C’est devenu un lieu commun de dire que la Suède est un « modèle » en matière d’accueil des jeunes enfants ; je me rappelle le temps où, jeune journaliste, je faisais des articles vantant le très long congé de maternité, rémunéré quasiment à taux plein (2 ans, ramené ensuite à 16 mois) qui permettait aux femmes suédoises de rester à la maison avec leurs tout-petits. Ce long congé avait permis une remontée de la fécondité suédoise alors qu’elle s’effondrait un peu partout en Europe.
Mais nous n’avions alors qu’une vue parcellaire de la situation.
Ce qui passait et passe toujours inaperçu, c’est que dès leurs 18 mois, 92 % des enfants suédois passent leurs journées en crèche ou dans d’autres structures d’accueil de jour tandis que leurs mamans travaillent, jusqu’à leur entrée à l’école qui se fait à 5 ans. L’école à la maison est en pratique interdite. Les parents qui restent à la maison pour élever leurs enfants sont socialement marginalisés, mal vus. Le « modèle social » suédois a des buts bien précis : assurer « l’égalité de genre », mieux répartir les rôles homme-femme, afficher un taux d’emploi féminin très élevé, améliorer les performances des enfants à l’école en « professionnalisant » la formation pendant les jeunes années. Le taux de fécondité reste en deçà du minimum pour remplacer les générations.
C’est pourtant ce modèle qui est mis en avant au niveau européen pour venir à bout de l’hiver démographique qui s’installe. Il fait réclamer des congés « mieux répartis » entre pères et mères ; il repose sur un retour au travail précoce et la marginalisation des longs congés de maternité.
Toutes choses favorisées par des choix politiques : quasiment toute l’aide publique à la petite enfance au-delà de 16 mois va à l’accueil de jour (15.000 euros par an et par enfant !), le système fiscal totalement individualisé ne tient pas compte de la composition de la famille, le principe étant que les deux parents travaillent. La généralisation des structures d’accueil de la petite enfance date de 1975.
Je dois ces faits et chiffres à un sociologue, chercheur et coach suédois, Jonas Himmelstrand, qui travaille sur ce « modèle » depuis de longues années : très exactement depuis que, au début des années 1990, il constata que la Suède était championne d’Europe des congés maladie des femmes, souvent liés au stress, et que tout n’allait pas si bien dans le royaume. Au fil de ses recherches il a constaté que le niveau scolaire suédois s’est effondré, le niveau d’indiscipline dans les écoles est parmi les plus élevés d’Europe, les jeunes adolescents y connaissent d’importants taux de déprime, de mal-être et de problèmes psychologiques. 20 à 30 % des adolescentes suédoises – trois fois plus qu’il y a 20 ans – se plaignent d’être soucieux, anxieux ou d’éprouver des douleurs physiques. Les parents s’y trouvent de plus en plus démunis devant les tâches éducatives, même parmi les classes moyennes.
En fait, constate-t-il, c’est le lien social, le lien relationnel à l’intérieur de la famille qui est largement rompu. Les petits enfants ne sont généralement pas chez eux pendant la journée : et en grandissant, les h-jeunes se heurtent à la même absence parentale.
Et comme par ailleurs la Suède peut se vanter d’être une société riche, avec un système de sécurité sociale et de soins excellent, une longévité modèle, peu de pauvreté, peu d’enfants matériellement laissés pour compte, une scolarisation généralisée, il faut bien que les mauvais résultats de toute cette politique aient une cause.
Au fil de ses travaux, Jonas Himmelstrand a rencontré beaucoup de femmes. Elles sont nombreuses à se révolter contre la quasi obligation qui leur est faite de laisser leur enfant à d’autres avant qu’il ait 18 mois. Et plus elles sont jeunes, plus elles aspirent à ne pas être obligées de quitter le foyer en laissant leurs jeunes enfants à d’autres. En fait, les parents aspirent à ce que l’un d’entre eux, généralement la mère, puisse être à la maison jusqu’aux 5 ans de leurs enfants, et qu’elle puisse reprendre un travail ou une activité à temps partiel jusqu’à ce qu’ils quittent l’école secondaire.
C’est si vrai que la coalition de centre droit élue en 2006 avait promis de mettre en place des allocations pour les mères au foyer, afin qu’elles aient réellement le choix de ne pas mettre leurs enfants dans des centres d’accueil. En pratique, l’allocation consentie – de 300 euros par mois, insuffisante pour remplacer un salaire dans une société où tout est calculé sur le modèle des deux parents au travail – a bien été mise en place mais le choix de l’attribuer ou non a été laissé aux instances régionales et en pratique seul un tiers de la population suédoise peut y prétendre.
A noter que cette aspiration n’a rien à voir avec des convictions religieuses ou une volonté de revenir aux « traditions » suédoises : Himmelstrand estime qu’elles ont à peu près disparu…
Car le « modèle » social suédoise reste à l’œuvre. Pour Jonas Himmelstrand, il est urgent de revenir au bon sens : jamais l’Etat ou des agents payés ne seront prêts aux mêmes engagements, aux mêmes sacrifices que les parents pour faire ce qu’il y a de mieux pour leur enfant ; rien ne remplacera jamais le lien familial et ses relations étroites et rassurantes, facteurs de stabilité et d’équilibre pour les jeunes qui grandissent et mûrissent mieux près de leurs parents que mis en groupes avec des enfants de leur âge.
Himmelstrand constate aussi que le lien familial a tendance à se distendre dès lors que « la société » prend la responsabilité de l’éducation des enfants et que les professionnels désignés par l’Etat sont perçus comme ayant seuls « l’expertise » pour s’en occuper.
Le « modèle » suédois se révèle plutôt comme une dangereuse utopie, l’expression d’une idéologie de destruction de la famille.
Sources (entre autres) : ici, ici (avec une vidéo), et ici pour accéder au site de l’institut pro-famille de Jonas Himmelstrand.
Quelques observations:
1) l'école commençait à l'age de 7, les conservateurs avaient récemment rendu licite de mettre les enfants de 5 à l'école, mais est-ce que l'école à 5 est devenue la norme?
2) quand j'étais écolier, la scolarisation à maison était difficile, j'en ai profité en Suède “de façon mitigée” par présence en école pour qqs cours privés pendant qq mois, mais les autorités sociales ont menacé de m'enlever de ma mère si elle voulait continuer, on nous a laissé choisir entre une école pour des handicapés mentaux ou un pensionnat 8 h. dans le train, SSHL – après la scolarisation à maison a été interdit;
3) le taux de 92% pour la Suède me semble assez juste, qu'en est-il en France?
Ajoutons que j'ai échappé au pires dérives pendant l'enfance moi-même. Ma mère était heureusement à l'étranger, ou, quand on était en Suède on avait les grands-parents. Encore, une fois avant cette épisode, j'avais profité beaucoup plus pleinement de scolarisation à maison. À Vienne, Autriche.