Samedi dernier, à 11 h du matin, Benoît XVI a reçu des évêques américains à l’occasion de leur visite ad limina, dans la salle du consistoire du palais apostolique. Ces évêques venaient de trois régions apostoliques des États-Unis (I : Connecticut, Massachusetts Maine, New Hampshire, Rhode Island, Vermont ; II : New York ; III : New Jersey, Pennsylvanie). Benoît XVI leur a fait un discours (plus qu’intéressant : important) que j’ai traduit à partir de la version anglaise qui est la langue dans laquelle le pape l’a prononcé. « Soyez prophètes ! » serait, en quelque sorte, la grande synthèse de ce discours aux évêques américains, une invitation qui ne s’adresse, évidemment, pas qu’à eux… À lire et à méditer.
Chers frères évêques, je vous salue tous avec affection dans le Seigneur et, à travers vous, les évêques des États-Unis qui, dans le courant de l’année qui vient, feront leurs visites ad limina Apostolorum.
Ces rencontres sont les premières depuis ma visite pastorale dans votre pays, en 2008, et dont l’intention était d’encourager les catholiques d’Amérique à la suite du scandale et de la désorientation causés par la crise des abus sexuels des récentes décennies. J’ai souhaité me rendre compte personnellement de la souffrance infligée aux victimes et des efforts sincères réalisés pour assurer la sécurité de nos enfants et pour traiter de manière appropriée et transparente des allégations quand elles se manifestent. J’ai l’espoir que les efforts consciencieux de l’Église pour affronter cette réalité aideront la société dans son ensemble à identifier les causes, la véritable étendue et les conséquences dévastatrices des abus sexuels, et de répondre efficacement à ce fléau qui affecte tous les niveaux de la société. De même, comme l’Église est à juste titre tenue d’appliquer ses normes strictes dans ce domaine, toutes les autres institutions, sans aucune exception, devraient être tenues aux mêmes normes.
Une deuxième et également importante raison de ma visite pastorale était d’inviter l’Amérique à admettre, à la lumière d’un paysage social et religieux en train de changer spectaculairement, l’urgence et les exigences d’une nouvelle évangélisation. Dans la perspective de ce but, j’ai le projet, dans les mois à venir, de soumettre à votre intention un certain nombre de réflexions que, j’espère, vous trouverez utiles pour le discernement auquel vous être appelés à faire dans votre mission de conduire l’Église vers le futur que le Christ nous ouvre.
Beaucoup d’entre vous ont partagé avec moi leur préoccupation quant aux sérieux défis que pose une société toujours plus sécularisée à un témoignage chrétien cohérent. Je considère, cependant, et cela est important, que se développe aussi un sentiment de préoccupation chez beaucoup d’hommes et de femmes, indépendamment de leurs opinions religieuses ou politiques, quant à l’avenir de nos sociétés démocratiques. Ils constatent un écroulement troublant des fondements intellectuels, culturels et moraux de la vie sociale, et un sentiment croissant de déracinement et d’insécurité, particulièrement chez les jeunes, dans le contexte de changements sociétaux de grande ampleur. Malgré les tentatives de faire taire la voix de l’Église dans l’espace public, beaucoup de personnes de bonne volonté continueront à se diriger vers elle pour ce qui est de la sagesse, de la perspicacité et des conseils avisés afin d’affronter cette crise de grande envergure.
Le temps présent peut donc être envisagé, en termes positifs, comme un appel à exercer la dimension prophétique de votre ministère épiscopal en proclamant, humblement mais avec insistance, au nom de la défense de la vérité morale, en offrant une parole d’espoir, capable d’ouvrir les cœurs et les esprits à la vérité qui nous rend libres.
En même temps, le caractère grave des défis que l’Église en Amérique, sous votre direction, est appelée à affronter dans un proche avenir ne doit pas être sous-estimé. Les obstacles à la foi et à la pratique chrétiennes posés par une culture sécularisée affectent aussi les existences des croyants et conduisant parfois à un « abandon silencieux » de l’Église que vous m’aviez évoqué lors de ma visite pastorale. Immergés dans cette culture, les croyants sont quotidiennement assaillis par les objections, les interrogations troublantes et le cynisme d’une société qui semble avoir perdu ses racines, par un monde dans lequel l’amour de Dieu s’est refroidi dans tant de cœurs. Ainsi, l’évangélisation n’apparaît pas seulement comme une tâche à entreprendre ad extra ; nous les premiers avons besoin de la réévangélisation. Comme dans toutes les crises spirituelles, qu’elles soient celles de personnes ou de communautés, nous savons que la réponse ultime ne peut naître que d’une recherche, d’une auto-évaluation critique et continuelle et d’une conversion dans la lumière de la vérité du Christ. Ce n’est que par ce renouveau intérieur que nous serons capable de discerner les besoins de notre temps et d’y répondre avec la vérité toujours jeune de l’Évangile.
À ce point, je ne saurais manquer d’exprimer mon appréciation pour le progrès réel que les évêques américains ont accompli, tant à titre personnel qu’à celui de leur Conférence, en répondant à ces questions et en travaillant ensemble à préciser une vision pastorale commune, ce dont on peut constater les fruits comme, par exemple, dans vos récents documents sur la « Faithful Citizenship » et l’institution du mariage. L’importance de ces expressions magistrales de votre préoccupation partagée pour l’authenticité de la vie et du témoignage de l’Église dans votre pays devrait être évidente à tous.
En ce moment, l’Église aux États-Unis met en place la traduction révisée du Missel romain. Je suis reconnaissant de vos efforts pour vous assurer que cette nouvelle traduction inspirera une catéchèse continue soulignant l’authentique nature de la liturgie et, par dessus tout, la valeur unique du sacrifice salvifique du Christ pour la rédemption du monde. Un sens affaibli de la signification et de l’importance de l’adoration chrétienne ne peut que conduire à un sens affaibli de la vocation spécifique et essentielle des laïcs à imprégner de l’esprit de l’Évangile l’ordre temporel. L’Amérique possède une fière tradition de respect pour le repos dominical ; cet héritage doit être renforcée par un appel exigeant au service du Royaume de Dieu et pour le renouveau du tissu social, selon sa vérité qui ne change pas.
En fin de compte, toutefois, le renouveau du témoignage à l’Évangile de l’Église dans votre pays est essentiellement lié au rétablissement d’une vision partagée et d’un sens de la mission par toute la communauté catholique. Je sais que c’est là une préoccupation proche de votre cœur, comme cela est reflété dans vos efforts pour encourager la communication, la discussion et le témoignage cohérent à tous les niveaux de la vie de vos Églises locales. Je pense, en particulier, à l’importance de universités catholiques et aux signes d’un sens renouvelé et leur mission ecclésiale, comme en attestent les discussions qui ont marqué le dixième anniversaire de la Constitution apostolique Ex Corde Ecclesiæ, ou encore des initiatives comme celle du symposium qui s’est récemment tenu à la Catholic University of America sur les tâches intellectuelles de la nouvelle évangélisation. Les jeunes ont le droit d’entendre en toute clarté l’enseignement de l’Église et, plus important encore, d’être inspéré par la cohérence et la beauté du message chrétien afin qu’ils puissent à leur tour instiller chez leurs condisciples un profond amour pour le Christ et son Église.
Chers frères évêques, je suis conscient des nombreux et pressants problèmes, qui semblent par moment insolubles, que vous devez affronter au quotidien dans l’exercice de votre ministère. Avec la confiance qui naît de la foi et avec beaucoup d’affection je vous offre ces mots d’encouragement et je vous recommande bien volontiers ainsi que votre clergé, vos religieux et les fidèles laïcs de vos diocèses à l’intercession de Marie l’Immaculée, Patronne des États-Unis. À vous tous j’accorde ma bénédiction apostolique en gage de sagesse, de force et de paix dans le Seigneur.
Merci pour ce beau texte, dont on peut faire son profit de ce côté-ci de l’Atlantique.
A signaler une coquille ( 19ème ligne en partant de la fin) : je “c’est” que c’est une préoccupation…