Le cardinal Antonio Cañizares Llovera, ancien archevêque de Tolède, aujourd’hui à Rome dans divers dicastères et Congrégations, profite de son passage en Espagne pour appeler tous les catholiques espagnols à prier pour leur patrie. Ce n’est pas une démarche publique et officielle au même titre que celle du cardinal Vingt-Trois en France ; le « petit Ratzinger » (comme on le surnomme) s’est exprimé dans le journal La Razon où il a signé deux chroniques sur le sujet à une semaine d’intervalle ; j’ai publié ma traduction intégrale de la seconde, parue le 7 août, dans Présent.
La semaine précédente, il écrivait que dans la situation critique où se trouve l’Espagne, alors que chacun est appelé à contribuer au bien commun de toutes sortes de manière, « nous devrions prier, prier beaucoup », car c’est en la prière que « surgit l’espérance qui ne permet jamais de se croiser les bras ». « Catholiques, luttons avec “notre arme”, manifestons que nous sommes les disciples de Jésus, (…) comme des hommes qui reconnaissent que Dieu est la source de tout bien et que tout secours vient de Lui ».
Il poursuivait : « C’est pourquoi, ici, j’invite, je demande, à tous ceux qui voudront m’écouter, que nous lancions un mouvement large et vigoureux des catholiques pour prier pour l’Espagne, conscients et sûrs de ce qu’il s’agit de la première et de la principale chose que nous pouvons et devons faire comme engagement et comme service que nous devons à notre Patrie qui traverse une situation si difficile, avec des implications aussi nombreuses et aussi graves et avec des conséquences prévisibles pour son avenir. Familles, communautés de vie contemplative, priantes, communautés et fraternités religieuses dans la vie active, paroisses, associations et mouvements apostoliques, nouvelles réalités ecclésiales, enfants, jeunes, adultes, anciens, laïcs et prêtres, tous, nous devrions prier intensément et beaucoup, avec une foi véritable, en ces moments, pour l’Espagne. Dieu le veut. L’Espagne, dans tous ses lieux et dans toutes ses régions, en a besoin. »
Le ton, vous l’avez vu, est très différent de celui de la « prière universelle » proposée par le cardinal Vingt-Trois. Il nous dit clairement qu’en temps de crise – et celle de l’Espagne est actuellement sans commune mesure avec ce qui se passe en France – se tourner vers Dieu est la seule solution porteuse d’espérance. – J.S.
La semaine dernière, en cette même page, j’invitais, j’obligeais presque les catholiques espagnols à prier pour l’Espagne dans la situation si délicate où elle se trouve. Je reviens sur cette idée, conscient de ce qu’il s’agit d’un devoir et d’un service de charité qui trouve sa source dans la foi que nous professons en l’Eglise.
« La bienheureuse Teresa de Calcutta est un exemple particulièrement manifeste que le temps consacré à Dieu dans la prière non seulement ne nuit pas à l’efficacité ni à l’activité de l’amour envers le prochain, mais en est en réalité la source inépuisable. Dans sa lettre pour le Carême 1996, la bienheureuse écrivait à ses collaborateurs laïques: «Nous avons besoin de ce lien intime avec Dieu dans notre vie quotidienne. Et comment pouvons-nous l’obtenir ? À travers la prière. » (Benoît XVI, Deus Caritas est, n° 36.)
Nous ne pouvons rien accomplir sans Dieu ; je suis témoin, et plus encore, ils sont très nombreux, innombrables tout au long de l’histoire, les témoins de ce que le psalmiste dit vrai : « Toutes nos entreprises, c’est toi qui les mènes à bien », en s’adressant à Dieu. Nous avons tous besoin de nous tourner vers le Seigneur, de le rencontrer, lui qui, nous le savons, nous aime sans mesure, de l’écouter, de parler avec lui, de nous familiariser avec son amour et ses « coutumes » toujours miséricordieusement favorables à l’homme, de le connaître davantage et mieux pour suivre sa lumière et ses pas, jouir de sa grâce, de sa providence, de son aide qui ne fait jamais défaut et qui nous soutient toujours, et de sa consolation, pour accueillir et faire sa volonté qui est, de loin, ce qu’il y a de mieux. Il est nécessaire, absolument nécessaire, comme nous l’enseigne Jésus, « de prier toujours et sans cesse », mais cela est encore plus nécessaire lorsque dans des situation assez extrêmes, comme celle que vit actuellement l’Espagne, nous demandons : « D’où viendra le secours, cette aide dont nous avons besoin ? » La réponse ne peut être différente, certainement, de celle donnée par l’un des psaumes devant une situation limite : « Mon secours est dans le Seigneur, qui a fait le ciel et la terre. »
La situation que nous subissons n’est pas une pierre inexorable, impossible à soulever. « C’est un Dieu personnel qui gouverne les étoiles, à savoir l’univers » et même l’histoire : « ce ne sont pas les lois de la matière et de l’évolution qui sont l’instance ultime », celles des marchés ou des pouvoirs « économicistes », celles des rapports de forces ou des intérêts politiques, quelle que soit leur couleur, « mais la raison, la volonté, l’amour – une Personne. Et si nous connaissons cette Personne et si elle nous connaît, alors vraiment l’inexorable pouvoir des éléments matériels n’est plus l’instance ultime; alors nous ne sommes plus esclaves de l’univers » – ni d’autres puissances apparemment inexorables – « et de ses lois, maintenant nous sommes libres. (…) Le ciel n’est pas vide. La vie n’est pas un simple produit des lois et des causalités de la matière », ou d’autres forces inamovibles, comme ont pu sembler l’être les économies, « mais en tout, et en même temps au-dessus de tout, il y a une volonté personnelle, il y a un esprit qui en Jésus s’est révélé comme Amour » (cf. Benoît XVI, Spe Salvi, n°5).
Par la prière, exprimée par exemple dans le psaume 22, nous reconnaissons cette volonté de l’amour : « Le Seigneur est mon berger, je ne manque de rien… Si je traverse les ravins de la mort, je ne crains rien car il est avec moi. » « Le vrai pasteur est Celui qui connaît aussi la voie qui passe par les ravins de la mort; Celui qui marche également avec moi sur la voie de la solitude ultime, où personne ne peut m’accompagner, me guidant pour la traverser: Il a parcouru lui-même cette voie, il est descendu dans le royaume de la mort, il l’a vaincu et il est maintenant revenu pour nous accompagner et pour nous donner la certitude qu’avec Lui on trouve un passage. La conscience qu’existe Celui qui m’accompagne aussi dans la mort et qui, “avec son bâton, me guide et me rassure”, de sorte que “je ne crains aucun mal” (Ps 22 [23], 4), telle était la nouvelle “espérance” qui apparaissait dans la vie des croyants. » (cf. Benoît XVI, Spe Salvi, n° 5). Et l’espérance, comme nous le disions la semaine dernière, se ravive et de nourrit dans la prière.
La situation que nous traversons est semblable à ce « ravin de la mort » du psaume ; avec l’espérance, qui se fortifie dans l’oraison, nous n’avons rien à craindre : le Seigneur que nous invoquons est le Berger qui, même en cette conjoncture difficile où nous nous trouvons, nous accompagne et nous guide. Par la prière, nous apprenons à voir et à vouloir ce que Dieu attend de nous en ces heures si cruciales, il nous offre sa lumière et nous conduit pour apprendre à traverser ce « ravin de la mort » par le chemin qu’il nous ouvre, celui que nous voyons en Jésus ; celui de la charité. La prière nous rend capables de Dieu et, précisément pour cela, capables des autres, capables de cheminer en liberté face aux esclavages et aux puissances du monde qui submergent et font mal aux hommes.
En Espagne, peut-être que nous oublions trop et à des degrés inédits que Dieu est le fondement, le principe et la fin de tout. C’est pour cela que nous avons besoin de ce grand mouvement de prière dans toute l’Espagne ; parce que prier, c’est reconnaître la primauté de Dieu, sa présence active dans l’histoire ; prier, cela suppose de confesser et de reconnaître que Dieu nous aime, qu’il est avec les hommes et favorable aux hommes. Prier implique d’implorer à Dieu son aide sa puissante, efficace et miséricordieuse, sans laquelle nous ne pouvons rien faire, ni porter des fruits d’amour et de justice, sans laquelle est impossible le renouvellement de l’esprit et des cœurs dont nous avons tant besoin pour accueillir le Royaume de Dieu et le rendre présent au milieu des hommes et dans toutes les réalités humaines, y compris les réalités économiques. La prière exprime, comme rien d’autre, la primauté du spirituel dans la vie personnelle et sociale, et dit que c’est seulement à partir d’une forte spiritualité, qui s’appuie sur la prière et s’en nourrit, que nous pourrons mener à bien l’œuvre de rénovation de la société et de l’Eglise elle-même à laquelle nous poussent la foi, l’espérance et la charité chrétiennes.
Cardinal Antonio Cañizares Llovera