Maternité de Nancy. Nous sommes en novembre 2008. Un jeune couple vient de prendre connaissance des résultats d’une échographie des 22 semaines : l’enfant qu’ils attendent, une petite fille, n’a pas d’avant-bras gauche et une clavicule plus longue que l’autre. Rien qui menace sa vie. Les parents rencontrent des spécialistes pour mieux comprendre ce qui se passe : un rééducateur, un généticien, un psychologue… Entretiens qui aboutiront, début décembre, à une demande d’« interruption médicale de grossesse » (IMG), un avortement à près de 5 mois, au motif de la gravité du handicap et de l’état dépressif de la maman, survenu lorsqu’elle apprit la mauvaise nouvelle.
Mais le 29 décembre 2008, la demande d’avortement « médical » est rejetée par le centre puridisciplinaire de diagnostic prénatal de Nancy, après consultation d’une vingtaine d’experts, au motif que « seules les anomalies d’une particulière gravité reconnues comme incurables » peuvent justifier « l’interruption de grossesse » – les progrès de l’appareillage sont invoqués. Bruno Carrière, directeur du centre, invoquera tout de même « l’extrême difficulté qu’il y a eu à trancher ce cas ».
La petite fille est donc née ; elle a au aujourd’hui deux ans et demi…
Eh bien, ses parents ont engagé une action contre l’hôpital de Nancy pour « préjudice moral ». Ils demandent que soit reconnu le dommage provoqué par le refus de l’IMG. Invoquent le profond désespoir qu’ils ont ressenti. Et la dépression dont a été victime la mère. Pour leur fille, ils réclament 50.000 euros supplémentaires puisqu’elle devra être appareillée toute sa vie et que cela aurait pu s’éviter… s’ils avaient eu le choix de la faire éliminer.
Après avoir été rejetée par le tribunal administratif, l’affaire vient d’être entendue par la cour d’appel administrative de Nancy, qui a mis sa décision en délibéré. Si le rapporteur public s’est prononcé pour le rejet de la demande, il n’en a pas moins souligné, comme le rapporte Le Républicain lorrain, « le caractère très délicat de cette affaire », personne ne jugeant a priori illégitime l’idée de faire pratiquer un avortement tardif pour un avant-bras manquant.
Les refus d’IMG ne concernent qu’1,5 % des quelque 6.000 demandes par an, selon l’avocat du couple, citant des chiffres de 2006. (Israël Nisand, dans un reportage d’Envoyé spécial à paraître, parle aujourd’hui de 7.000 IMG annuelles.) Me Brosseau a rappelé que selon une étude (effrayante) du Quotidien du Médecin citée ici, la malformation fœtale, comme dont souffre la fille de ses clients est la première cause de l’IMG en France : 43 % en 2006 (contre 33,8 % pour des anomalies chromosomiques comme la trisomie 21). Autrement dit, un grand nombre d’IMG se pratique sur des enfants dont le pronostic vital n’est pas du tout en jeu.
L’essentiel du procès qui se joue actuellement devant la cour d’appel administrative porte sur le droit de choisir des parents. Déjà absolu pendant les douze premières semaines de gestation où aucune justification n’est demandée, aucune condition n’est posée à la femme demandant l’IVG, voilà que l’on avance un droit de choisir à un stade bien plus avancé de la grossesse, dans un contexte où la loi pose un principe (l’existence d’une anomalie incurable) mais laisse ouverte l’interprétation des conditions d’accès à l’IMG.
Claude Sureau, gynécologue-obstétricien, ancien président de l’Académie de médecine s’était exprimé sur la question dans La Croix du 29 janvier 2009, a plaidé contre l’établissement d’une « liste » d’affections qui ouvriraient ce droit au choix de l’IMG : « Elle serait, par définition, totalement arbitraire et sujette aux polémiques. Il est donc préférable que le recours à l’IMG soit accepté, ou pas, au cas par cas, en fonction du handicap spécifique de l’enfant mais aussi de l’état de la mère. »
La Croix n’y avait rien trouvé à redire.