Lors de sa nomination à la tête de la Congrégation pour le Culte divin, en décembre 2008, le cardinal Antonio Cañizares Llovera jouissait d’une réputation solidement établie de prélat orthodoxe au point de se voir qualifier par la presse de “Petit Ratzinger”.
Arrivant en outre dans un dicastère dont son prédécesseur, le cardinal Arinze, avait préparé le terrain à la “réforme de la réforme” voulue par Benoît XVI, notamment par l’instruction Redemptionis Sacramentum de mars 2004 « sur certaines choses à observer et à éviter concernant la très sainte Eucharistie» (1), le prélat espagnol semblait pour beaucoup d’observateurs et de fidèles l’homme à même de remettre Dieu au cœur de la liturgie.
Pour ce faire, le cardinal Cañizares pouvait s’appuyer sur le secrétaire de la congrégation, Mgr Malcolm Ranjith, entièrement dévoué au Saint-Père et à son œuvre de remise à l’endroit de la messe, sommet de la vie chrétienne. Les premiers mois de l’activité du “Petit Ratzinger” confirmèrent d’ailleurs les espoirs placés en lui, notamment par la célébration répétée de la forme extraordinaire (2) et des déclarations fortes comme sa préface au livre de don Nicola Bux La Réforme de Benoît XVI ou son entretien au Tagespost de juillet 2010 dans lequel le cardinal plaidait pour « un virage à 180° » en matière de pastorale des jeunes afin de les aider à renouer avec le sens du mystère divin.
Cependant, en juin 2009, Mgr Ranjith est envoyé au Sri Lanka par le pape – ce qui lui ouvrira les portes du cardinalat – et remplacé par le dominicain américain Joseph Augustine Di Noia. Excellent théologien, Mgr Di Noia connaît malheureusement mal le nouveau mouvement liturgique et s’emploie à le freiner autant que possible. Et ce, sans que le cardinal Cañizares ne semble s’en préoccuper. Cette étrange passivité du Préfet de la congrégation contribue de fait peu à peu à refroidir les ardeurs de ses soutiens qui se désolent, notamment, de l’absence de promotion du mode traditionnel de communion, en dépit de l’exemple donné par Benoît XVI depuis le Jeudi Saint 2008.
Il faut dire que le cardinal Cañizares semble très occupé par l’Église d’Espagne et, notamment, par l’une de ses communautés les plus dynamiques, le Chemin néocatéchuménal qui, en 40 ans d’existence, s’est implanté dans plus de 1 000 diocèses à travers le monde. Souvent cité en exemple pour son souffle missionnaire et sa fidélité au magistère moral de l’Église, “le Chemin” est toutefois depuis longtemps critiqué pour ses pratiques liturgiques, ce que le cardinal Cañizares, de par ses fonctions, ne peut ignorer.
Le temps qu’il consacre à Kiko et Carmen, les fondateurs du Chemin, devrait donc se justifier non seulement par un encouragement aux excellentes dispositions de ses membres, mais aussi par la volonté de les ramener à une conception de la liturgie plus orthodoxe (comme le demandait d’ailleurs le cardinal Arinze en 2005).
Or voici que le pape vient, selon le vaticaniste Sandro Magister, d’ordonner
à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi d’examiner si les messes néocatéchuménales sont conformes ou non à la doctrine et à la pratique liturgique de l’Église catholique.
Une décision qui sonne comme un camouflet pour le Préfet de la Congrégation pour le Culte divin, qui s’était employé pour que son dicastère donne un avis favorable à un décret préparé par le Conseil pontifical pour les Laïcs et que Radio Vatican présentait, le 19 janvier dernier, comme marquant « l’approbation de la liturgie » du Chemin néocatéchuménal. À tort en fait, puisque, dès le 20 janvier, et à la plus grande surprise de Kiko et des membres du Chemin réunis à Rome pour fêter ce décret, le Pape lui-même précisait que n’étaient concernées que celles de leurs célébrations n’étant pas “strictement liturgiques”. Une réserve émise en dernière minute pour le plus grand soulagement de bon nombre d’officiels de la Curie ayant vu avec stupéfaction le Culte divin n’apporter aucune modification au texte sorti des bureaux du Conseil pontifical pour les Laïcs.
Les raisons expliquant que le « Petit Ratzinger » ait laissé passer un tel texte, susceptible, selon le commentaire de Magister, d’introduire « dans la liturgie latine un nouveau “rite” artificiellement créé par les fondateurs du Chemin, étranger à la tradition liturgique, plein d’ambigüités doctrinales et fauteur de division dans la communauté des fidèles » (et donc tellement aux antipodes de la vision liturgique promue par Benoît XVI que celui-ci ait dû le modifier en dernier instant) demeurent pour le moment mystérieuses. Ce qui est certain, c’est que, sur cette affaire, le cardinal Cañizares a beaucoup déçu ses plus fervents soutiens.
(1) Préparée en collaboration avec la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, alors présidée par le cardinal Ratzinger…
(2) Ordinations pour les communautés Ecclesia Dei et deux messes pontificales en la basilique Saint-Jean-de-Latran, la première pour les Franciscains de l’Immaculée en avril 2009 et la seconde pour les prêtres de la Confraternity of Catholic Clergy en janvier 2010.