Alors que le pouvoir législatif chilien cherche à introduire une légalisation au moins partielle de l’avortement, en utilisant le levier des « cas limite » pour imposer le soi-disant « avortement thérapautique ». Dimanche, le président du Chili, Sebastian Piñera, a publié dans El Mercurio une lettre ouverte intitulée « Mon engagement pour la vie » où il détaille précisément les raisons qui lui font rejeter l’élimination des enfants à naître pour quelque raison que ce soit. Elle est remarquable.
Voilà un président démocratiquement élu, à la tête d’un pays qui ne se porte pas si mal avec une croissance supérieure à 6 % l’an dernier, où le taux de mortalité maternelle est le plus bas du monde latino-américain, qui n’a pas peur de prendre cette position taboue en France. Mais qui a des leçons à faire à l’autre ?
Voici ma traduction de la lettre de Sebastian Piñera. On prêtera particulièrement attention aux derniers paragraphes où il met bien en évidence le fait qu’il ne cherche pas à condamner les femmes qui avortent, soulignant la souffrance provoquée par chaque avortement et les détresses qui les poussent si souvent à commettre l’irréparable. Une bonne politique pour la vie ne peut se passer de confronter ces réalités. – J.S.
« J’ai suivi avec une grande attention le débat sur l’avortement, après l’approbation par la Commission de la Santé du Sénat de trois projets de loi tendant à le dépénaliser dans certaines circonstances.
Avant d’exprimer mon point de vue sur le fond, je crois qu’il est utile de passer par deux considérations de forme. La première, c’est qu’il s’agit d’un débat légitime et nécessaire dans une société démocratique et plurielle comme la nôtre. La deuxième : nous ne devons pas mener ce débat en présumant la mauvaise foi de l’autre ou en le disqualifiant d’emblée, mais en argumentant, avec respect et sérieux, en partant des principes, des convictions et de la recherche du bien commun.
En ce qui concerne le fond, comme le sait le pays tout entier, je suis opposé à la légalisation de l’avortement pour des raisons à la fois multiples et de nature diverse. Je m’appuie sur la sérénité que me donne le fait qu’il s’agit d’une position que j’ai maintenue en public et en privé, tout au long de ma vie, y compris lorsque je fus sénateur, deux fois candidat à la présidence, et c’est ce qui a figuré dans les divers programmes présidentiels avant d’être ratifié aujourd’hui par moi en tant que président de la République.
Cette position ferme et claire est soutenue par des arguments de natures distinctes. De nature juridique d’abord. Notre Constitution politique assure à chaque personne le droit à la vie. Aussi bien la Cour suprême que le Tribunal constitutionnel ont invariablement jugé que, en accord avec notre ordonnancement juridique, l’enfant à naître (nasciturus) est aussi une personne, dont la vie doit être protégée. Et si cela n’était pas suffisant, la Constitution elle-même charge le législateur d’adopter les mesures nécessaires pour « protéger la vie de celui qui est à naître ».
La deuxième raison est d’ordre pratique. Dans le doute, il vaut toujours mieux choisir la vie. Car même à supposer que nous n’aurions pas de certitude par rapport au traitement juridique qu’il faut réserver à une vie humaine en gestation, ce qui est correct et sage, c’est d’adopter une position humble et choisir celle qui soit la plus favorable à la protection et au développement de cette vie. S’agissant de questions qui impliquent la vie ou la dignité humaine, par conséquent, il vaut mieux être prudents que d’agir de manière précipitée.
La troisième raison est qu’il ne s’agit pas d’une décision qui incombe seulement à la mère ou aux parents de l’enfant à naître. Entre aussi en ligne de compte la vie d’un être nouveau, unique, irremplaçable et distinct de ses parents, dont la vie doit être défendue avec la plus grande force, précisément en raison de sa pleine innocence et du fait qu’il est sans défense.
La quatrième raison est d’ordre religieux. En tant que chrétien je crois que la vie est un don de Dieu. Lui seul a le pouvoir de donner la vie et le droit de l’enlever. C’est pourquoi je suis partisan de protéger la vie et la dignité humaine depuis sa conception jusqu’à la mort naturelle. Et, pour la même raison, je suis également opposé à l’euthanasie et à la peine de mort.
Sans préjuger de cela, je suis conscient de ce que cet argument religieux n’est pas en lui seul suffisant pour justifier une interdiction étatique absolue de l’avortement dans notre pays. Entre autres raisons, parce que cela n’a pas de sens de débattre dans la sphère publique à partir de convictions purement religieuses, qui ne peuvent pas être discutées, qui ne peuvent et qui ne doivent pas être soumises à la règle de la majorité propre à un système démocratique.
Une bonne part de la discussion de ces derniers jours s’est concentrée sur ce qui est, sans aucun doute, le cas le plus dramatique dans lequel puisse se trouver une mère enceinte : celui d’avoir à décider s’il faut ou non mettre en œuvre un traitement médical qui permettrait de sauver sa vie, mais au prix d’un risque pour le fils ou la fille qu’elle porte en son ventre. Heureusement, les avancées de la science et de la médecine ont fait que la possibilité d’une collision inévitable entre ces deux vies soit devenue hautement improbable. Mais même ainsi, nous ne sommes pas en mesure d’exclure que de telles situations puissent se produire. Pour ces cas exceptionnels et extrêmes, il ne fait aucun doute que notre ordonnancement juridique comme les protocoles médicaux autorisent l’intervention, chirurgicale ou thérapeutique, pour sauver la mère si elle en décide ainsi, même si, comme effet non désiré ni recherché, elle peut mettre en risque la vie de l’enfant. En deux mots : si la mère choisit de subir le traitement qui sauvera sa vie mais non celle de son enfant, nous ne sommes pas dans un cas d’avortement. De la même manière, si elle choisit la vie de son enfant en risquant ou en sacrifiant la sienne propre – une décision qu’il faut respecter – elle ne commettrait pas un suicide. Il s’agit d’une décision sans doute déchirante, devant laquelle la société peut et doit accompagner et soutenir la famille affectée, mais sans jamais la juger et encore moins la condamner.
D’autre part, les arguments en faveur de l’avortement eugénique, qui sont ceux mis en avant dans les cas de non-viabilité ou de malformation fœtale, et de l’avortement que l’on a pu appeler « éthico-social », qui permettrait de mettre fin à une grossesse consécutive à un viol, sont incorrects puisqu’ils supposeraient de nous arroger le droit de classifier certains être humains comme supérieurs – ceux qui méritent de vivre – et inférieurs – ceux qui ne méritent pas de vivre –, et qu’ils permettraient en outre de condamner à mort des êtres absolument sans défense et innocents quant aux circonstances de leur conception.
Mais il ne suffit pas simplement de s’opposer à l’avortement même si c’est pour d’excellentes raisons. Nous ne savons pas avec exactitude combien d’avortements provoqués ont lieu chaque année au Chili, entre autres parce qu’il s’agit là d’actes illicites, et que l’immense majorité de ceux qui les pratiquent le font donc de manière clandestine et secrète pour éviter d’encourir une peine pénale. Mais ce nous savons, malheureusement, c’est qu’il ne s’agit pas d’une pratique isolée dans notre pays, mais que leur nombre se compterait, au meilleur des cas, en dizaines de milliers par an. Cela veut dire que nous sommes au devant d’une situation dramatique, non seulement pour ces milliers d’enfants qui ne naîtront jamais, mais aussi pour leur mère, leur famille et la société tout entière.
En conséquence, nous devons tenter de découvrir ses causes profondes, mieux comprendre ses conséquences et mettre en œuvre une politique meilleure pour prévenir les avortements et les grossesses non désirées. Cela a été un engagement central de notre gouvernement, à travers de multiples politiques publiques, parmi lesquelles je voudrais signaler : premièrement, augmenter le congé post-natal de trois à six mois et améliorer sa couverture, pour indemniser non plus seulement une femme sur trois mais la totalité des femmes qui travaillent et qui sont à l’âge fertile, pour bénéficier ainsi potentiellement à deux millions et demi de femmes chiliennes. Ainsi nous voulons que la maternité ne soit jamais un obstacle pour accéder à un travail, ni que le travail soit un obstacle pour devenir mère.
Deuxièmement, le programme de maternité vulnérable, développé par le Sernam, qui a déjà bénéficié à plus de 55.000 femmes. Ce programme inclut des psychologues, des avocats, des sociologues et des assistantes sociales, qui assurent une présence en direct ou en ligne auprès de femmes qui ont des programmes en relation avec la grossesse ou la maternité, comme l’accès au congé pré- et post-natal, la dépression avant et après l’accouchement, les grossesses non désirées, le deuil lors de la perte d’un enfant, les problèmes rencontrés pour le versement de pensions alimentaires, les frais scolaires etc.
Troisièmement, le programme du Sernam dirigé vers les mères adolescentes, qui aide des milliers de femmes en matière de réinsertion éducationnelle et au travail, la garde des enfants, la prévention de nouvelles grossesses non désirées.
Ces programmes sont spécialement utiles et nécessaires parce que je suis certain qu’aucune mère qui a recours à l’avortement ne le fait sans un profond déchirement intérieur et qu’il est la plupart du temps inspiré par une sentiment d’angoisse et d’abandon. Derrière cet acte se cachent souvent le désespoir, l’abandon, et l’incompréhension de la société et souvent de la famille, qui font qu’elle se sent incapable ou dans l’impossibilité de mener sa grossesse à un heureux terme.
D’aucuns prétendent que le Chili serait un pays moins moderne et civilisé parce qu’il n’imite pas ce que font les autres nations supposées plus développées, ou non seulement l’avortement est légal mais où il est même largement accepté. Ils oublient que le Chili a une tradition plus que centenaire de protection des droits humains. Que nous avons été l’un des premiers pays au monde à établir la liberté des ventres [principe qui faisait de l’enfant né de l’esclave un être libre au lieu de le considérer comme faisant partie du patrimoine du propriétaire de sa mère] et à interdire l’esclavage. Et que précisément la manière dont une société traite ses membres les plus faibles – les adultes âgés, les malades, les plus pauvres, ceux qui souffrent d’un quelconque handicap et les enfants à naître – en dit bien plus long sur son degré de civilisation que sa richesse matérielle, ou la hauteur de ses édifices, la qualité de ses infrastructures ou sa puissance militaire. »
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