Notre amie Béatrice, la précieuse blogueuse du non mois précieux blogue Benoît et moi, a traduit le formidable témoignage du père jésuite Mark G. Henninger paru dans le Wall Street Journal du 7 décembre dernier, sous le titre Alfred Hitchcock’s Surprise Ending (la fin surprise d’Alfred Hitchcock), avec ce sous-titre intrigant du quotidien : « Un biographe prétend que le metteur en scène, à la fin de sa vie, boudait la religion. Ce n’est pas vrai. J’étais là ». Le Père Henninger est professeur de philosophie médiévale à l’Université Georgetown de Washington D.C., un établissement jésuite plutôt classé “progressiste” mais dont notre père jésuite à vertement critiqué son invitation au ministre de la Santé Kathleen Sebelius à venir y prononcer le discours de fin d’année universitaire en mai dernier… Ce grand spécialiste de philosophie médiévale – il est d’ailleurs en année de congé sabbatique à Oxford pour travailler sur des manuscrits médiévaux – est aussi un amateur des romans policiers du Suédois Henning Mankell qu’il lit dans ses traductions en allemand… Ce qu’on ignore généralement, c’est qu’Alfred Hitchcock possédait la double nationalité britannique et américaine il s’établit aux États-Unis en 1939), qu’il est né, le 13 août 1899, dans une famille catholique et fut éduqué au collège St. Ignatius, un établissement jésuite de Stamford Hill (quartier de Londres dans le district de Hackney). Il n’en garda peut-être pas un excellent souvenir car la discipline y était rude, mais de là à prétendre que son passage chez les jésuites l’aurait définitivement éloigné de la religion catholique, est assurément abusif : de la pratique, peut-être – et une allusion que je vous laisse le soin de découvrir dans le témoignage du Père Henninger, pourrait l’indiquer… –, mais de la foi catholique, non. La preuve nous en est donnée par ce témoignage du Père Henninger sur les derniers mois de l’existence terrestre du grand réalisateur. S’il en fallait une autre, on signalera le mauvais accueil fait à son film de 1953, La loi du silence (en anglais, I Confess) sur le problème du secret de la confession dans lequel le rôle du prêtre est interprété par un Montgomery Clift exceptionnel et tourmenté à l’écran comme à la ville. Hitchcock expliquera plus tard à François Truffaut les raisons de cet accueil frisquet : « « L’idée de base n’est pas acceptable pour le public. Nous savons, nous les catholiques, qu’un prêtre ne peut pas révéler un secret de la confession, mais les protestants, les athées, les agnostiques pensent : “C’est ridicule de se taire ; aucun homme ne sacrifierait sa vie pour une chose pareille.” ». C’est un grand film catholique et Deal Hudson ne s’est pas trompé en l’incorporant dans sa liste des 100 meilleurs films catholiques – dont je vous promets de poursuivre la publication par “épisodes” dans les jours qui viennent… Voici donc ce rare témoignage et je remercie l’amie Béatrice de m’avoir généreusement permis de reprendre sa traduction et certaines de ses notes.
Quand j’étais un jeune garçon et regardais à la télévision la série en noir et blanc « Alfred Hitchcock présente », j’ai le souvenir d’avoir été immédiatement captivé par les neuf traits de crayons caricaturant le profil rond du célèbre réalisateur. Le thème musical espiègle mettait dans l’ambiance tandis qu’Hitchcock apparaissait en silhouette à partir du bord droit de l’écran, puis entrait au centre, remplaçant la caricature.
« Bonsoir ».
Puis suivaient ses introductions si drôles, si différentes de toute autre chose à la télévision.
Ces émotions d’enfance me sont revenues quand au début de l’année 1980 [Hitchcock est mort le 29 avril 1980. NdT], j’entrai dans sa maison de Bel Air, et le vis assoupi sur une chaise dans un coin de son salon, vêtu d’un pyjama noir et blanc.
À l’époque, j’étais un étudiant diplômé en philosophie de l’UCLA [University of California, Los Angeles], et j’étais (et suis encore) un prêtre jésuite.
Un jeudi, Tom [J.] Sullivan [décédé le 2 février 1992. NdT], un confrère prêtre, qui connaissait Hitchcock, me dit que le lendemain, il irait entendre Hitchcock en confession. Tom me demanda si le samedi après-midi suivant, je pouvais l’accompagner pour célébrer une messe dans la maison d’Hitchcock.
J’étais abasourdi, mais, bien sûr, je dis oui. Ce samedi, quand nous découvrîmes Hitchcock endormi dans le salon, Tom le secoua doucement. Hitchcock se réveilla, regarda autour de lui, et baisa la main de Tom, en le remerciant.
Tom dit : « Hitch, c’est Mark Henninger, un jeune prêtre de Cleveland ».
« Cleveland ? » dit Hitchcock. « Scandaleux ! ».
Après quoi nous avons bavardé pendant un moment, puis nous avons traversé un couloir depuis le salon jusqu’à son bureau, et là, avec sa femme, Alma, nous avons célébré une messe paisible. En face de moi, il y avait les volumes reliés de ses scénarios de films, Les oiseaux, Psychose, La Mort aux trousses et d’autres.
Hitchcock avait été loin de l’Église pendant un certain temps, et il faisait les réponses en latin, à l’ancienne. Mais la chose la plus remarquable est qu’après avoir reçu la communion, il pleura silencieusement, les larmes coulant sur ses grosses joues.
Tom et moi sommes retournés plusieurs fois, toujours le samedi après-midi, parfois ensemble, mais je me souviens y être allé une fois tout seul. Je restais un peu sans voix avec des gens célèbres et trouvais cela un peu gênant de bavarder avec Alfred Hitchcock, mais nous l’avons fait, agréablement, dans son salon. À un moment, il a dit : « Allons entendre la messe ».
Il avait 81 ans et avait du mal à se déplacer, alors je l’aidai à se relever et le soutins le long du corridor. Comme nous marchions lentement, je sentais que je devais dire quelque chose pour rompre le silence, et le mieux que je trouvai fut : « Eh bien, M. Hitchcock, avez-vous vu de bons films récemment ? ».
Il s’arrêta et me dit avec emphase : « Non. Quand je faisais des films, c’étaient sur des gens, pas des robots. Les robots sont ennuyeux. Venez, allons à la messe ».
Il est mort peu de temps après ces visites, et ses funérailles eurent lieu à l’église catholique Good Shepherd [du Bon Pasteur] à Beverly Hills.
Alfred Hitchcock est revenu dans l’actualité récemment, à travers un portrait de lui apparemment peu flatteur, dans une nouvelle production hollywoodienne [allusion au film Hitchcock de Sacha Gervasi, sorti sur les écrans le 23 novembre dernier. NdT].
Certains de ses biographes n’ont pas été tendres non plus. La religion, elle aussi, fait l’actualité, elle est souvent présentée sous un jour peu flatteur, parce que les croyances qui s’affrontent sont en cause dans les guerres et le terrorisme. La violence conduit certaines personnes à rejeter entièrement la religion. Pour beaucoup, qui ne connaissent la religion que de cette manière – de seconde main, dans les médias, de loin – une telle réaction est dans une certaine mesure compréhensible.
Ce qu’ils ne comprennent pas, c’est que la religion est une affaire intensément personnelle. saint Augustin a écrit: « Magnum Mysterium mihi » (je suis un grand mystère pour moi).
Pourquoi exactement Hitchcock demanda-t-il à Tom Sullivan de lui rendre visite, ce n’est pas clair pour nous et peut-être n’était-ce pas tout à fait clair pour lui. Mais quelque chose a murmuré dans son cœur, et les visites ont répondu à un profond désir humain, un vrai besoin humain. Qui de nous est sans ces besoins et désirs ? [l’homme a un besoin de transcendance, nous dit le Saint Père. NdT].
Certaines personnes trouvent suspect ces retours tardifs vers la religion, un signe de faiblesse ou de quelqu’un qui “perd la tête”. Mais rien ne concentre l’esprit autant que la mort. C’est une longue tradition qui remonte à l’antiquité des memento mori, « souviens-toi que tu dois mourir ». Pourquoi ? Je pense qu’en faisant face à la mort, on peut enfin voir sobrement, clairement ou non, des vérités manquées pendant des années, ce qui finalement est important.
Peser sa vie avec son lot de blessures subies et infligées dans une telle perspective, et chercher la réconciliation avec un Dieu que l’on a connu et qui pardonne, me semble profondément humain. La réaction extraordinaire d’Hitchcock en recevant la communion était le visage de l’humanité et de la religion réelles, loin des manchettes… ou des cinéastes et des biographes d’aujourd’hui.
Un des biographes de Hitchcock, Donald Spoto, a écrit que Hitchcock lui avait fait savoir qu’il « n’avait permis à aucun prêtre (…) de lui rendre visite, ou de célébrer une messe informelle chez lui » [biographie parue aux États-Unis en 1983 et en traduction française en 2003 chez Albin Michel sous le titre La face cachée d’un génie. La vraie vie d’Alfred Hitchcock. NdT]. Que, dans ses derniers jours, le réalisateur ait délibérément et avec succès fait croire à des gens de l’extérieur exactement le contraire de ce qui s’est passé, voilà qui est du pur Hitchcock.
Cette FOI rend cet homme encore plus grand. Déo gratias!