Mark Levels |
Cette thèse sera soutenue le mercredi 7 décembre à l’université Radboud de Nimègue par le sociologue Mark Levels : plus la loi d’avortement d’un pays est libérale, plus il y a d’avortements, plus elle est restrictive, moins il y a d’avortements. Mais, ajoute le chercheur, une politique de contraception plus libérale fait encore davantage baisser leur nombre.
Selon les éléments de sa thèse de doctorat diffusées ces derniers jours dans la presse néerlandaise, Mark Levels s’est intéressé aux législations existant dans les pays d’Europe ainsi qu’aux statistiques relatives aux « choix de fertilité » des femmes résidant dans ces pays en y intégrant les données disponibles sur l’avortement et le recours à la contraception. La corrélation est nette : moins il y a de freins à l’avortement électif, plus le taux de grossesses et d’avortements augmente même si, selon l’étude, la différence n’est pas très grande.
Les restrictions en question portent par exemple sur le délai pendant lequel la femme peut choisir d’avorter sans donner de raison, ou encore la nécessité ou d’apporter la preuve d’un problème de santé pour la mère, ou d’un problème socio-économique : selon les pays, ces facteurs sont acceptés ou non.
La très grande majorité des pays européens ont une législation libérale, voire très libérale. Et c’est là que le choix d’avorter est le plus fréquent. Levels observe notamment que dans les pays aux lois les plus libérales, les femmes ayant le plus bas niveau d’études ont une chance accrue de tomber enceintes : « De tel constats sont difficiles à expliquer. Cela pourrait vouloir dire que les femmes des classes inférieures ont un comportement sexuel plus risqué lorsqu’elles peuvent considérer l’avortement comme une sorte d’assurance, mais je ne peux donner une bonne interprétation de cela sur la base de mon type d’enquête. »
Mark Levels s’est servi des enquêtes de population de l’ONU entre 1960 et 2010 réalisées dans un grand nombre de pays européens, y compris ceux de l’ancien bloc de l’Est, portant sur « des milliers » de femmes européennes et l’ensemble de leur vie féconde. A noter cependant que l’étude à « corrigé » certaines données en estimant que le nombre d’avortements rapportés pouvait être inférieur à la réalité. Autrement dit, pour certains pays ce nombre a été réévalué à la hausse et on peut supposer qu’il s’agit en priorité de ceux où la loi est la plus restrictive.
Par ailleurs il n’est pas dit si oui ou non l’Irlande et la Pologne ont été intégrées dans l’étude : ce sont les grands pays européens aux lois d’avortement les plus restrictives. Or les chiffres et taux pour ces pays, disponibles sur ce site, sont aujourd’hui, nettement inférieurs à ceux des autres pays européens, même par rapport aux Pays-Bas qui ont un taux d’avortement paradoxalement bas eu égard à la libéralité de sa loi – l’une des plus libérales au monde.
Levels l’attribue à la libéralité de la politique de contraception aux Pays-Bas, à distinguer me semble-t-il de la « couverture contraceptive » qui est par exemple encore plus élevée en France (où le taux d’avortement demeure élevé et en rapport avec la libéralité de sa loi qui fait de l’avortement un « droit » sur-protégé.
Mark Levels l’explique ainsi : « La pilule est connue, chaque femme y a accès et, pour les plus jeunes, elle est remboursée par l’assurance-maladie ; les préservatifs sont également faciles à obtenir. Une telle politique prévient nombre de grossesses non désirées et, par le fait même, des avortements. Et elle le fait efficacement. Dans presque tous les pays examinés la loi d’avortement a été à un moment plus stricte qu’elle ne l’est aujourd’hui, et dans les périodes plus restrictives, il y avait moins d’avortements. Mais si un pays veut vraiment abaisser les chiffres de l’avortement, il ferait mieux de miser sur une politique anticonceptionnelle libérale.
Il me semble – sous réserve de précisions qui restent à connaître de son étude – qu’il va peut-être un peu vite, car la France a elle aussi une politique d’accès facile à la contraception y compris pour les jeunes et, comme dans la plupart des pays où la contraception est très répandue, le nombre d’avortements n’y régresse pas, et même serait plutôt à la hausse. La prévalence de la contraception est plus grande en Espagne et en France, avec des taux d’avortement bien plus élevés, qu’aux Pays-Bas où elle atteint quelque 70 % de la population féminine en âge de procréer. Il ne semble pas que Levers se soit intéressé à ces chiffres dans le cadre de son étude.
Ce qui change, en revanche, c’est l’attitude générale vis-à-vis de la sexualité aux Pays-Bas.
Celle-ci est vécue presque absolument sans tabous, les jeunes étant incités à faire ce qu’ils ont envie de faire sans qu’il soit question de bien ou de mal : c’est la « réussite » ultime d’une « éducation sexuelle » qui a fini par évacuer les problèmes moraux, aussi bien chez les parents que chez les jeunes, tout en présentant l’avortement comme un signe d’échec et de manque de maturité. Selon certains, cette manière de gommer les questions de conscience est la réponse idéale au problème de l’avortement, mais elle aboutit – me semble-t-il – à une déshumanisation encore plus grande et fait penser au rêve de Pierre Simon : aboutir à une société où les femmes ne sauraient même plus si elles avortent ou non (par le recours habituel à la « régulation menstruelle » par exemple). C’est ce qui se passe avec les stérilets, les dispositifs intra-utérins ou les contraceptifs de longue durée qui prennent une part grandissante parmi les moyens contraceptifs employés.
De fait bien des méthodes contraceptives sont des abortifs très précoces : les « bons » chiffres néerlandais devraient être tempérés par le nombre d’éliminations d’embryons passées inaperçues.
A quoi il faut ajouter une assez importante prévalence de la stérilisation féminine et masculine, même si elle est à la baisse : parmi les femmes aujourd’hui âgées entre 54 et 59 ans, un tiers a été stérilisé ou a un partenaire stérilisé, l’opération étant légale et remboursée.
Il est clair qu’en Pologne, où je réside depuis 18 ans, la loi anti-avortement adoptée dans les années 90 a beaucoup fait évoluer les mentalités. Quand ma belle-mère polonaise était enceinte de ma femme en 1970, elle s’est entendu dire par son gynécologue : “alors, on garde le bébé ou on avorte” ? Aujourd’hui ce serait impensable, l’avortement n’est chose acceptable pour la très grosse majorité des Polonais(e)s. Une initiative populaire récente qui visait à restreindre encore plus la loi actuelle pour n’autoriser l’avortement que lorsque la vie de la mère est en danger (aujourd’hui l’avortement est aussi possible si l’enfant a été conçu par viol ou s’il est atteint d’une maladie grave ou incurable – une notion qui ouvre la porte à pas mal d’abus puisqu’en Pologne aussi on voit se développer l’eugénisme anti-chrosomiques 21, même si c’est à une moindre échelle qu’en France) a recueilli un million de signatures !!! Ce projet de loi a été rejeté par la Diète (chambre basse du Parlement) mais Les partis en faveur d’une libéralisation de la loi actuelle ne font jamais plus de 10-15 % aux élections. Bien entendu, il y a des avortements illégaux, mais ça on ne sait pas combien. Cependant, ce n’est sûrement pas les quelque 200 000 avancés récemment par un association pro-avortement polonaise qui a reconnu qu’elle ne fondait ses estimations sur aucune donnée concrète (quand on pouvait avorter pour raisons socio-économiques, il n’y avait “que” 50 à 60000 avortements par an au début des années 90, donc le chiffre avancé n’est vraiment pas plausible), mais ce qui est sûr c’est que les peines qu’encourent les personnes impliquées dans un avortement illégal, y compris le personnel médical, sont bien trop faibles et aussi que, la Pologne n’étant pas un État très riche, les aides aux mères/parents en difficulté sont trop faibles. Certaines congrégations catholiques se spécialisent dans l’aide aux femmes qui ont des grossesses non désirées mais elles disposent de moyens limités.
Pour la petite histoire, les deux régimes qui ont légalisé l’avortement dans l’histoire de la Pologne sont l’occupant nazi (les Allemandes n’avaient bien entendu pas le droit d’avorter, seules les Polonaises et les Juives le pouvaient) et le régime communiste.
Bon et puis aujourd’hui avec les échographies en 3D, tout le monde sait bien ici qu’à 12 ou 14 semaines le fœtus est bien un petit être humain et que l’avortement est un infanticide. Si les Français ne le savent pas encore, c’est peut-être que la société française ressemble déjà un peu à celle imaginée par Orwell dans “1984”.
Olivier Bault, Varsovie