Il ne faut pas s’y tromper et il faut en prendre toute la mesure : si l’Irlande d’aujourd’hui, qui a toujours et systématiquement, par la voix de son peuple, rejeté l’avortement légal, paraît sur le point de déclencher le processus législatif qui aboutira à autoriser la mise à mort des tout-petits dans le sein de leur mère, c’est « l’Europe » qui l’y aura poussée. L’Europe au sens large : l’Union européenne pousse certes à la roue, mais en l’occurrence il s’agit du Conseil de l’Europe et de son « bras » judiciaire, la Cour européenne des droits de l’homme.
C’est dans la foulée de l’affaire « A, B, C contre Irlande » (compte-rendu ici) que l’Irlande se voit sommée de modifier sa législation protectrice de la mère comme de l’enfant. L’arrêt rendu en décembre 2010 n’avait pas affirmé que l’Irlande se devait de rendre l’avortement accessible comme le lui demandaient trois jeunes femmes qui estimaient avoir été lésées par l’absence d’accès à l’« IVG » et à une information claire sur leurs droits en la matière. Au contraire : la Cour avait déclaré que « les restrictions litigieuses poursuivaient le but légitime de protéger la morale, dont la défense du droit à la vie de l’enfant à naître constitue un aspect en Irlande ». C’était une excellente surprise et il important de la mettre en avant.
Mais je soulignais alors que pour l’une des plaignantes, la culpabilité de l’Irlande avait été retenue au motif que la jeune femme n’avait pas pu disposer d’un moyen certain pour savoir si son état pouvait justifier qu’elle aille se faire avorter en Angleterre. La Cour avait ajouté qu’il appartenait à l’Irlande de « clarifier » les cas où l’avortement pourrait être considéré comme légal.
Cette condamnation par la bande a abouti à la demande par le gouvernement irlandais d’un rapport d’experts chargé de dire si l’avortement doit être légalisé, au moins dans certains cas, en Irlande.
Influence claire sinon directe de la CEDH qui a laissé discrètement la porte ouverte aux partisans de l’avortement qui ont su s’y engouffrer, de telle sorte qu’aujourd’hui les médias irlandais et internationaux invoquent « A, B, C contre Irlande » au secours de leurs thèses, même si c’est en allant bien au-delà de ce que prône l’arrêt lui-même.
Le rapport vient d’être remis et, sans surprise – aux termes de fuites dans la presse – il préconise la légalisation limitée de l’avortement dans des établissements irlandais spécifiques en cas de « risque pour la mère » et demande qu’une procédure d’appel soit mise en place pour celles qui se verraient refuser l’opération.
Le groupe d’experts recommanderait que « l’interruption de la grossesse soit considéré comme un traitement médical, que le risque pour la mère soit d’ordre physique ou mental » – y compris par exemple la menace de suicide. Le tout appuyé sur des critères » dont l’évaluation serait susceptible d’appel.
Sur le papier, on pourrait se laisser leurrer : ce n’est que dans les fameux « cas limite », où la mère risque de mourir pour une raison médicale ou psychologique, que l’avortement serait accepté.
Mais on sait que la légalisation de l’avortement se fait toujours sur le fondement de ces cas limite, en terrorisant ceux qui ne sont pas d’accord et en les faisant passer pour des bourreaux. Pourtant de bourreau, il n’y en a qu’un dans chaque cas d’avortement : c’est celui qui prend volontairement la vie de l’enfant à naître, quelle que soit sa motivition.
On sait aussi que les lois de tolérance dans les cas limite aboutissent toujours à une situation où, de plus en plus facilement, la femme invoque sa détresse pour obtenir l’avortement, en attendant l’éclosion d’un « droit » pur et dur comme c’est le cas en France aujourd’hui, ou en Grande-Bretagne.
Et soyons bien claire : ce n’est pas à cause du risque de voir une loi d’avortement dans les cas limite évoluer vers un massacre général que celle-ci est inacceptable – même si cette évolution existe bien – mais parce qu’il est toujours criminel d’attenter à la vie d’un être humain innocent.
Le rapport des « experts » irlandais a reçu un appui circonstanciel étonnant dans l’affaire Savita Halappanavar, morte d’une septicémie après avoir fait une fausse couche, ce qu’en l’absence de toute enquête sérieuse la presse internationale a présenté comme une mort évitable, due à une législation anti-avortement rétrograde inspirée par la morale catholique soucieuse de sacrifier les mamans aux enfants.
Le mari de Savita, Praveen, continue de faire campagne, refusant de céder les documents médicaux pour l’ouverture des enquêtes relatives à la mort tragique de son épouse, se répandant dans la presse pour réclamer le changement de la loi (et la tête de tout-petits Irlandais). Ainsi le rapport a reçu au moment le plus opportun une illustration en la personne d’une jolie Hindoue, morte en couches (il n’y a guère que trois morts maternelles par an en Irlande…), dont on explique qu’elle aurait vécu si elle avait pu avorter, ainsi qu’elle l’a demandé selon son mari.
Praveen Halappanavar et sa belle-famille viennent même de produire un ultimatum à l’intention du gouvenement, refusant l’enquête des services de santé irlandais et donnant au ministre de la Santé, James Reilly, jusqu’à jeudi pour accepter la mise en place d’une enquête publique et contradictoire, sans quoi ils iront directement devant la Cour européenne des droits de l’homme. Le ministre, lui, attend deux premiers rapports et rappelle qu’il n’y a pas eu de mort maternelle à l’hôpital de Galway, où le drame a eu lieu, depuis 17 ans… Pour l’heure, il reste donc ferme.
Mais déjà, les membres travaillistes du gouvernement irlandais de coalition ont promis que le gouvernement agira « rapidement » pour légaliser l’avortement de manière « limitée », soutenus en cela par les médias irlandais qui sont aussi idéologisés sur la question que les nôtres, et qui ont exploité l’affaire Savita jusqu’à la lie. Le Labour irlandais reste cependant seul à réclamer un changement de la loi, le Fine Gael et les autres partis restant fermes dans leur volonté de protéger la vie de toute atteinte assassine.
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