Barry Stevens avec son père, Bertold Wiesner |
Bertold Wiesner, scientifique, 600 enfants… L’affaire date des années 1940. A Londres, un biologiste crée une « clinique de fertilité » avant la lettre : la fécondation in vitro n’existe pas encore – on n’a pas accès aux ovules – mais l’insémination artificielle si. C’est une technique utilisée depuis longtemps dans le domaine vétérinaire. En ce début de siècle eugéniste – et pas seulement en Allemagne nazie – on l’applique aussi aux humains.
Bertold Wiesner est aussi un bienfaiteur. C’est aux hommes inféconds qu’il vient en aide. De préférence de milieu aisé, voire très aisé : il aura des pairs du royaume parmi sa clientèle. Il leur promet une descendance provenant de « souches intelligentes », ce qui aide à faire passer la note, particulièrement salée. Et qui mieux que lui répond aux critères ? Sur les 1.500 « obtentions » de la clinique, on estime que quelque 300 à 600 bébés ont été conçus avec son sperme personnel. Les autres donneurs étaient de bons amis de Wiesner et de sa femme Mary Bartons, avec qui il avait lancé sa petite affaire.
La scandale du multi-donneur – environ 20 dons de sperme par an, selon l’un de ses fils biologiques – a éclaté dans la presse britannique il y a quelques jours : le Daily Mail publie plusieurs photos d’hommes nés entre 1940 et 1965 qui ont découvert leurs liens de sang. Mais qui et combien exactement . Cela reste incertain, puisque Mary Bartons devait par la suite détruire tous les dossiers médicaux des opérations menées dans la clinique. La plupart des enfants qui y ont été conçus n’ont aucune idée de leurs antécédents génétiques, pas plus que leurs enfants à eux.
Ce sont deux hommes qui se sont découverts tous les deux fils de Bertold Wiesner qui ont entamé des recherches aboutissant à la conclusion que, bon an mal an, jusqu’aux deux tiers des dons de sperme ayant servi aux inséminations artificielles réalisées dans la clinique avaient été faits par son fondateur. Et à partir d’extrapolations, les deux hommes, le Canadien Barry Stevens et le Londonien David Gollancz, arrivent au chiffre de 300 à 600 conceptions réussies à partir de là.
Pourquoi Wiesner a-t-il tant donné de sa personne ? Il semble que ce soit pour pallier le manque de donneurs. En attendant sa descendance doit atteindre des proportions impressionnantes. Peut-être pas assez pour représenter un véritable risque d’unions consanguines, mais sait-on jamais ?
C’est David Gollancz qui a déclenché le processus de recherche de quelques-uns des enfants de Wiesner : ayant appris en 1965 qu’il avait été conçu au moyen d’une donation de sperme, il a fallu qu’il attende de longues années pour avoir accès en 2008 à des tests ADN qui lui ont permis finalement de rencontrer 11 de ses demi-sœurs et demi-frères : les 6 autres testées au même moment étaient d’autres pères.. Parmi eus, Barry Stevens, réalisateur de documentaires, qui a pu conduire les recherches sur l’histoire de la clinique elle-même.
Gollancz explique désormais qu’à côté de son dépit d’avoir été élevé comme du cheptel, et du problème que représente le fait de ne connaître ni sa propre histoire, ni sa propre famille, il a eu l’« expérience enrichissante » de rencontrer ces enfants d’un même père. Il rêverait même de les réunir enfin tous, dans une grande fête familiale champêtre. En attendant, il milite pour l’inscription du nom des donneurs de gamètes à l’état civil.
En 1945, alors que les Wiesner publiaient des articles pour décrire leur travail, un Lord les dénonçait à la Chambre comme faisant « le travail de Béelzebub », et l’archevêque de Cantorbéry d’alors, Geoffrey Fisher, avait demandé que leur clinique soit fermée.
Des ennemis de la science, assurément.
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