Dans le dernier numéro du bimensuel L’Homme Nouveau, Denis Sureau analyse le message de l’épiscopat en vue des élections :
On ne peut qu’approuver cette démarche. Rappelant « la haute importance que l’Église, depuis ses origines reconnaît à la fonction politique », les évêques affirment avec détermination que « les catholiques n’entendent pas être des citoyens interdits de parole dans la société démocratique ». Les évêques situent les choix politiques à venir dans le contexte de la « crise globale » qui « touche les pays occidentaux depuis plusieurs dizaines d’années». Ils attirent l’attention sur trois facteurs de transformation. D’abord « le développement des techniques scientifiques », pour le meilleur et pour le pire. Ensuite, « la fin d’une certaine homogénéité culturelle de nos sociétés », conséquence de « vagues d’immigration diverses » et difficilement vécues tant par les étrangers que par les citoyens de souche. Enfin, la montée d’un individualisme qui « finit par dissoudre la vie sociale » : « chacun revendique toujours plus ses droits sans beaucoup s’inquiéter de ses devoirs ». Et « l’éclatement des références éthiques » a un impact grave sur la législation. C’est sur cette toile de fond que les évêques brossent treize « éléments de discernement », avec l’espoir qu’ils pourront servir aux électeurs dans l’évaluation des projets des candidats et des programmes des partis.
Les trois premiers éléments correspondent exactement aux fameux « principes non négociables » définis par Benoît XVI (notamment le 30 mars 2006). Le premier est le respect de la vie naissante, contre l’« instrumentalisation de l’embryon » et l’avortement, pour l’accueil de la vie. Deuxième point : la famille « fondée sur l’union durable de l’homme et de la femme » (ce qui implicitement revient à rejeter le mariage homosexuel). Le troisième critère est une éducation juste respectant notamment « la liberté et la responsabilité des parents, la transmission à tous des savoirs essentiels ». Les évêques n’ont cependant pas voulu se contenter de ces trois points que certains catholiques, à force de les répéter, finissent par croire exclusifs. Élargissant le champ de son analyse, le Conseil permanent insiste sur l’importance de l’intégration des jeunes générations. Il dénonce la situation de banlieues et de cités en proie à la violence et aux trafics. Au sujet de l’environnement, il reprend l’expression d’« écologie humaine » chère à Benoît XVI. Au plan économique, il souhaite une politique pour l’emploi, l’équité des salaires et des échanges, tout en mettant en garde contre ce qui maintiendrait dans la dépendance vis-à-vis de l’État. Sur le problème si explosif de l’immigration, le discours épiscopal manifeste un souci d’équilibre, avec, d’une part, le rappel du droit d’émigrer et, d’autre part, la nécessaire « régulation
des migrations » associée à « une vraie possibilité d’intégration ».Les éléments de discernement suivants touchent au handicap (avec une mise en garde contre le dépistage prénatal systématique), la fin de vie (contre l’euthanasie, pour les soins palliatifs), le patrimoine et la culture. Le jugement porté sur la construction européenne est prudent : si elle représente un « magnifique effort », l’Union européenne « agit trop souvent comme une instance administrative et même bureautique ». Enfin, le dernier point du document épiscopal porte sur la laïcité. Tout en acceptant le régime de séparation issu de 1905, « séparation ne signifie pas ignorance réciproque » et encore moins « refus de toute expression religieuse publique ». Les évêques remarquent que « l’intolérance à l’égard de l’Église catholique (et des religions en général) » n’est pas un vestige du passé.
On le voit : le discours politique des évêques français a changé. Il semble loin, le temps des déclarations marxistes des années soixante-dix, ou socialistes des années quatrevingt. Les évêques semblent progressivement intégrer le concept de « principes non négociables » même si l’expression paraît excessive au cardinal André Vingt-Trois qui, lors de sa présentation du document, a expliqué que la négociation est l’essence de la politique et que les électeurs devront arbitrer. Car soyons francs : si nous plaquons avec application la grille d’analyse proposée par les évêques de France aux programmes proposés, on voit mal quel candidat sortira indemne de l’épreuve.