Mgr Timothy Dolan, l’archevêque de New York, a fait paraître dans l’édition du dimanche 25 décembre du quotidien New York Daily News, une « opinion » sur la christianophobie – un mot qu’il ne craint pas d’utiliser contrairement à certains de ses confrères dans l’épiscopat en France… Ces réflexions ont, bien sûr, été écrites avant qu’on apprenne l’abominable tuerie perpétrée par les islamistes du Boko Haram au Nigéria ce même saint jour de Noël, avec cet attentat contre l’église St. Theresa de Madala, qui a tué 35 personnes et en a blessé 52… En voici la traduction.
Ce week-end, les chrétiens de toute la terre bonderont les églises afin de célébrer l’anniversaire de Jésus, acceptant l’invitation des anges, au milieu de la nuit et au-delà de Bethléem, de « venir pour L’adorer », cet enfant qu’ils reconnaissent comme leur Seigneur et sauveur.
Ils prieront et chanteront, riront et se prendront dans les bras, se souhaitant mutuellement paix et joie au moment de quitter l’église et de retourner chez soi pour les cadeaux et le repas festif avec la famille et les amis.
Ils vivront tout cela dans une totale sécurité et tranquillité. Il n’en est pas exactement ainsi pour une partie grandissante du reste du monde. Si de récents et menaçants événements sont annonciateurs, les chrétiens d’Égypte, de Chine, d’Irak, d’Inde, de certaines parties d’Afrique ou d’Indonésie – pour ne citer que quelques endroits – dissimuleront ce saint jour lorsqu’ils quitteront leurs maisons pour aller à l’église, évitant les gens, empruntant des rues discrètes, se dépêchant de gagner une église plongée dans l’obscurité, avec leurs prières difficilement joyeuses au moment de célébrer la naissance du Prince de la Paix. Beaucoup espèreront qu’aucune bombe n’explosera durant l’office, que nul terroriste ou policier hostile ne fera irruption, et qu’ils pourront rentrer sains et saufs, pour une célébration silencieuse et secrète avec la famille et les amis apeurés.
Selon l’International Conference on the Freedom of Religion [conférence internationale pour la liberté de religion], qui s’est réunie plus tôt ce mois-ci, rassemblant des responsables de communautés orthodoxes, protestantes, catholiques, juives et musulmanes, les chrétiens sont devenus aujourd’hui la communauté religieuse la plus persécutée au monde.
Cette haine et cette intolérance portent même un nom : la christianophobie.
J’ai récemment eu l’honneur de parler à la convention de l’Anti-Defamation League [ligue contre la diffamation], ici, à New York. La partie de mon discours qui recueillit les applaudissement les plus sonores et les plus appuyés était : « Les juifs et les catholiques ont besoin d’être encore plus unis étroitement aujourd’hui, parce que quelque part, alors que nous parlons, des innocents juifs ou catholiques sont dans le collimateur d’un fusil porté par un fanatique qui les hait pour leur seule foi. »
Selon l’International Society for Human Rights [société internationale des droits de l’Homme], basée à Francfort, qui se présente elle-même comme un groupe laïque, 80 % des actes d’intolérance religieuse de par le monde sont aujourd’hui dirigés contre les disciples de Celui dont nous célébrons l’anniversaire dimanche.
Comme John Allen, journaliste internationalement respecté, l’écrit : « La menace ne vient pas simplement d’un extrémisme islamique grandissant, mais d’une déconcertante variété de forces : l’essor d’un radicalisme hindou en Inde ; la politique de régimes officiellement athées en Chine et en Corée du Nord ; les vieilles rivalités tribales et ethniques dans certaines parties de l’Afrique… » (et, il ajoute de manière agaçante : « et même du préjugé laïque contre toute foi religieuse en Europe et en Amérique du Nord. »).
Les gouvernements restent là à ne rien faire. Demandez simplement à l’un des 300 chrétiens blessés, ou aux familles et amis des 27 personnes massacrées au Caire, le 9 octobre dernier – dans ce que John Allen appelle la « Nuit de cristal chrétienne » en Égypte –, comment les soldats non seulement échouèrent à protéger les chrétiens, mais participèrent carrément à l’orgie de violence.
Le cardinal Kurt Koch, ambassadeur du Vatican auprès des religions dans le monde, qui était récemment à New York, a même parlé d’un œcuménisme des martyrs, puisque que les croyants doivent maintenant expérimenter une nouvelle solidarité entre fidèles de toutes les religions pour défendre la sécurité et la liberté religieuse contre ceux qui versent leur sang en raison de leur foi. Le ministre des Affaires étrangères du Vatican, Mgr Dominique Mamberti, réclame une « Journée mondiale de prière pour les victimes des persécutions religieuses ».
Il y a quelques années, j’ai visité un camp de réfugiés en Orissa, en Inde, juste après le Nouvel An. Des milliers de réfugiés catholiques étaient entassés dans le camp, dont prenaient soin avec tendresse les sœurs de la bienheureuse Mère Teresa, aidés par les organisations humanitaires catholiques. Ils ont été chassés de leurs villages, après avoir vu leurs femmes violées, leurs cabanes brûlées, et des dizaines de voisins frappés à mort à coups de machettes, lors d’une attaque menée par des extrémistes hindous. Il était encore trop dangereux pour eux de retourner chez eux. Le gouvernement ne semblait pas désireux de les protéger s’ils regagnaient leur village rasé.
Une petite fille me chuchota : « J’espère que notre arbre de Noël, notre crèche et les cadeaux sont toujours là. Nous avons dû fuir avant la messe de minuit et tout abandonner à la maison… »
Je me souviendrai, assurément, de cette petite fille lorsque je m’agenouillerai tranquillement et souriant en toute sécurité, dans la paix de Noël, devant la mangeoire de la cathédrale Saint-Patrick.