Ça ne cessera donc jamais : depuis septembre dernier, où le processus de reconnaissance de la FSSPX est enclenché, les chauds et les froids se suivent. Leur succession maintenant s’accélère : depuis un mois, nous avons droit à un coup de théâtre par semaine. Mgr Fellay va à Rome : c’est signé ! Patatras : le cardinal Levada a remonté la barre : tout repart à zéro ! Pas du tout : le Pape nomme Mgr Di Noia, pour régler l’affaire au plus vite ! Et puis, repatatras : le chapitre FSSPX a remonté à son tour la barre des « conditions » ! Etc.
Tout ceci est infiniment lassant, d’autant qu’en soi, le résultat final est évident pour tout le monde depuis la levée des excommunications des quatre évêques consacrés par Mgr Lefebvre. Théoriquement.
Comment alors expliquer cette impossibilité d’opérer une jonction pratique entre deux parties, une Rome restaurationniste et un lefebvrisme assagi dans son verbe, laquelle jonction, lorsqu’on prend un minimum de recul, semble évidente ? A notre avis, il y a au moins trois raisons :
1/ D’abord les deux parties se connaissent toujours fort mal. Elles forment deux cultures proches, mais distinctes, qui ont le plus grand mal à s’appréhender. Ceux que l’on a chargé du dossier, du côté du Saint-Siège, pensent qu’ils ont à traiter avec des traditionalistes semblables à ceux qu’ils rencontrent depuis plus de vingt ans (et pour certains d’entre eux, quelques années seulement) dans les communautés Ecclesia Dei, et ils imaginent qu’ils vont d’un seul coup réduire les modes de pensée de 40 ans de vie autonome. Inversement, côté FSSPX, même ceux qui savent que tout le monde à Rome n’est pas moderniste, pensent tout aussi naïvement qu’on ne peut qu’accueillir l’œuvre de Mgr Lefebvre en déroulant un tapis rouge, musique de la garde pontificale, et remerciements de la voir enfin prendre les choses en main pour sauver l’Église.
2/ Il y a aussi le fait que les partisans romains de la reconnaissance de la FSSPX se sont heurtés au problème de fond, qui n’est pas médiocre, celui du hiatus, apparent ou réel entre certains passages de Vatican II et le magistère antérieur. La manière dont ils résolvent cette question, en soi redoutable, les partage grosso modo en deux groupes :
a) Ceux que l’on pourrait appeler les gherardiniens (Mgr Gherardini), qui la résolvent, en somme, par le bas : les points en question ne sont pas infaillibles – tout le monde au reste, sauf quelques traditionalistes paradoxaux, est d’accord sur cela – et l’on peut donc les mettre respectueusement entre parenthèses. On peut donc laisser discuter (respectueusement) ces points litigieux par les théologiens traditionalistes, jusqu’à ce que plus tard (dans mille ans ?), le magistère infaillible ne tranche la question. La thèse paraît de bon sens. Elle l’est en effet du point de vue pratique, puisqu’elle permettrait, si on l’appliquait, « d’en sortir ». Elle n’explique cependant pas que ce magistère non infaillible pèse comme un boulet depuis plus de 45 ans, avec tout ce qui va avec, notamment une liturgie désastreuse, sans que le magistère infaillible n’ait jamais daigné trancher dans le vif.
b) Ceux que l’on pourrait nommer les lévadiens (le cardinal Levada), qui résolvent la question par le haut : les points en question ne sont certes pas infaillibles, mais la vigilance du magistère infaillible ne peut permettre qu’il y ait ainsi d’aussi conséquents et si longs errements. Il y a donc nécessairement une continuité et la seule discussion possible (Mgr Ocariz a mis la thèse en musique) porte sur les moyens d’expliquer comment on peut manifester cette immuabilité. L’inconvénient pratique est que les lefebvristes (et bien d’autres avec eux) ne peuvent s’en accommoder. L’inconvénient théorique est que toute la littérature, assez acrobatique, qui explique cette continuité ne se trouve pas dans les textes eux-mêmes mais uniquement chez ceux qui l’expliquent. Il est certes très beau d’affirmer que le susbisit in (l’Église du Christ subsiste dans l’Église catholique) du n. 8 de Lumen gentium, n’est rien d’autre que le est (l’Église du Christ est l’Église catholique), comme le fait le cardinal Becker. Pour autant, le texte du n. 8 ne porte toujours pas : « l’Église du Christ subsiste dans l’Église catholique, ce qui veut dire que l’Église du Christ est l’Église catholique). Cela, on le trouve seulement chez le cardinal Becker. Or, ce sont des lévadiens, jusqu’à la nomination de Mgr Di Noia comme Vice-Président de la Commission Ecclesia Dei, lequel est plutôt ghérardinien, qui sont en charge du dossier FSSPX. (Ne parlons pas du nouveau Préfet du Saint-Office, le Professeur Müller, dont il vaut mieux pour tout le monde qu’il ne se mêle pas de l’affaire Saint-Pie-X et qu’il continue à s’amuser dans ses rêveries théologiques : la virginité non physiologique, la transsubstantiation analogique et, pourquoi pas ?, la résurrection non corporelle).
3/ La troisième raison, la plus importante pratiquement, est qu’aucune des parties directement en cause n’a jusqu’à présent imaginé qu’elle pouvait négocier. S’agissant de doctrine, la Congrégation pour la Doctrine de la foi, non sans de bonnes raisons, estime qu’elle doit simplement examiner si la FSSPX tient des positions catholiques et sinon doit faire en sorte qu’elle les tienne. Quant à la FSSPX, le terme même de négociation lui est inconcevable dans cette affaire, là encore avec de bonnes raisons, dès lors qu’elle estime devoir tenir la place – par défaut – de l’accusation au procès des erreurs modernes. Et à cause de cela, depuis un an, les deux parties n’ont jamais conversé directement sur le mode informel autour d’une table (a fortiori autour d’une table de restaurant), n’ont jamais « tâté le terrain » l’un de l’autre, n’ont jamais réussi à établir des relations de confiance, n’ont jamais échangé par avance officieusement sur des documents avant de les rendre « officiels », etc. Ce que tout processus diplomatique comprend.
Certes, ce mode de relations existe bien, par la force des choses entre la FSSPX et la Congrégation pour la Doctrine de la foi, mais il s’exerce par une foule d’intermédiaires, dont certains de très haut niveau, lesquels sont tout de même incapables de remplacer les contacts directs. Quant tombent ensuite les « documents » des uns et en retour les « déclarations » des autres, le tout scandé de « communiqués » émanant des deux côtés, et gonflé par l’immédiateté de l’information Internet, il ne reste plus qu’à se désoler des pataquès qui suivent les pataquès. Alors qu’encore une fois, le résultat est théoriquement (le diable aidant, il ne le sera peut-être jamais pratiquement) acquis, et que sa concrétisation s’est trouvée périodiquement à portée de la main.
Ne va-t-il pas de soi que la solution passe par la réduction de la troisième difficulté ? Ne parlons pas de « négociation », puisque le mot fâche, mais de séries d’entretiens, d’échanges de vues, de démarches qu’on entreprend pour parvenir à un accord (Petit Robert).
Tout le monde a d’ailleurs compris, l’intéressé l’ayant immédiatement fait comprendre lui-même, que depuis la nomination de Mgr Di Noia cette phase pouvait commencer. Cette phase allait commencer ? Cette phase avait commencé ?
Très juste. En effet nous sommes dans un cas particulier de cette vérité générale que le dialogue théologique est impossible. Il ne peut que faire constater les différences.
Inutile donc de s’enthousiasmer ou de se déprimer, tout cela était couru d’avance, il n’y aura pas d’accord, comme je l’ai toujours dit. Qu’on le redoute ou qu’on l’espère est une autre question.
Chauds et froids = tièdes ; Malheur aux tièdes.NSJC
Sur le subsistit in , je vous renvoie à un document de 2007 émis par la CDF :
“Dans le numéro 8 de la Constitution Dogmatique Lumen gentium, ‘subsister’ signifie la perpétuelle continuité historique et la permanence de tous les éléments institués par le Christ dans l’Église catholique 8, dans laquelle on trouve concrètement l’Église du Christ sur cette terre.”
ce même document précise que seuls les Orthodoxes ont droit au qualificatif d’Eglise, et non pas les Protestants car ils n’ont plus la succession apostolique.
De même, la déclaration Dominus Iesus, de la CDF en 2000, dit : “Il existe une continuité historique entre l’Eglise instituée par le Christ et l’Eglise catholique”, puis : “L’Eglise du Christ continue à exister en plénitude dans la seule Eglise catholique”. On ne peut pas être plus clair.
Sur la forme, on peut se poser des questions sur l’opportunité de substituer “être” par “subsister”, mais sur le fond, on voit bien que le débat est clos.
Merci à RL
Sur le subsistit in (qui est du latin et non du français), j’avais publié sur mon blog le texte suivant :
que Beaucoup de lefebvristes hostiles à “Dignitatis humanae” disent que la religion ne “subsiste” pas dans l’Église catholique, qu’elle est dans l’Église catholique. “Subsister” en français a le sens de “continuer d’être alors que la chose a disparu ailleurs” (définition du Larousse), un peu comme s’il était entendu que la religion avait pu résider ailleurs et pouvait disparaître de l’Église.
En revanche le verbe “Subsisto, subsistiti subsistere” n’a pas le sens français de “subsister”.
Selon le Gaffiot le sens du verbe subsistere est « rester, demeurer, séjourner », sens « 2 »
« C’est pourquoi, tout d’abord, le saint Concile déclare que Dieu a lui-même fait connaître au genre humain la voie par laquelle, en le servant, les hommes peuvent obtenir le salut et le bonheur dans le Christ. Cette unique vraie religion, nous croyons qu’elle subsiste [demeure] dans l’Église catholique et apostolique à laquelle le Seigneur Jésus a confié le mandat de la faire connaître à tous les hommes, lorsqu’il dit aux Apôtres : « Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit » (Mt 28, 19-20). »
Le sens est que la vraie religion « demeure » dans l’Église catholique. Il y a de nombreuses erreurs de traduction tant des encycliques que des textes du concile. Il faut donc se reporter aux textes originaux (en l’occurrence pour Dignitatis humanæ, au latin).
Quant à Mgr Müller, il n’a pas dit que la virginité perpétuelle n’était pas corporelle, mais qu’il fallait s’intéresser plutôt à la portée théologique de ce dogme. C’est à peu près la même chose au sujet de l’eucharistie, il a voulu dire, selon moi, qu’il ne fallait pas avoir l’attitude des fidèles de Capharnaüm qui étaient emportés par leur imagination, loin de la foi. L’eucharistie est un mystère de foi. Nous recevons donc dans l’eucharistie le corps né de la Vierge Marie sous l’apparence du pain et nous n’avons pas à nous demander si nous recevons le foie ou un muscle, nous devons accepter ce mystère incompréhensible dans la foi et écartant le vagabondage de notre imagination qui n’a rien à faire ici. Il est donc très injuste d’accuser ce prélat.
Intéressante analyse mais qui semble bien optimiste et passer sous silence 3 point essentiels : 1) Mgr Mueller a longuement parlé de la FSSPX dès sa 1ère intervention dans des termes très agressifs, impliquant qu’elle n’est plus catholique ! Ce qu’aucune personnalité romaine n’avait fait jusque là.
2) de façon significative, Mgr Mueller a complètement ignoré le vice-président Di Noia … complètement “out” ; alors que logiquement, il pouvait renvoyer le journaliste à lui, il ne l’a pas fait. Or un préfet, Mgr Mueller, est au-dessus du vice-président de la C.E.D., réduite depuis 2009 à un rôle subalterne ; on peut noter que Mgr Pozzo qui avait été “acclamé” comme une sorte de sauveur ou d’archange dans les milieux traditionalites à sa nomination en 2009 a été nettement plus en retrait que le cardinal Castrillon Hoyos et que Mgr Perl. On peut ajouter que presque tous ont déjà “oublié” l’Instruction Universae Ecclesiae. Comme la plupart des évêques qui refusaient S.P. auparavant d’ailleurs : le choix par le pape, et nul autre, de Mgr Roche ne pourra que les confirmer que finalement le motu proprio ne représente qu’une concession mineure qu’on peut ignorer puisque c’est ce que Mgr Roche a fait à Leeds. Je comprends que sur un blog dédié à S.P. on soit enclin à minorer cet immense camouflet venu d’en haut mais il ne faut pas craindre d’énoncer les faits, comme le conseillait Léon XIII (d’heureuse mémoire) en son temps.
3) ce qui nous amène au dernier point, le plus essentiel : le pape. Le commentateur fait comme si … comme si le 13 juin 2012 n’avait pas existé, comme si Mgr Mueller était un ornement sans importance, comme si Mgr Roche n’existait pas, comme si Mgr di Noia dans ses premières déclarations n’avait pas fait preuve d’une candeur presqu’amusante qui tendait à montrer qu’il ignorait à peu tout du dossier … comme si Benoît XVI avait été en vacances à Castel Gandolfo depuis 2 mois au moins, comme s’il n’y avait plus qu’une ombre de Souverain Pontife.
Or Bruno Bouvet dans “La Croix” enfonce, rudement, le clou : le déraillage de la réconciliation avec la FSSPX a été entériné par Benoît XVI qui a tranché en faveur des opposants qui s’étaient bruyamment manifestés le 16 mai à la CDF, du cardinal Koch et de quelques autres hors Curie qui ont dû faire le siège de Rome, sans doute depuis quelque temps. Le journaliste de “La Croix” souligne à triple trait : ce “pataquès”, c’est Benoît XVI qui l’a décidé. Sans être aussi proche de la Curie que “La Croix”, chacun se doute bien que les décisions contradictoires prises ne l’ont pas été sans stricte approbation pontificale à chaque étape.
En d’autres termes, la balle était dans le camp de Rome et le Saint-Père in fine, et nul autre, après mûre réflexion a décidé de la jeter sur le bord du terrain alors que le but était là, tout proche.
Le pape va-t-il, à travers Mgr di Noia, tenter de récupérer cette balle jetée le 13 juin ? Plus qu’à Menzingen, c’est bien à Rome et dans le bureau de Benoît XVI que se trouve la clef du mystère de la chambre jaune. L’avenir proche, je pense, dira ce qu’il en est et si 12 ans de rapprochement depuis le Grand Jubilé de 2000 ont été gâchés en ce médiocre mois de juin ou s’il ne s’agissait que d’une nouvelle malencontreuse étape dans un chemin qui s’annonce long voire très long. Loin des espoirs d’avril-mai qui auraient marqué, pour le versant tradi et néo-conservateur “ratzinguérien” le succès du pontificat, la défaite symbolique de l’herméneutique de la rupture que Benoît XVI a condamnée (après ses prédécesseurs) en paroles sans l’infléchir vraiment dans la vie de l’Église en 7 ans de règne.
RL, vous êtes sérieux quand vous dites que le débat est clos? Ce document de 2007 est une des plus belles fumisteries des dernières décennies. C’est juste bon pour les gogos.