Je découvre sur le blog Osservatore vaticano de mon bon confrère, Vini Ganimara, cette information ou plutôt cette mise au point : depuis son élection à la chaire de Pierre, Joseph Ratzinger n’est plus donateur de ses organes. Le corps du souverain pontife appartiendra en effet à l’Eglise.
La mise au point a été faite récemment par lettre par le secrétaire du Pape, Mgr Georg Gänswein, qui réagissait à l’invocation de l’exemple donné par celui qui était alors le cardinal Ratzinger par un médecin de Münich pour promouvoir le don d’organes.
Si cette situation ne résulte pas d’un rejet officiel de la pratique, la mise au point est une occasion de rappeler que le débat est très loin d’être clos quant au caractère « éthique » ( ou non) du prélèvement d’organes vitaux sur un être humain en état de mort cérébrale.
D’éminents membres de la hiérarchie catholique – et même plusieurs papes – ont, depuis plusieurs décennies, souligné la « beauté » et la « charité » de l’acte qui consiste à laisser récupérer ses organes après sa mort pour donner une chance de survie à une personne gravement malade.
Le problème fondamental est dès lors celui de la définition du moment – mystérieux entre tous – de la mort, qui se trouve être très fluctuante d’un pays à l’autre, mais qui, du fait d’un consensus que l’on pourrait qualifier d’utilitaire, situe toujours la « mort » à un point qui précède très largement le moment où, traditionnellement, elle était constatée. En clair : pour pouvoir « récolter » des organes en état de fonctionner dans un nouveau corps, il est indispensable que plusieurs fonctions vitales du corps ne se soient pas arrêtées : oxygénation et circulation sanguine. On a donc redéfini le moment de la mort pour ne retenir que l’arrêt de la fonction cérébrale (comme si le cerveau était le siège de la vie, de l’âme, que sais-je), diversement apprécié selon les pays.
Pour être encore plus claire : le prélèvement des organes vitaux se fait sur un corps dont le cœur bat, et qui respire – fût-ce par ventilation artificielle. Et si ces corps ne sont pas véritablement morts, c’est le prélèvement des organes vitaux qui serait la cause directe de la mort.
Intéressant article à ce propos de la correspondante romaine de LifeSite, Hilary White : elle commente une interview donnée à Zenit par E. Christian Brugger, universitaire catholique spécialiste des questions d’éthique et docteur en philosophie, où celui-ci pose d’emblée que le prélèvement de cellules souches adultes ou d’organes comme les yeux sur une personne décédée qui a fait part de sa volonté d’être donateur est « parfaitement licite ».
Mais il rappelle que la véritable question éthique concerne la définition de la mort. Si Jean-Paul II tout comme Benoît XVI ont salué la principe de la donation d’organes ils ont précisé que le prélèvement ne peut se faire que sur une personne dont la mort est certaine, d’une « certitude morale », disait Jean-Paul II en 2000. C’est à dire au carrefour d’une description philosophique et théologique (la mort étant définie comme « la séparation de l’âme et du corps ») et de critères pratiques qui permettent de constater que la mort a eu lieu, explique Brugger.
Jean-Paul II a défini la mort comme « un événement unique, qui consiste dans la désintégration totale de l’ensemble unitaire et intégré qui est la personne elle-même », dont la science ne peut définir l’instant précis mais dont des signes biologiques subséquents permettent de constater de manière empirique qu’elle s’est produite. Dans son discours au Congrès de la transplantation à Rome en 2000, Jean-Paul II ajoutait que le critère neurologique – le constat de la mort cérébrale – « ne semble pas être en conflit avec les éléments essentiels d’une anthropologie sérieuse », justifiant ainsi la récolte d’organes vitaux dans cette situation.
L’emploi du conditionnel est toutefois à souligner : Jean-Paul II posait un principe, celui de la « certitude
morale » de le mort, mais laissait ouverte la possibilité d’une évolution des connaissances scientifiques à ce sujet, la question technique n’étant pas de sa compétence directe.
« Il est clair que la fiabilité de la prémisse scientifique repose entièrement sur la justesse des données scientifiques et de l’interprétation de ces données. De telle sorte que l’affirmation papale selon laquelle le critère neurologique est un indicateur fiable de la mort ne trouve pas son fondement dans une vérité de foi ou morale », répond Brugger. Ainsi, si la définition de la mort donnée par le Pape est irréprochable et « conforme à la conception de la personne humaine enracinée dans la tradition catholique », la connaissance scientifique, elle, peut évoluer et apporter une réponse différente quant au constat empirique de la mort, sans toucher au principe.
Brugger cite alors des recherches récentes, notamment du Dr Alan Shewmon, professeur de neurologie pédiatrique, qui vont dans le sens d’une insuffisance du critère neurologique, qui l’amènent à poser ce qui suit :
« Il semble s’ensuivre qu’une absence apparente de certains signes biologiques de désintégration somatique peut faire surgir un doute raisonnable quant au fait de savoir si la mort a eu lieu. »
Brugger poursuit :
« La recherche de Shewmon démontre de manière concluante que les corps de certaines personnes justement diagnostiquées comme étant en état de mort cérébrale complète expriment une unité corporelle intégrative à un degré assez élevé.
« Les corps en état de mort cérébrale ne peuvent respirer de manière autonome puisque leur réflexe involontaire de respiration se fait par la médiation du tronc cérébral, qui est victime d’une destruction complète. Ainsi ces corps doivent être soutenus par une ventilation mécanique, qui maintient les fonctions d’inspiration et d’expiration. Mais avec le soutien de cette ventilation, il a été montré que les corps des personnes en état de mort cérébrale subissent une respiration au niveau cellulaire (ce qui entraîne des échanges d’O2 et de CO2) ; ils assimilent de la nourriture (ce qui suppose l’activité coordonnée des systèmes digestifs et circulatoires) ; ils luttent contre l’infection et les corps étrangers (ce qui implique l’interaction coordonnée du système immunitaire, du système lymphatique, de la moëlle osseuse et de la microvascularisation) ; ils maintiennent l’homéostase (ce qui implique une quantité innombrable de d’intervenants chimiques, d’enzymes et de macromolécules) ; ils éliminent, détoxifient et recyclent des déchets cellulaires dans la totalité du corps ; ils maintiennent la température corporelle ; ils grandissent de manière proportionnelle ; ils guérissent de leurs plaies (c’est la défense immunologique du soi par rapport à ce qui n’est pas soi) ; ils font preuve de réactions cardiovasculaires et de stress face aux stimuli nuisibles comme les incisions ; ils peuvent assurer la gestation d’un fœtus (y compris à travers la prise de poids, la redistribution de la circulation sanguine au bénéfice de l’utérus, et la tolérance immunologique à l’égard du fœtus) ; ils peuvent même expérimenter la puberté. »
Certains n’y voient que des « activités biologiques résiduelles n’exprimant pas davantage de vie que les mouvements de la queue amputée d’un lézard », note Brugger. « D’autres, y compris des scientifiques et et plusieurs philosophes et théologiens qui, comme moi, acceptent l’enseignement magistériel, sont moins à l’aise à l’idée de les mettre de côté comme n’étant pas des signes possibles d’une véritable intégration somatique. » Il précise que selon lui les constatations de Shewmon ne permettet pas d’affirmer que ces corps en état de mort cérébrales sont des personnes vivantes – très handicapées – mais soulèvent suffisamment de doutes de nature à exclure une « certitude morale » quant au fait que les corps en état de mort cérébrale artificiellement ventilés seraient des cadavres.
Dans son article de LifeSite, Hilary White rappelle qu’en 2009, Benoît XVI s’est exprimé lors d’un prestigieux congrès sur la transplantation. Sans s’exprimer sur le principe ni sur le caractère acceptable du critère neurologique de la mort, le pape a déclaré que la donation d’organes ne peut être licite que dans la mesure où elle « ne crée par un risque sérieux » pour la santé du donneur.
« Il ne doit pas y avoir le moindre soupçon d’arbitraire. Là où l’on ne peut aboutir à une certitude, le principe de précaution doit prévaloir », disait-il.
Plusieurs conférences organisées à Rome montrent que le consensus des penseurs et scientifiques catholiques au sujet du critère de la mort cérébrale existe de moins en moins, même si les opposants ont du mal à faire entendre leur voix, y compris au Vatican. Ainsi le très intéressant recueil de conférences publié à l’initiative de Roberto de Mattei (Finis vitae, en italien et en anglais) pose des questions de fond qui incitent fortement (m’a en tout cas incitée) à pencher du côté de ceux qui n’acceptent pas ou plus le critère de la mort cérébrale.
Mais il me semble vain d’aborder cette question sans tenir compte de la réflexion qui suit, publiée par Yves Daoudal dans le deuxième numéro de Daoudal Hebdo et qu’il avait republiée intégralement ici, sur le Forum catholique. J’en cite ci-dessous la lumineuse conclusion :
Je voudrais ajouter qu’il ne s’agit pas seulement d’une question scientifique et morale, mais aussi d’une question symbolique. Et je relève que personne ne paraît s’en soucier.
Il n’est pas anodin que le centre de la personne humaine, dans toute la Sainte Ecriture, soit le cœur, conformément au fait que le cœur est au centre du corps humain. On pourrait multiplier les citations. Prenons seulement ce que dit le Christ dans l’évangile de saint Marc : « Ce qui entre dans l’homme, en venant du dehors, ne peut pas le rendre impur, parce que cela n’entre pas dans son cœur, mais dans son ventre, pour être éliminé. (…) Ce qui sort de l’homme, c’est cela qui le rend impur. Car c’est du dedans, du cœur de l’homme, que sortent les pensées mauvaises. »
Quand on dit que quelqu’un a le « cœur pur », on ne veut pas dire que son sang est sans toxine.
La Bible parle sans cesse du cœur de l’homme. Elle ne parle jamais de son cerveau. Au contraire, l’homme moderne fait le plus grand cas du cerveau, qu’il voit comme l’organe qui lui permet d’être comme Dieu et de pouvoir se passer de Dieu, parce que, croit-il, c’est l’organe de sa pensée souveraine, alors que ce n’est qu’une sorte d’interface entre l’âme et ses propres mécanismes physico-chimiques, permettant d’exprimer des pensées et des sentiments et d’avoir une conscience consciente de soi .
Les auteurs spirituels ont toujours mis en garde contre cette tentation. A cause du péché originel, la personne humaine est éclatée entre son cœur, son cerveau et son sexe, les deux derniers se battant pour prendre le pouvoir. Les pères montraient qu’il fallait dompter le cerveau (l’intellect), et le « faire descendre » dans le cœur, de même qu’il faut « faire monter » le sexe (la libido) dans le cœur, afin de recentrer la personne sur ce qui la relie directement à la Vie.
Le Sacré Cœur, pas le Cerveau Sacré
On sait comment, y compris dans l’Eglise, certains se moquèrent du culte du Sacré Cœur. Ils appelaient les propagateurs de cette dévotion des « cordicoles », et trouvaient absurde qu’on puisse adorer ce qui n’était qu’un muscle, même chez le Christ.
Pourtant le culte du Sacré Cœur est devenu un élément capital dans l’Eglise latine. Et il n’y a jamais eu de tentative d’instaurer une dévotion au « Cerveau Sacré » du Sauveur. Jamais. Alors que selon la pensée moderne, c’est de son cerveau que venait son enseignement. Mais le chrétien, même moderne, ne peut qu’être mal à l’aise devant une telle formule. Car il sait que cet enseignement venait de Dieu. Et il ne pouvait venir de Dieu que par le centre de l’humanité du Christ : son cœur, dont est sorti, après le coup de lance, l’eau du baptême et le sang de l’eucharistie, c’est-à-dire la vie de l’Eglise et du chrétien.
Le Christ étant une personne divine, son cœur (son Sacré Cœur) est véritablement le lieu de la communication divine (comme cela apparaît clairement dans les visions de sainte Gertrude), donc la voie de l’amour, car Dieu est amour.
Dans la pensée biblique, le sang est la vie. Le cœur est l’organe vital par excellence. En envoyant le sang, il donne la vie au corps. Et le sang du Christ, qu’épanche son Sacré Cœur, donne la vie divine.
Le cerveau ne donne pas la vie. Donc il ne met pas fin à la vie quand il s’arrête de fonctionner. C’est quand le cœur ne donne plus la vie que la mort intervient. Ou plus exactement la vie est alors transférée du cœur humain au Cœur de Dieu.
Quand il s’agit de la vie et de la mort, les considérations scientifiques et morales sont insuffisantes. Il est à espérer que le débat rouvert par l’article de l’Osservatore Romano se poursuive. Et prenne de la hauteur. Il va falloir que la mort aussi redescende du cerveau vers le cœur.
Alors que la révision des lois bioéthiques bat son plein, personne ne semble se soucier beaucoup du volet de la loi sur le don d’organes. Comme si le problème éthique n’existait pas. Il faudra bien y réfléchir, pourtant.
Merci pour toutes ces informations!
Plutôt que chercher à définir la mort effective ou non de celui de qui on veut l'organe, ne serait-il pas plus évidemment catholique d'accepter la mort lorsque le temps est venu? Puisque de toute façon ce temps viendra, que la mort viendra comme un voleur sans que nous en connaissions ni le jour ni l'heure… Alors pourquoi mutiler quelqu'un pour prolonger une vie qui n'est qu'un pèlerinage vers l'autre monde?
Nous sommes entre les mains de Dieu! Et notre prochain est bien trop précieux pour prendre le risque d'être cause de sa mort prématurée.
Gentiloup
J'ai ce qu'on appelle la foi du charbonnier. Une foi toute simple qui ne cherche pas midi à quatorze heures. J'ai aussi travaillé en milieu médical et hospitalier.
Voici pourquoi je suis contre le prélèvement d'organes, car on trompe les donneurs et les receveurs ; en effet on ne dit pas que :
– le délai médico-légal de deux heures après le décès constaté n'est pas respecté. Et pour cause puisque les organes doivent être prélevés vivants. On dit que le futur donneur est mort, ce qui est faux : il est maintenu en vie.
– ce délai pour l'Eglise catholique est d'une heure seulement, temps déterminé selon l'Eglise pour que l'âme quitte le corps. Et même une heure c'est encore trop tard sur le plan médical pour que les organes tissus et fluides soient encore sains et non nécrosés.
– il n'existe que trois sortes de fluides, de tissus et d'organes possibles qui se régénèrent seuls : le sang, la moelle osseuse, la peau qui ne nécessitent pas de traitement anti-rejet. les traitements anti-rejet nécessaires aux receveurs jusqu'à la fin de leur vie prouvent que Dieu n'a pas prévu cette extrémité ;
– bien souvent les receveurs n'acceptent pas psychologiquement cet organe étranger dans leur corps. Ne serait-ce pas l'oeuvre de Dieu dans leur conscience d'avoir accepté qu'une personne meure afin qu'ils continuent à vivre ?
Par ailleurs :
– le prélèvement d'organes facilite l'euthanasie : Trop facile ! on se débarrasse d'une personne sans conscience, peut-être handicapée à vie, qui nécessitera beaucoup de soins.
– aujourd'hui, on sait qu'une personne en coma profond communique.
– sur le plan catholique, on oublie que le jour de la résurrection finale l'âme reprend possession de son corps qui doit être entier, i.e qu'on ne doit pas accepter volontairement d'être mutilé de quelque façon que ce soit.
Conclusion : le prélèvement d'organes est une faute grave de la part de médecins et de tout catholique.
Quant aux papes qui ont soi-disant donné leur accord, ils n'ont probablement pas été informés complètement, on les a manipulés sur la charité à autrui…. Une omission impardonnable qui les a trompés ! De toute façons, ils n'ont jamais invoqué leur infaillibilité dans ce domaine.