Avec la fête de la Purification de Notre-Dame, le 2 février, nous avons achevé le cycle des quarante jours du temps de la Crèche et du mystère de Noël. Laissez-moi, pour marquer cette conclusion, vous raconter aujourd’hui une très belle légende que ne désapprouverons pas tous ceux qui connaissent le pouvoir que Dieu a donné aux plantes pour le soulagement de nos maux…
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La légende de la sauge
Après les belles émotions qu’avaient éprouvées les coeurs de la très douce Dame Marie et de Saint Joseph, au moment de la cérémonie de la purification rituelle de la jeune accouchée et de la présentation au Temple du Fils de Dieu nouveau-né – reconnu et magnifié par le vieillard Syméon et la prophétesse Anne – , après aussi le remue-ménage suscité dans la bourgade de Bethléem par la venue de la caravane bigarrée des Rois d’Orient, la Sainte Famille aurait pu aspirer à jouir d’un bonheur paisible et sans histoire…
Mais Notre-Dame, dans l’âme de laquelle le premier des sept glaives s’était déjà enfoncé, lui révélant toutes les souffrances dont son Fils innocent serait accablé, attendait en silence le temps inéluctable de l’accomplissement de la prophétie.
Or, le roi Hérode le Grand, après avoir vainement attendu le retour des Saints Rois à Jérusalem, avait fini par comprendre qu’ils s’étaient joué de lui. Il entra dans une violente colère et il envoya tuer tous les enfants de Bethléem et des environs, depuis l’âge de deux ans et au-dessous, selon le temps de l’apparition de l’Etoile miraculeuse qui lui avait été précisé par les Mages.
Joseph, averti pendant son sommeil par une apparition de l’archange Gabriel, s’était levé en pleine nuit, avait réveillé Marie, sellé en hâte le petit âne sur lequel elle s’était assise, serrant contre elle le Fils de Dieu emmitouflé, et ils avaient pris le plus discrètement possible la route de l’Egypte.
Tandis que les soldats d’Hérode, féroces et tout couverts de sang, fouillaient la région pour égorger tous les petits enfants, la Sainte Famille s’enfuyait en évitant les grands chemins, au trot du petit âne, qui ne pouvait pas rivaliser avec le galop forcené des chevaux des bourreaux.
Or, tandis que Saint Joseph était allé dans un hameau pour y faire désaltérer l’âne et mendier quelque nourriture, la Vierge se trouvait seule, allaitant le divin Enfant, assise en bordure d’un bosquet. C’est alors que des cris résonnèrent et que le sol trembla sous le galop des chevaux : « Les soldats d’Hérode! »
Où se réfugier? Pas la moindre grotte ni le plus petit creux de rocher! Il n’y avait près de Marie qu’un buisson sur lequel une rose s’ouvrait.
– Rose, belle rose! supplia la Sainte Vierge, épanouis-toi bien et cache avec tes beaux pétales cet Enfant que l’on veut faire mourir, et sa mère paralysée par l’angoisse!
La rose, en fronçant le bouton pointu qui lui servait de nez, répondit :
– Eloigne-toi de moi, ô jeune femme, car les soldats en m’approchant pour te chercher pourraient ternir mon éclat! Va donc, là-bas, voir la giroflée et demande-lui de te cacher : elle a assez de fleurs pour t’abriter.
– Giroflée, giroflée gentille! supplia la fugitive, épanouis-toi bien et cache de ton massif fleuri cet Enfant que l’on veut faire mourir, et sa mère terrorisée et épuisée!
La giroflée, tout en secouant les petites têtes de son bouquet, refusa elle aussi :
– Passe ton chemin, pauvresse! Je n’ai pas le temps de t’écouter car je suis trop occupée à me couvrir de fleurs, que je ne voudrais pas voir piétinées par les soldats. Va donc, là-bas, voir la sauge et demande-lui de te cacher : elle n’a rien d’autre à faire que la charité.
– Ah! Sauge, bonne sauge! supplia la Mère des douleurs, épanouis-toi bien et cache sous ton feuillage mon Enfant innocent que l’on veut faire mourir, et sa mère à demi-morte de fatigue et de peur!
Alors la bonne sauge, sans plus se faire prier, s’épanouit autant qu’elle put : elle couvrit tout le terrain et de ses feuilles de velours fit un dais épais sous lequel se réfugièrent la douce Vierge et l’Enfant-Dieu.
Sur le chemin, les soldats arrivèrent. Au bruit qu’ils faisaient, Marie frissonnait d’épouvante, mais le divin Enfant, doucement caressé par les feuilles, souriait… Et les soldats sans furent sans rien voir.
Quand ils furent partis, Marie et Jésus sortirent de leur refuge : « Sauge! Sainte sauge! A toi, grand merci et bénédiction! De ton geste désormais, tous se souviendront! »
Lorsque Joseph revint, avec l’âne désaltéré et tout ragaillardi par une bonne mesure d’avoine qu’un brave homme lui avait donné, Marie remonta sur la bonne bête en serrant contre son coeur son Enfant sauvé, et l’archange Gabriel descendit du ciel pour les guider par le plus sûr chemin vers l’Egypte, tout paisiblement, à petites journées.
C’est depuis ce temps que la rose a des épines, que les fleurs de la giroflée sont malodorantes tandis que la sauge, dont le nom latin « salvia » indique les vertus, possède le pouvoir de guérir tant de maux, au point que, dans nos campagnes, les anciens répétaient : Celui qui a la sauge dans son jardin n’a pas besoin du médecin.
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