Mgr Charles Chaput, archevêque de Philadelphie (Pennsylvanie), a donné l’homélie lors de la Messe de clôture de la campagne Fortnight for Freedom (21 juin-4 juillet) de l’épiscpat américain, qui a été célébrée en la basilique archicomble du Sanctuaire national de l’Immaculée Conception de Washington, D.C., dans la soirée du 4 juillet. J’ai préféré en faire une traduction complète que je suis heureux de vous proposer pour votre édification…
Philadelphie est l’endroit où à la fois la Déclaration d’Indépendance et la Constitution des États-Unis ont été écrits. Depuis plus de deux siècles, ces textes ont été une source d’inspiration pour des gens sur tout le globe. Ainsi, alors que nous commençons notre réflexion sur les lectures du jour, j’ai le privilège de saluer tous les présents et tous ceux qui nous regardent ou nous écoutent de loin, au nom de mon Église, l’Église de Philadelphie, berceau de la liberté de notre pays et ville où a été fondée notre nation. Puisse Dieu nous bénir et nous guider alors que nous disposons notre cœur pour la Parole de Dieu.
Paul Claudel, le poète et diplomate français du siècle précédent, a un jour décrit le chrétien comme « un homme qui sait ce qu’il fait et où il va dans un monde qui ne connaît plus la différence entre le bien et le mal, entre le oui et le non. Il est comme un dieu au milieu d’une foule d’invalides. Lui seul possède la liberté dans un monde d’esclaves ».
Comme la plupart des grands écrivains de son temps, Claudel était un mélange d’or et d’argile, de défauts et de génie. Il avait une foi catholique profonde et éblouissante, et quand il écrivit qu’un homme « qui ne croit plus en Dieu ne croit plus en rien », il ne faisait que rapporter ce qu’il constatait autour de lui. Il parlait d’une époque qui connut deux guerres mondiales et vit l’essor des idéologies athées qui assassineront des millions de gens innocents en utilisant le vocabulaire de la science. Il savait parfaitement où l’oubli de Dieu pouvait mener.
Nous autres Américains, nous vivons dans un autre pays, sur un autre continent et dans un autre siècle. Et pourtant, en parlant de liberté, Claudel nous mène à la raison qui nous a fait nous rassembler pour le culte de cet après-midi.
La plupart d’entre nous connaissent le passage de l’Évangile du jour de Matthieu. Ce que nous devons ou ne devons pas rendre à César façonne nombre de nos discussions quotidiennes comme citoyens. Mais je veux me concentrer sur un autre et plus important point qu’aborde Jésus dans la lecture de l’Évangile de ce jour : les choses que nous devons rendre à Dieu.
Quand les Pharisiens et les Hérodiens essaient de tendre un piège à Jésus, il répond en demandant une pièce de monnaie. L’examinant, il dit : « L’image et la légende, de qui sont-ils ? ». Lorsque ses ennemis lui répondent « De César », il leur dit de la rendre à César. En d’autres mots, ce qui porte l’image de César appartient à César.
Le mot clé dans la réponse du Christ c’est « image » ou, en grec, eikon. Le sens moderne d’“image” est plus faible que le sens original grec. Nous inclinons à penser que l’image a quelque chose de symbolique, comme une peinture ou un dessin. Le sens grec inclut ce sens particulier mais va plu loin. Dans le Nouveau Testament, l’“image” de quelque chose participe de la nature de la chose elle-même.
Cela a des conséquences dans nos propres vies parce que nous sommes faits à l’image de Dieu. Dans la traduction grecque de l’Ancien Testament, ce même mot eikon est utilisé dans la Genèse pour décrire la création. « Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance » dit Dieu (Gen 1, 26). L’implication est claire. Être fait à l’image de Dieu est plus qu’un pieux slogan. C’est un constat de fait. Chacun de nous partage, d’une manière limitée mais réelle, la nature de Dieu lui-même. Quand nous suivons Jésus-Christ nous grandissons en conformité à cette image.
Dès que nous comprenons cela, l’effet de la réponse du Christ à ses ennemis devient clair. Jésus ne joue pas avec les mots. Il ne propose pas un commentaire politique. Il fait une demande à tous les êtres humains. Il dit « rendez à César les choses qui portent l’image de César, mais plus important, rendez à Dieu ce qui porte l’image de Dieu », en d’autres mots vous et moi. Nous tous.
Et cela soulève quelques questions non résolues : qu’est-ce que vous et moi, qu’est-ce que nous tous rendons vraiment à Dieu dans nos existences personnelles ? Si nous prétendons être des disciples, qu’est-ce que cela signifie vraiment dans notre manière de parler et d’agir ?
Réfléchir aux relations entre César et Dieu, entre la foi religieuse et les autorités laïques, c’est important. Cela nous aide à faire le tri entre nos différents devoirs comme chrétiens et comme citoyens. Mais à un niveau plus profond, César est une créature de ce monde et ne message du Christ est sans compromis : nous ne devrions rien donner de nous-mêmes à César. Évidemment, nous sommes dans le monde. Cela veut dire que nous avons des obligations de charité et de justice envers les gens qui partagent ce monde avec nous. Le patriotisme est une vertu. L’amour du pays est une chose honorable. Comme Chesterton l’a dit un jour, si nous construisons un mur entre nous et le monde cela ne fait pas une grande différence si nous disons que nous sommes enfermés dedans ou dehors.
Mais Dieu nous a fait pour plus que le monde. Notre vraie maison n’est pas ici. La question du passage de l’Évangile de ce jour n’est pas de savoir comment nous pourrions calculer une honnête répartition des biens entre César et Dieu. En réalité, tout appartient à Dieu et rien – à tout le moins rien de ce qui est permanent et important – n’appartient à César. Pourquoi ? Parce que tout comme la pièce porte l’empreinte de l’image de César, nous portons l’empreinte de l’image de Dieu au baptême. Nous appartenons à Dieu, nous n’appartenons qu’à Dieu.
Dans la deuxième lecture du jour, saint Paul nous dit « C’est, en effet, une grande source de gain que la piété avec le contentement ; car nous n’avons rien apporté dans le monde, et il est évident que nous n’en pouvons rien emporter » [1 Tim 6, 6-7]. L’authentique liberté ne connaît aucun autre attachement qu’à Jésus-Christ. Cet attachement n’a aucun amour pour les riches ou pour les envies qu’ils essaient de satisfaire. L’authentique liberté s’éloigne de tout : richesse, honneur, célébrité, plaisir. Même le pouvoir. Elle ne craint ni l’État ni même la mort.
Quelle est la personne la plus libre en tout ? C’est la personne qui maîtrise son art. Le pianiste le plus libre est celui qui, après avoir maîtrisé son instrument selon les règles propres qui le gouvernent, les règles de la musique, discipliné et aiguisé ses talents, peut jouer tout ce qu’il veut.
C’est pareillement vrai pour nos existences. Nous ne sommes libres que dans la mesure où nous déchargeons du fardeau de nos intentions et que nous pratiquons un art de vivre conforme au plan de Dieu. Quand nous faisons cela, quand nous choisissons de vivre selon l’intention de Dieu pour nous, nous sommes alors, et seulement alors, authentiquement libres.
C’est cela la liberté des fils et des filles de Dieu. C’est la liberté de Miguel Pro, de Mère Teresa, de Maximilien Kolbe, de Dietrich Bonhoeffer et de tous les autres saintes et saints qui ont fait avant nous la chose juste, la chose héroïque dans la souffrance et l’adversité.
C’est ce type de liberté qui peut transformer le monde. Et c’est cela qui devrait animer tout ce que nous disons au sujet de la liberté, religieuse ou autre.
Je dis cela pour deux raisons. Voici la première : la vraie liberté n’est pas quelque chose que César peut donner ou reprendre. Il peut s’y immiscer, mais quand il le fait il vole sa propre légitimité.
Voici la seconde raison : le but de la liberté religieuse est de créer le cadre pour une authentique liberté. La liberté religieuse est un droit fondateur. Elle est indispensable à une bonne société. Mais elle n’est jamais suffisante pour le bonheur humain. Elle n’est pas un but en soi. En dernière analyse, nous défendons la liberté religieuse afin de pouvoir vivre la plus profonde liberté qui est celle d’être des disciples de Jésus-Christ. De quel bien serait la liberté religieuse, consacrée par la loi, si nous n’utilisons pas cette liberté pour chercher Dieu de tout notre esprit, de toute notre âme et de toutes nos forces ?
Aujourd’hui, 4 juillet, nous fêtons la naissance d’un novus ordo seclorum, un nouvel ordre pour les siècles, l’Ère de l’Amérique. Dieu a béni notre nation de ressources, de puissance, de beauté et du règne de la loi. Nous devons en être infiniment reconnaissants. Mais ce sont des dons. On peut en mésuser. On peut les perdre. Dans les années qui viennent, nous allons devoir affronter dans notre pays des défis de plus en plus graves quant à la liberté religieuse. C’est pourquoi Fortnight for Freedom [la quinzaine pour la liberté] a été si importante.
Et cependant, l’effort politique et légal pour défendre la liberté religieuse – aussi vital qu’il soit – appartient au combat bien plus grand pour maîtriser et convertir notre propre cœur, pour vivre entièrement pour Dieu sans alibis ni illusion. La seule question qui au fond compte est celle-ci : Allons nous vivre sans réserve pour Jésus-Christ ? Si oui, alors nous pourrons devenir une source de liberté pour le monde. Si non, rien d’autre ne marchera.
La parole de Dieu dans la première lecture du jour est un avertissement qui nous coûtera si nous l’ignorons. « Fils de l’homme – Dieu parle à Ezéchiel et à chacun de nous, je t’établis comme sentinelle. Quand je dirai au méchant: Tu mourras !, si tu ne l’avertis pas, si tu ne parles pas pour détourner le méchant de sa mauvaise voie (…) ce méchant mourra dans son iniquité, et je te redemanderai son sang ».
Voici ce que cela signifie pour chacun d’entre nous : nous vivons dans une époque qui exige des sentinelles et le témoignage public. Chaque chrétien à chaque époque à du affronter la même tâche. Mais vous et moi nous sommes responsables de ce moment. Aujourd’hui. Maintenant. Nous devons parler, pas seulement pour la liberté religieuse et les idéaux de la nation que nous aimons, mais pour le caractère sacré de la vie et pour la dignité de la personne humaine, en d’autres mots pour la vérité de ce que signifie être fait à l’image et à la ressemblance de Dieu.
Nous devons être les témoins de cette vérité non seulement en parole mais par nos actes. Au fond, si nous ne sommes pas les missionnaires de Jésus-Christ, nous ne sommes rien. Et nous ne pouvons pas partager avec les autres ce que nous ne vivons pas fidèlement et joyeusement nous-mêmes.
Quand nous allons quitter cette Messe ce soir, nous devrons rendre à César les choses qui portent son image. Mais nous devrons nous rendre nous-mêmes à Dieu, avec générosité, avec zèle et sans rien conserver. Dans la mesure où nous laisserons Dieu nous transformer en sa propre image, nous pourrons, par l’exemple de nos vies, accomplir notre devoir comme citoyens des États-Unis, mais, et c’est beaucoup plus important, comme disciples de Jésus-Christ.
juste conception de la laicité; être à l’image de Dieu donne un sentiment de dignité, de respect de l’être humain, source de paix de justice sociale, en réalité oeuvre de Dieu par son Eglise