Un rapport parlementaire et une jurisprudence inattendue : deux faits se télescopent ces jours-ci pour en finir, en France, avec l’accouchement « sous X », qui permet à une femme de mettre au monde son enfant de manière anonyme et ainsi le confier à l’adoption. C’est une possibilité offerte dont on sait qu’elle sauve des vies, en évitant des avortements : quelque 600 femmes y ont recours chaque année. En regard des plus de 200 000 « IVG » par an, c’est peu. Mais cela reste une vraie solution à une détresse ou une impréparation réelle.
Voilà cependant que par une décision de la cour d’appel d’Angers, un couple de grands-parents, Pascal et Isabelle Oger, vient d’obtenir l’annulation du statut de « pupille de la nation » du bébé de leur fille, qui avait pourtant accouché sous X en juin 2009. La Cour leur a confié la garde de leur petite-fille, à charge pour eux de requérir l’ouverture d’une tutelle, après que le lien familial a été prouvé à la suite d’analyses sanguines.
Aucun lien légal ne pouvant être invoqué au bénéfice des Oger, les juges angevins ont appuyé leur décision sur la Convention des droits de l’enfant signée à New York en 1989 et ratifiée par la France, invoquant « l’intérêt supérieur de l’enfant » et citant aussitôt cet article : « L’enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d’acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et être élevé par eux. »
« Dans la mesure du possible » : ce n’est donc pas une obligation absolue et il sera intéressant de voir si le Parquet décide de se pourvoir en cassation au terme du délai de réflexion qu’il s’est donné, quelle en sera l’interprétation par les juges suprêmes.
En attendant la mère de l’enfant est paraît-il « sous le choc » puisqu’elle s’opposait de toutes ses forces à l’accueil de son enfant par ses propres parents. Particularité de cette affaire : ceux-ci étaient au courant de la grossesse de leur fille et l’avaient accompagnée. Isabelle Oger avait même pu voir sa petite-fille à sa naissance.
Il faut bien reconnaître que la reconnaissance du fait biologique et des liens familiaux unissant cette fillette et ses grands-parents qui ne demandent qu’à l’aimer a le mérite de tenir compte à la fois de la réalité, et encore du bienfait pour l’enfant de connaître ses origines et d’être élevé par les siens plutôt que par des étrangers. Sans doute l’histoire comporte-t-elle des zones d’ombre qui permettraient de rendre compte de l’attitude de la jeune maman. De celle-ci, les Oger espèrent « qu’un jour elle réagira et reviendra vers son enfant ».
Quasiment au même moment, une parlementaire UMP, Brigitte Barèges, vient de remettre au Premier ministre un rapport proposant de lever partiellement l’anonymat des femmes accouchant sous X (depuis 2002, les jeunes mères y sont simplement invitées, en vue de la conservation de données que l’enfant pourra, plus tard, demander à consulter).
Mme Barèges propose de recueillir systématiquement l’identité de la mère et son dossier médical qui seraient conservés dans des archives désormais tenues par le « Conseil national pour l’accès aux origines personnelles ». A sa majorité, l’enfant né sous X pourrait y avoir accès. Mais, a précisé Brigitte Barèges, « Je ne préconise pas les retrouvailles obligatoires, la mère n’aura pas l’obligation de retrouver l’enfant. »
L’opposition des associations pro-vie à ce projet se comprend parfaitement : comment convaincre une jeune fille enceinte qui refuse ou qui n’est pas du tout en mesure d’accueillir son enfant de ne pas avorter, si elle craint en accouchant d’être rattrapée tôt ou tard par son histoire ? Même une représentante du Planning familial dit craindre des « accouchements clandestins », voire des « infanticides ».
Faut-il pour autant négliger la souffrance des enfants nés sous X ? La question se pose. Voilà en tout cas un dossier qui est singulièrement compliqué par la légalité de l’avortement…
Mais c’est aussi un dossier très hypocrite. A une tout autre échelle, dans le cadre des fécondations in vitro avec donneurs, ou encore des inséminations artificielles, ce sont des milliers d’enfants et même des centaines de milliers de personnes à travers le monde qui se savent issus, non pas de l’union, fût-elle sans lendemain, d’un homme et d’une femme de chair et de sang qui, peut-être, s’aimaient, mais de techniques médicales dignes de la reproduction animale. Il paraît que c’est invivable. Un forum internet vient précisément de s’ouvrir aux Etats-Unis où ces gens devenus, pour nombre d’entre eux, adultes, peuvent exprimer leur désarroi et leur colère.
Alors pourquoi s’attaquer d’abord au « sous X », qui sauve des vies et qui reste riche du don fait par la mère qui n’a pas voulu faire supprimer son enfant, et laisser se multiplier à l’infini la négation de la filiation naturelle et du véritable « intérêt supérieur de l’enfant » ?
Source : Présent daté du 28 janvier 2011