Sandro Magister vient de publier un article fort éclairant sur son blog sous le titre : « Concile, le chantier est ouvert. Mais certains se croisent les bras »
Sous ce titre très explicite, ils pointent plusieurs acteurs du débat qui eux, à l’approche du cinquantenaire de Vatican II, ont décidé de parler et de débattre. Et là, surprise ! Le premier acteur de ce débat pointé par Magister est le Saint-Siège lui-même, plus exactement la Congrégation pour la Doctrine de la foi, autrement dit, l’ex-Saint-Office. En quoi participe-t-elle au débat qui s’amorce ? Indirectement, bien sûr, mais en tous les cas par le texte du Préambule doctrinal soumis à la Fraternité Saint-Pie X. Voici ce que note Sandro Magister :
Le texte du “Préambule” est secret. Mais, dans le communiqué officiel qui l’accompagnait lorsqu’il a été remis, il est décrit de la manière suivante :
“Ce préambule énonce certains des principes doctrinaux et des critères d’interprétation de la doctrine catholique nécessaires pour garantir la fidélité au magistère de l’Église et au “sentire cum Ecclesia”, tout en laissant ouvertes à une légitime discussion l’étude et l’explication théologique d’expressions ou de formulations particulières présentes dans les textes du concile Vatican II et du magistère qui a suivi”.
Il n’est pas certain que ce dernier aspect soit parvenu jusqu’aux oreilles de nombre d’ecclésiastiques et de théologiens français. Et pas seulement parmi les évêques.
Autre acteur du débat, le cardinal Georges Cottier, héritier du cardinal Journet et théologien émérite de la maison pontificale. Ce dominicain de 89 ans répond dans la revue 30 Jours aux thèses de l’historien Enrico Morini qui identifie (il n’est pas le seul) le concile Vatican II à un retour à la tradition du premier millénaire, sautant ainsi parmi des siècles de l’histoire de l’Église, considérés comme ayant dénaturé l’Église et la foi. La position du cardinal Cottier se veut équilibré et manifeste la position du courant conservateur, les tenants du « ni-ni » dans l’Église (ni progressiste ni intrégriste).
Le cardinal Cottier met en garde contre l’idée que le deuxième millénaire ait été pour l’Église une période de décadence et d’éloignement par rapport à l’Évangile.
Toutefois il reconnaît, dans le même temps, que Vatican II a eu raison de redonner force à une manière de percevoir l’Église qui a été particulièrement vivante au cours du premier millénaire : non pas comme sujet en soi, mais comme reflet de la lumière du Christ. Et il traite des conséquences concrètes qui découlent de cette perception juste.
Magister annonce également la publication prochaine d’une étude sur la liberté religieuse qui montrerait qu’à Vatican II, l’Église a choisi la réconciliation avec une forme de libéralisme au détriment d’un autre. L’auteur, Stefano Ceccanti, professeur de droit public à l’Université de Rome “La Sapienza” et sénateur du Parti Démocratique, montre que les déclarations récentes de Benoît XVI en la matière s’inscrivent bien dans ce registre, ce en quoi il me semble avoir tout à fait raison. Voici ce qu’en dit Magister :
Il y a indiscutablement une rupture entre les affirmations de Vatican II à ce sujet et les précédentes condamnations du libéralisme formulées par les papes du XIXe siècle.
Mais “derrière ces condamnations, il y avait en réalité un libéralisme spécifique, le libéralisme étatiste continental, avec ses prétentions à la souveraineté moniste et absolue, qui était ressenti comme une limitation de l’indépendance nécessaire à la mission de l’Église”.
Alors que, au contraire, “la réconciliation concrète qui a été menée à son terme par Vatican II a été réalisée à travers le pluralisme d’un autre modèle libéral, le modèle anglo-saxon, qui relativise de manière radicale les prétentions de l’État, au point de faire de ce dernier non pas le responsable monopoliste du bien commun, mais un ensemble limité de services publics qui sont mis au service de la communauté. À l’opposition entre deux exclusivismes a succédé une rencontre placée sous le signe du pluralisme”.
(…)
Dans cet essai, Ceccanti analyse les deux discours importants que Benoît XVI a prononcés le 22 septembre dernier au Bundestag à Berlin et le 17 septembre 2010 à Westminster Hall, pour montrer que ces deux discours “sont en pleine continuité avec cette réconciliation opérée par le concile”.
Surprise, le dernier acteur est le prêtre traditionaliste Pietro Cantoni, ancien élève de Mgr Gherardini, qui publie une étude qui entend réfuter son ancien maître. Pour Cantoni, les textes controversés de Vatican II peuvent être lus et interprétés à la lumière de la Tradition. C’est en gros (avec des nuances, bien sûr), en France la thèse du Père Basile du Barroux, de Chémeré-Le-Roi et de La Nef.
Le titre du livre est “Riforma nella continuità. Vaticano II e anticonciliarismo“, [Réforme dans la continuité. Vatican II et l’anticonciliarisme], Sugarco Edizioni, Milan, 2011.
Le livre passe en revue les textes les plus controversés du concile Vatican II pour montrer que, dans ces textes, tout peut être lu et expliqué à la lumière de la tradition et de la grande théologie de l’Église, y compris saint Thomas.
L’auteur, Pietro Cantoni, est un prêtre qui – après avoir passé, dans sa jeunesse, plusieurs années en Suisse dans la communauté lefebvriste d’Écône et en être sorti – s’est formé, à Rome, à l’école de l’un des plus grands maîtres de la théologie thomiste, Mgr Brunero Gherardini.
Mais c’est précisément contre son maître que sont dirigées les critiques contenues dans son livre. Gherardini est l’un des “anticonciliaires” qu’il prend le plus pour cible.
Continuant à évoquer les acteurs du débat, l’article note aussi le prix attribué au travail de Roberto de Mattei dont nous avons déjà parlé ici et note les attaques contre ce dernier, pour conclure :
le calme avec lequel le professeur de Mattei a supporté de tels affronts a été pour tous une leçon d’élégance.
Enfin, Sandro Magister nous annonce la sortie d’un autre ouvrage, dans la lignée de Mgr Gherardini et de Mattei, celui de Alessandro Gnocchi, Mario Palmaro, “La Bella addormentata. Perché col Vaticano II la Chiesa è entrata in crisi. Perché si risveglierà“, [La Belle endormie. Pourquoi l’Église est entrée en crise avec Vatican II. Pourquoi elle se réveillera]. Il s’agit visiblement d’un livre destiné au grand public et qui trouve son pendant avec le
théologien Carlo Molari a lui aussi élargi le cadre de la discussion par une série d’articles qui ont été publiés dans la revue “La Rocca” de l’association Pro Civitate Christiana d’Assise.
Une question demeure. Y a-t-il l’équivalent de ce genre de débat en France ? Pour l’instant, il semble que non ! Vivement demain !
Si ! Sur le Forum Catholique il y a un débat de ce genre et par moment de haut niveau. Je n’y participe moi-même qu’en tant que spectateur attentif, ne voulant pas placer un seul mot qui puisse nuire à la réconciliation envisagée. Peut-être ausi parce que je ne me sens pas la qualification requise. C’est plus que jamais l’heure d’appliquer le proverbe : la parole est d’argent, mais le silence est d’or.
Et plus précieux encore que tout : la prière. Je sais pertinemment que beaucoup prient.
A propos du titre du livre d’Alessandro Gnocchi et de Mario Palmaro: “La bella addormentata” se traduit “la belle endormie” quand on utilise son dictionnaire, et “la belle au bois dormant” quand on utilise sa culture générale. Il n’est pas interdit de saisir l’allusion que contient le titre de Gnocchi et Palmaro.