C’est aujourd’hui que l’Irlande rendait avec l’ONU son rapport périodique d’évaluation des droits humains au Conseil des droits de l’homme à Genève dans le cadre de l’Assemblée générale : c’est la procédure « UPR » par laquelle chaque pays est théoriquement jugé par ses pairs tous les quatre ans pour déterminer les points de non-respect des droits humains qui devront être améliorés au cours de la période suivante.
C’est une procédure à laquelle coopère l’Etat évalué et dans le cas de l’Irlande, de larges consultations de la société civile et des associations ont précédé les auditions à Genève la semaine dernière.
Au bout du compte l’Irlande a eu droit à un rapport portant sur 126 recommandations précises dont elle a accepté d’emblée 62 et promis d’« étudier de près » 49 autres, 15 ayant été rejetées d’emblée.
Sur ces 15 pas moins de 6 portaient sur l’établissement à un « droit » à l’avortement, selon des critères différents selon les pays demandeurs :
1. La Norvège demandait l’alignement de la loi irlandaise sur la convention internationale sur les droits civils et politiques (voir ici sur ce blog) qui ne parle pas de l’avortement mais que le Secrétaire général interprète abusivement en ce sens.
2. Le Royaume-Uni demandait que l’Irlande légifère afin de se mettre en conformité avec l’affaire A,B,C contre Irlande jugée par la Cour européenne des droits de l’homme (analyse ici).
3. Danemark : autoriser l’avortement en cas de viol ou d’inceste ou danger pour la santé physique ou mentale, ou encore le bien-être de la femme enceinte (on ne dit pas « mère », bien sûr).
4. Slovénie : autoriser l’avortement lorsque la grossesse constitue un risque pour la santé de la femme enceinte.
5. Espagne : protéger les droits personnels des femmes en matière de santé reproductive et dépénaliser l’avortement dans certains cas.
6. Pays-Bas : création d’un groupe d’experts chargé de recommander la mise en place d’un cadre légal cohérent sur l’avortement, y compris la fourniture de services.
Au cours des auditions, la France avait également prôné la mise en œuvre de la jurisprudence A, B, C qui oblige l’Irlande à fournir aux femmes un cadre plus sûr pour connaître leur « droit » à l’avortement dans des situations données.
Loin de s’insurger contre ces déclarations, le ministre des Affaires étrangères irlandais Alan Shatter que son pays avait déjà mis en place un groupe d’experts pour correspondre à ces exigences, le rejet des six recommandations est donc relatif. Plusieurs groupes pro-vie irlandais ont dénoncé le manque de clarté des propos ministériels alors que l’Irlande détient précisément le record des meilleurs soins offerts aux futures mères, avec le taux de morts maternelles le plus bas du monde, « malgré » ou plutôt à cause d’une législation pro-vie où seul le danger de mort pour la mère permet d’entreprendre des actes d’urgence destinés à sauver sa vie.
Mais le rapport va plus loin, beaucoup plus loin, et parfois de manière ubuesque.
Des pays du tiers monde demandant à l’Irlande d’améliorer son système d’éducation ; l’Algérie recommandant d’en finir avec la violence sexuelle et de genre ; la Turquie notant que le système d’éducation en Irlande est toujours « principalement dominé par l’Eglise catholique » – sans oublier le coup de patte à propos des abus d’enfants… Le Ghana veut plus d’égalité de genre et la promotion des droits des femmes, l’Egypte plaide pour le respect des droits culturels et se dit « inquiète à propos de la discrimination religieuse de fait » (et les Coptes ?). Timor-Leste, sans doute un modèle du genre, et l’Ouzbékistan veulent voir en Irlande des prisons moins surpeuplées et mieux équipées. La Suisse a déploré que certains organismes sociaux, médicaux, religieux, éducatifs aient le droit de refuser des demandes d’emploi des personnes homosexuelles ou célibataires. L’Autriche aimerait voir l’Irlande respecter les traités onusiens pour les femmes. L’Iran s’est ému de la situation du racisme, de la xénophobie et de la discrimination à l’égard des musulmans, de la violence domestique contre les femmes (!) et de l’absence d’accès aux soins pour les migrants, réfugiés et demandeurs d’asile. Pakistan veut voir plus de fonds dépensés pour lutter contre le racisme et de meilleurs soins pour les gens du voyage. L’Allemagne dénonce la persistance des stéréotypes de genre à propos de rôles dans la société.
Parmi les recommandations acceptées d’emblée, l’Irlande s’est engagée à respecter celles demandent la mise en place améliorée d’une Commission des droits de l’homme couplée avec un organisme sur l’« Egalité », ainsi que d’une infrastructure indépendante chargée de surveiller leur mise en œuvre. Elle surveillera les inégalités de genre au travail pour les élimine. Elle combattra (comme le lui demande l’Iran) l’intolérance religieuse y compris à l’égard des musulmans, ainsi que l’islamophobie, et mettra les musulmans en mesure de pratiquer leur religion – demande formulée aussi par la Turquie. Elle poursuivra toute forme de « discrimination raciale » et protégera particulièrement les gens du voyage. Elle améliorera les prisons comme le lui demande l’Algérie et développera les peines alternatives (Autriche).
L’Irlande s’est engagé à réfléchir sur plusieurs recommandations – donc à les accepter : j’en relève quelques-unes :
Retirer des réserves à la ratifications de traités internationaux de droits humains, combattre la « discrimination » dans l’Education selon les directives de l’UNESCO, mise en place d’une loi de parité (demandée par la France), retirer les dispositions pénalisant le blasphème depuis le 1er janvier 2010 au nom de la liberté d’expression (encore la France) ; faire du racisme une circonstance aggravante pour les crimes, répertorier et agir contre la « violence domestique » (Pakistan) ; interdire toute forme de punition corporelle au sein de la famille (Uruguay) ; empêcher la discrimination à l’égard des parents homosexuels ou non mariés (Suisse). L’Irlande accueille également pour l’étudier la demande turque de voir encouragée la « diversité et la tolérance des autres fois et croyances dans le système éducatif » tout en traquant les « incidents racistes ».
Et pour couronner le tout, l’Irlande n’a pas rejeté d’emblée cette demande espagnole :
« Approfondir la réforme de la loi sur le mariage homosexuel et modifier le concept de la famille traditionnelle telle que le sacralise la Constitution. »
Voilà, c’est comme cela que ça marche. De réunion d’officine en appel devant le tribunal du politiquement correct, et que ce soit de bon gré, en plus ! Vous ne serez pas étonné d’apprendre que les représentants de l’Irlande ont chaleureusement remercié les autres pays de l’ONU pour la qualité de leurs recommandations et la pertinence de leurs remarques, et même d’avoir pris le temps de les faire !