L’excellent site de veille bioéthique australien BioEdge attire l’attention sur une étude menée par la Royal Society britannique qui se glorifie d’être la plus ancienne académie scientifique en exercice depuis sa fondation en 1660. Celle-ci se penche depuis quelque temps sur les avancées des neurosciences et leurs implications éthiques et vient de publier un rapport sur les liens de nouvelles découvertes en ce domaine avec des applications militaires et de police déjà utilisées ou prévisibles à court ou moyen terme. Document aussi passionnant qu’inquiétant par beaucoup de côtés puisque s’y dessine un avenir de possible manipulation des cerveaux et des potentialités humaines qui même dans les applications présentées par le rapport comme bénéfiques, posent d’importantes questions quant au respect de la personnalité et de la liberté humaine.
Quant à l’usage offensif et malveillant de ces nouvelles connaissances, il semble inévitable, tant il est vrai que toute techique peut servir au bien ou au mal…
A noter dans l’introduction : les savants rédacteurs du rapport affirment qu’ils s’en sont tenus aux faits, applications et recherches dont la réalité est publiquement connue, du matériel qui n’est donc pas « classé » secret-défense, parce que les intéressés en ont fait publiquement état, et précisent : « Les principaux bailleurs de fonds de ce type de travail (les Etats-Unis) sont relativement ouverts à propos de leurs activités et l’on peut donc avancer que ce qu’ils annoncent est fiable. »
Fiable peut-être. Mais complet ?
Parmi les applications positives, le rapport invoque un certain nombre de techniques qui, soit par exploitation de l’imagerie numérique de l’activité cérébrale, soit la stimulation électrique ciblée des zones du cerveau, soit l’administration de substances chimiques, permettent d’améliorer les performances des combattants dans un contexte de conflit, voire de les recruter selon leurs qualités personnelles.
Exemples : étudier l’activité cérébrale des recrues pour savoir s’ils sont plus doués pour la prise de risque, les décisions réfléchies ou la négociation en vue de solutions pacifiques ; s’ils ont des capacités de perception annonçant une meilleure reconnaissance des cibles, etc.
Différentes techniques permettraient dans un avenir qui n’est pas lointain de relier directement le cerveau des acteurs de conflits à des machines pour les diriger par la pensée (le rapport ne pose pas la question si cette lecture de la pensée marche dans les deux sens, permettant une orientation de la pensée !). En tout cas le gouvernement britannique assure que le développement, l’acquisition et l’usage de substances chimiques incapacitantes sont interdits par la loi des traités internationaux, selon le rapport, et ne s’y livrera pas.
Une première application thérapeutique permet de prévoir la création – en moins de dix ans – de prothèses qui puissent être commandées par le cerveau du patient. Mais aussi d’« effacer » des souvenirs pénibles responsables par exemple du stress post-traumatique : si l’on peut ainsi effacer des souvenirs mauvais, qu’est-ce qui empêche de mener plus loin la reprogrammation du cerveau ?
La prise de substances chimiques appropriées permettrait de réduire le besoin de sommeil en temps de conflit, d’améliorer les performances, d’augmenter la résistance au stress ; d’autres techniques de rendre perceptibles ou en tout cas utilisables les perceptions sub-conscientes.
On envisage même d’utiliser une substance comme l’ocytocine (l’hormone qui, pense-t-on, agit en faveur des liens humains puisqu’elle est dégagée lors des relations sexuelles, de l’accouchement et de l’allaitement) pour améliorer la cohésion et diminuer la compétitivité ou la rivalité au sein d’une équipe d’action.
Il y a aussi des applications offensives.
Le rapport cite les substances chimiques qui, administrées individuellement ou collectivement (par exemple grâce à l’utilisation d’aérosols) pourraient avoir des effets d’ordre divers en agissant directement sur le système nerveux : de l’anesthésie provisoire collective à la détection du mensonge ou (mais c’est plus hypothétique même à moyen terme) à la détection des intentions immédiates d’un individu, voire à la possibilité de provoquer dans des foules des états d’excitation ou de violence. Certaines substances pourraient provoquer une perturbation des ondes du cerveau induisant la confusion généralisée.
Cela en fait des armes chimiques potentielles qu’il serait urgent de réguler par les traités internationaux puisque, non létales, elles ne sont pas nécessairement couvertes par les instruments existants (à supposer que ceux-ci soient respectés).
On imagine aussi l’intérêt que peut représenter un tel arsenal pour le maintien de l’ordre, la répression des émeutes ou la simple maîtrise de manifestations…).
On pense, assure le rapport, que de telles mises en œuvre ne sont pas pour demain puisque la manière dont les personnes, notamment les personnes les plus faibles comme les enfants, les vieillards, etc. réagissent à de telles substances peuvent être très diverses. Le rapport rappelle que l’utilisation d’aérosols contre des preneurs d’otages tchétchènes dans le théâtre Dubrovka à Moscou a provoqué la mort de 129 otages et causé de graves dommages à beaucoup d’autres, d’autant que le gouvernement n’avait pas voulu rendre publique la nature de la substance utilisée.
De nouvelles possibilités d’intervention chimique, souligne le rapport, sont fournies par les nanotechnologies : le cerveau humain est bien protégé des agents extérieurs, infectieux notamment, mais aujourd’hui des composés chimiques comme des peptides introduits dans le sang, incapables normalement de franchir la barrière du cerveau, peuvent la dépasser grâce à la nanotechnologie, confirment des recherches récentes. Les applications ne seraient alors pas seulement thérapeutiques…
Le rapport consacre un chapitre à la Ritaline, médicament largement prescrit aux enfants hyperactifs, beaucoup aux Etats-Unis, moins en France où le corps médical est généralement bien réticent. Des tests cités par le rapport laissent constater que ces drogues améliorent les capacités de mémoire de travail spatiale et de planification, mais non les capacités verbales, et réduisent la circulation sanguine au sein de régions cérébrales sollicitées pour des tâches particulières. Le rapport souligne que les effets à long terme de la Ritaline ne sont pas clairement connues et qu’elle est susceptible de créer des addictions, et peut avoir des effets secondaires cardiovasculaires non désirables.
En attendant de nous arroser de stimulateurs de la violence, de brouiller nos cerveaux ou de nous inciter à une coopération non-concurrentielle avec nos collègues, on pourrait peut-être au moins cesser d’exposer les enfants à de telles manipulations ?