Benoît XVI s’en va. Il ne « démissionne » pas, il renonce à une charge qu’il ne se sent plus capable d’assumer pour le bien de cette Eglise dont il aura été le fidèle intendant pendant près de huit ans. Devenir pape, il ne l’avait pas désiré : ce fut, nous l’avions bien compris en ce beau jour du 19 avril 2005 où il nous fut donné comme pasteur, une crucifixion. Pour autant, on ne peut pas dire qu’il dépose sa croix. Ses brèves paroles, dites en latin – tout un symbole – évoquent discrètement les souffrances qui l’attendent. Benoît XVI regarde cette nouvelle croix qui se dessine déjà depuis quelques mois sur son visage plus fatigué, plus marqué que naguère, et y voit la manière d’accomplir sa nouvelle mission.
Dans l’humilité de la retraite. Dans la discrétion d’un couvent, à quelques pas seulement du palais où il aura régné.
Ne croyons pas qu’il s’agisse là d’une solution de facilité. La dimension humaine de l’œuvre de Benoît XVI est là, il la connaît, il verra ce qu’il en adviendra ; il aura, peut-être, le souci de la voir en partie détruite, ou au contraire, il verra le successeur vigoureux qu’il appelle de ses vœux achever mieux que lui ce qu’il laissera inachevé ; il sait qu’il assistera, apparemment impuissant, aux tribulations nées de ces « questions de grande importance pour la vie de la foi » qui agitent ce monde.
Impuissant ? Non. Il a pris sa décision en conscience. Sa décision était mûrement réfléchie : la possibilité s’en dessinait nettement depuis qu’il avait, le 28 avril 2009, déposé son pallium sur les restes d’un pape – le saint pape Célestin V lui aussi avait renoncé à sa charge. Benoît XVI qui redeviendra, simplement, cardinal, consacrera les années qui lui restent à la prière. L’intercession auprès de Celui qui est le véritable Chef de l’Eglise.
Il se trouve que Benoît XVI s’en était expliqué, samedi, en méditant quasiment sans notes la première lettre de saint Pierre avec les séminaristes de Rome. Le site benoit-et-moi propose la traduction intégrale de ses propos retranscrits, et qui sonnent comme un testament spirituel laissé à cette génération de jeunes prêtres si zélée, si soucieuse de suivre le Christ et de le communiquer aux hommes. Benoît XVI leur a montré comment Pierre s’efface devant le Christ tout en acceptant de mourir pour Lui ; comment il ne parle pas « comme un génie du XIXe siècle qui veut simplement exprimer des idées personnelles et originales que personne n’avaient dites avant, non (…), il parle dans la communion de l’Eglise ». Il inscrit tous ses actes dans la mission qui lui a été confiée. Tous.
Et d’expliquer que nous sommes héritiers non pour posséder la terre, mais pour « hériter du futur », ce futur qui est « vraiment à Dieu, c’est la grande certitude de notre vie, le grand et véritable optimisme que nous connaissons. L’Eglise est l’arbre de Dieu qui vit éternellement et porte en elle l’éternité et le véritable héritage de la vie éternelle ».
La renonciation de Benoît XVI peut apparaître comme un abandon. Et tous ceux qui ont expérimenté à travers lui la réalité de la paternité, la paternité spirituelle – et combien de convertis n’aura-t-il pas faits par son enseignement doux et ferme, sa sagesse des choses de Dieu et l’appel à la fécondité mutuelle de la raison et de la foi ? – vivent son annonce comme une perte. C’est un père qui s’en va. Mais l’abandon est ici d’une autre nature. C’est le Nunc dimittis de celui qui est arrivé en bout de course, qui veut arriver devant Dieu les mains vides ; le saint abandon de celui qui ne peut plus gouverner ce qui est devenu sous certains rapports ingouvernable, et qui remet humblement le bâton du commandement entre les mains de son maître. In manus tuas, Domine.
Parce que l’avenir est à Dieu.
En attendant, on peut se poser beaucoup de questions. Pourquoi ? Pourquoi maintenant ? Et maintenant, quoi ?
Nul mieux que Benoît XVI ne sait, après tout, qu’un pontificat diminué, souffrant, presque silencieux, peut être grand et porteur de grâces : ce fut lui, le quasi-régent de Jean-Paul II. Il ne renie rien de tout cela, sans doute : pense-t-il ou sait-il qu’en l’état actuel, il n’y a personne qui puisse évidemment et sans être contesté assumer la tâche qu’il avait assumée auprès de son prédécesseur ?
On parle beaucoup des tâches que Benoît XVI laisse inachevées : mais dans l’état de l’Eglise, était-il possible qu’il en fût autrement ? Nous avons vu la fureur des loups qui l’assaillaient dans ses œuvres de restauration ; nous voyons les loups médiatiques ouvrir leurs journaux en rappelant le « scandale des prêtres pédophiles », nous les voyons annoncer un pape plus moderne, une Eglise plus en phase avec son temps, une tendance plus jeune à la fois du point de vue des exigences morales et de la (contre-)culture contemporaine.
Benoît XVI, devant les séminaristes de Rome, samedi, rappelait que, chrétiens, nous sommes « dispersés et étrangers », nous ne sommes pas de ce monde même si « nous sommes aussi des nations chrétiennes ».
Bien sûr, la brûlante question de la Fraternité Saint-Pie X n’a pas trouvé son règlement, et l’on sait que Benoît XVI y attache une attention particulière. Qu’en sera-t-il de son successeur ? Quel sera le devenir de ce motu proprio Summorum pontificum qui a redonné droit de cité à la liturgie traditionnelle dans l’Eglise, et qui la fait progresser lentement mais sûrement ?
Pourquoi le Saint-Père a-t-il choisi le consistoire pour la canonisation des martyrs d’Otrante, tués par les Turcs du sultan Mehmet II pour n’avoir pas renoncé à leur foi ? Ou bien Benoît XVI pensait-il à la Journée mondiale des malades que l’on fêtait sous le patronage de Notre-Dame de Lourdes ? Ou encore : espère-t-il, ne serait-ce qu’un peu, jouer un rôle discret pour promouvoir celui qu’il aimerait avoir pour successeur ?
Les vaticanistes cogitent mais la réponse n’est pas entre leurs mains.
Ce qu’il nous appartient aujourd’hui, c’est de dire notre gratitude. Notre immense merci à ce père, ce Saint-Père qui nous a beaucoup donné à l’heure où le « faux optimisme comme après le Concile », comme il l’a dit samedi, est clairement dénoncé. Nous le remercions de pouvoir dire, avec lui, « Non, tout ne va pas bien ». Nous le remercions pour ce qu’il a fait pour que les choses aillent mieux. Il a inlassablement voulu tout recentrer sur le Christ. Même par son renoncement.
Il nous faut maintenant prier pour son successeur.
Cet article a paru dans Présent daté du 13 février 2013.
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Merci Jeanne.