore reçu la grâce? Le Seigneur dit en son saint Evangile : « Quiconque ne renaît pas de l’eau et de l’Esprit-Saint ne peut entrer dans le Royaume des cieux » (Jean, III, 5). Et le temps ne permet pas de baptiser le larron.
Dans sa miséricorde, le Rédempteur imagine à cela un remède.
Un soldat s’approche ; d’un coup de lance, il ouvre le côté du Christ, et de cette plaie « s’échappent du sang et de l’eau » (Jean XIX, 31) qui rejaillissent sur les membres du larron.
L’apôtre Paul a dit ceci : « Vous vous êtes approchés de la montagne de Sion et de l’aspersion de ce Sang qui parle plus haut que celui d’Abel » (Hébr. XII, 22-24). Pourquoi le Sang du Christ parle-t-il plus haut que celui d’Abel? Parce que le sang d’Abel accuse un parricide, tandis que celui du Christ innocente l’homicide et accorde, pour les siècles des siècles, le pardon à ceux qui se repentent. Ainsi soit-il!