Edith Schippers, ministre de la Santé |
L’inflation de l’euthanasie, bien sûr. Alors que les médecins de famille se plaignent depuis plusieurs mois de l’allongement des délais pour obtenir l’approbation des euthanasies qu’ils ont signalées, et donc de tensions liées à l’incertitude quant à leur situation pénale, le ministre néerlandais de la Santé du peuple, du Bien-être et du Sport vient d’annoncer l’embauche d’experts supplémentaires pour les commissions d’évaluation régionales de l’euthanasie, ainsi que des modifications dans leur mode de fonctionnement.
Ces commissions (RTE) sont chargées de prendre connaissance de chaque cas d’euthanasie que le médecin est tenu de leur communiquer a posteriori, et de juger s’il tombe ou non sous le coup de la loi pénale, ou si au contraire les critères de minutie, condition de la dépénalisation, ont été respectés. Il va sans dire que dans l’immense majorité des cas, les euthanasies dont les RTE reçoit le signalement sont jugées conformes.
Au départ, la moyenne des euthanasies annuelles tournait autour des 2.000 – c’était au début de la légalisation en 2001. Resté à peu près stable jusqu’en 2007, leur nombre a ensuite progressé d’environ 11 % par an. Nouveau bond en 2010 : avec 18 % d’euthanasies de plus que l’année précédente, on atteignait 3.136 et la tendance s’est confirmée en 2011, ainsi que sur les premiers mois de 2012, rendant inopérantes les réorganisations des RTE en 2009. On ne tient plus les délais des 6 semaines réglementaires pour répondre aux médecins, ni même, dans certains cas, le deuxième délai de 6 semaines conçu à l’origine pour répondre aux besoins d’informations supplémentaires.
Le côté technique des solutions proposées par Edith Schippers n’offre que peu d’intérêt ; il est censé faire disparaître les retards d’ici à la mi-2013 et consiste essentiellement en la mise en place d’équipes de remplacement pour chacune des 5 RTE qui mobilisent actuellement 30 experts, soit l’embauche de cinq équipes comprenant un juriste, un médecin et un « ethicus » – comme disent les Néerlandais : on hésite à traduire par « moraliste ». 6 secrétaires et personnels de soutien compléteront le tableau. Et désormais les cas « simples » pourront être traités de manière informatique, ce qui permettra de réserver les réunions et les discussions aux cas litigieux : encore un gain de temps. L’objectif visé est de permettre le traitement dans les délais de 5.000 cas par an, ce que Mme Schippers juge réaliste, sachant qu’elle se tient prête à réviser son plan si la « demande » s’avère plus forte.
Dans sa lettre à la Deuxième chambre des états-généraux, datée du 9 avril 2012, elle en dit un peu plus sur ces prévisions qui ne semblent nullement l’inquiéter. Elle se dit même « très satisfaite de ma manière dont la pratique de l’euthanasie est réglée aux Pays-Bas et de la grande implication des personnes et des instances qui s’en occupent ». Mieux, c’est « l’ouverture » croissante à propos du sujet de l’euthanasie qui réjouit Edith Schippers, les Pays-Bas étant une « société où l’on réussit de mieux en mieux à mener la conversation à propos d’une fin de vie qui approche de manière intègre et ouverte ». Ces conversations, à organiser avec les personnes vieillissantes, elle aimerait les voir plus facilement et plus fréquemment engagées, notamment grâce aux directives données aux médecins par leurs associations professionnelles…
En soi ce n’est pas un mal. La question est de savoir comment elles sont orientées.
Pour la ministre, il ne fait pas de doute que le nombre des euthanasies va nécessairement croître : les générations qui vieillissent aujourd’hui sont celles qui « ont eu l’habitude de prendre en main leur propre vie », et puis le nombre des personnes âgées augmente. Question « quantitative » à laquelle il faut ajouter celle, « qualitative », du glissement des motifs de demandes d’euthanasie, puisque selon Mme Schippers « la demande d’euthanasie ou de suicide assisté va augmenter entre autre dans le cadre de maladies psychiatriques ou de patients atteints de démence ». Cela ne s’accompagne d’aucune critique : la ministre souligne tout au plus que cela va entraîner la soumission de « cas plus compliqués » pour les RTE et pourrait donc alourdir leur tâche, tout comme la mise en place d’une clinique d’euthanasie (déjà évoquée sur ce blog).
Elle souligne également que la demande augmente à mesure que l’information à propos de l’euthanasie se fait mieux et que la communication soit satisfaisante entre médecin et patient, et va jusqu’à signaler que cela est dû entre autres aux brochures et sites internet de l’administration, de l’organisation professionnelle des médecins (KNMG) et du NVVE, l’association pour la fin de vie volontaire qui milite actuellement pour un élargissement de l’euthanasie. Plus loin elle se félicite du dialogue mené avec Uit vrije wil (« De plein gré »), une association qui milite pour le droit de mourir pour ceux qui sont simplement « fatigués de vivre » et âgés de plus de 70 ans.
Que toute cette information puisse consister à éviter la réalisation d’euthanasies en venant réellement au secours des malades qui souffrent n’est même pas mentionné dans la lettre de Mme Schippers.
Au contraire, elle veut améliorer l’information sur les « directives anticipées », et ne fait que souligner en passant que des conversations avec des associations chrétiennes, notamment, lui ont fait découvrir que l’information donnée par les pouvoirs publics « est sans doute un peu moins claire » à propos des soins palliatifs par exemple. Mme Schippers a promis « de déblayer tout cela » après quoi, « si nécessaire », elle prendra des mesures.
Pour ce qui est de voir les pouvoirs publics néerlandais s’inquiéter de voir l’accélération des euthanasies, on repassera.
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Juste une remarque: il serait sans doute utile d’expliquer aux lecteurs français ce que Mme Smits appelle “la Deuxième chambre des états-généraux” (en néerlandais: “de Tweede Kamer van de Staten-Generalen”). Il s’agit de la chambre basse du parlement, soit à peu près l’équivalent de l’Assemblée nationale en France.