Parce que le refus de la Cour européenne des droits de l’homme de condamner l’Irlande pour ne pas avoir fourni des avortements à trois jeunes femmes « contraintes » d’aller faire pratiquer l’opération en Angleterre avait un côté très inattendu, j’ai choisi (ici) de mettre d’emblée en avant le côté positif de cet arrêt. Alors que la Cour était sollicitée en vue de condamner l’Irlande pour ne pas autoriser l’avortement dans différents cas (santé et détresse sociale, bien-être, danger réel ou supposé pour la vie de la mère), elle a au contraire décidé d’affirmer solennellement que les Etats parties à la Convention européenne des droits de l’homme sont libres chez eux de faire respecter des lois protégeant la vie à naître.
Et ce même si c’était fait de manière relativiste, à travers le refus de se prononcer sur le moment où commence la vie humaine (car alors, il faudrait affirmer son respect dès la conception), et en tentant d’imposer une nouvelle obligation à l’Irlande…
Cela est d’autant plus remarquable que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté le 16 avril 2008 une résolution – non contraignante certes – demandant que l’avortement soit dépénalisé dans tous les Etats membres. Telle est la tendance lourde qui se dessinait de plus en plus clairement au sein de ses institutions ; la CEDH ne l’a pas suivie.
Pour autant les organismes pro-vie, notamment en Irlande, ont accueilli la décision avec colère dans la mesure où elle condamne une absence de législation précisant les cas où l’avortement n’est pas poursuivi, et que par conséquent leur pays risque d’être contraint de légiférer dans un sens qui sera forcément plus favorable à l’avortement en énumérant des cas, ou les décrivant en principe, où les femmes pourraient demander l’élimination de leur tout-petit sans risquer de poursuites.
La très dynamique organisation « Youth Defence » a déjà convoqué une manifestation hier, samedi, aux abords du Planning familial irlandais dont elle souligne qu’elle a été le moteur et même le « sponsor » de cette affaire judiciaire afin de mettre la pression sur le gouvernement irlandais. De fait, la saisine de la Cour européenne des droits de l’homme avait clairement pour but d’enfoncer un coin dans une législation très protectrice de la vie, le Planning sachant bien qu’une victoire sur les cas extrêmes permet ensuite aux positions pro-avortement de s’insinuer de plus en plus dans le droit et la jurisprudence.
Bien des titres de la presse française font droit à cette interprétation : de « demi-victoire » (comme le disaient L’Express ou le Nouvel Obs) à – lu dans LIbération – « L’Irlande punie pour une IVG refusée » on aura tout vu. Alors qu’elle n’avait rien refusé du tout : la Lituanienne en rémission de cancer qui obtient 15.000 euros avait seulement peur d’être poursuivie si elle se renseignait auprès d’un médecin sur les risques d’une grossesse pour une rechute de son cancer, et la CEDH affirme seulement qu’elle avait droit à être mieux renseignée dans son pays de résidence.
Cela est évidemment très à la marge mais néanmoins, les pro-vie ont raison de se méfier et de s’insurger. Car dire par voie législative quels sont les cas où l’avortement est dépénalisé, fussent-ils très rares, c’est déjà reconnaître que la vie de l’enfant peut être considérée comme secondaire par rapport à celle de la mère, alors que le principe constitutionnel irlandais exige « autant que possible » la protection de la vie de l’enfant et, par conséquent, le déploiement d’un maximum d’efforts pour sauver les deux patients, la mère et l’enfant.
L’Irlande est au demeurant le pays au monde qui présente le taux de mortalité maternelle le plus bas. C’est une épine dans le pied des sectateurs de l’« IVG » pour sauver la vie des mères, comme ils disent.
Au nom de l’Eglise catholique, le cardinal Sean Brady a déjà fait savoir qu’à son avis il ne fallait rien changer à la loi, contrairement au ministre de la Santé, Mary Harney, qui a sauté sur l’occasion pour dire qu’il faudrait rapidement une modification législative au vu de l’arrêt A, B, C contre Irlande :
« L’Eglise catholique nous enseigne que ni un enfant qui n’est pas encore né, ni sa mère ne peut être délibérément tué. La destruction directe d’une vie humaine innocente ne peut jamais être justifiée, quelles que soient les circonstances», rappelait le cardinal Brady.
Toute cette affaire soulève finalement le cas des avortements pratiqués « pour » sauver la vie de la mère, qui ont fait couler beaucoup d’encre avant l’été à la suite d’une interview de Mgr Jacques Suaudeau, de l’Académie pontificale pour la vie, dans La Nef. Il y expliquait que dans certains cas, lorsque la mort de la mère et de l’enfant sont certaines dans le cadre de certaines pathologies de la grossesse, une intervention ayant comme conséquence la mort de l’enfant, pour sauver la mère, pouvait être acceptable moralement.
Je crois que cette affirmation et la discussion qui s’ensuivit est très intimement liée à cette affaire portée devant la CEDH : soit on pose le principe du refus de porter directement atteinte à la vie de l’enfant à naître, qu’il en soit au stade embryonnaire ou déjà plus développé, soit on s’autorise des aménagements.
C’est le cas des grossesses ectopiques (extra-utérines) qui mettent directement en péril la vie de la mère. Les directives du service de santé des évêques américains répond en ce cas que l’ablation d’une partie de la trompe, où s’implante l’embryon dans ces grossesses pathologiques, est autorisée, dans la mesure où il s’agit d’un organe malade de la mère, mais non la destruction directe, médicamenteuse ou opératoire, de l’embryon qui risque de faire éclater la trompe.
D’autres cas existent : l’éclampsie par exemple…
Mgr Suaudeau avait fini par préciser son point de vue en expliquant que dans certains « cas limite » où la poursuite d’une grossesse alors que le fœtus n’est pas encore viable mettrait directement en danger la vie de la mère, il serait licite de pratiquer un accouchement « induit » ou une césarienne pour extraire l’enfant, vivant, mais qui n’aurait aucune chance de survie. Il allait jusqu’à dire qu’en ce cas de figure « bloqué » le choix de l’abstention qui entraînerait la mort de la mère et de l’enfant serait une « faute professionnelle inexcusable, et une grave injustice sur le plan moral ».
Le médecin n’aurait ici d’autre choix que d’intervenir en vue de mettre un terme à la grossesse avec la certitude de mettre fin à la vie de l’enfant.
Je veux bien croire que dans ces cas-là le médecin puisse se trouver dans une situation dramatique. Et que l’on s’abstienne de condamner pénalement, dans les pays où l’avortement est illégal, un médecin qui aurait en conscience agi pour sauver la vie de la mère, comme c’est finalement le cas en Irlande : le principe est alors sauf mais l’urgence de la situation laisserait une certaine liberté de jugement au médecin. Serait-ce, en conscience, la pratique d’un avortement ? Pour les médecins irlandais, la réponse est clairement non : il s’agit d’une décision prise à contre-cœur en l’absence d’alternative, et non point de la mise en œuvre de la volonté de tuer. Choses qui ne se règlent pas de manière générale et définitive, me semble-t-il.
Je ne comprends pas bien, en revanche, comment son refus de « choisir » délibérément la mort de l’enfant peut constituer dans ce cas de figure une faute professionnelle inexcusable et encore moins une injustice morale.
Or c’est bien ce dilemme qui est en train de se jouer dans le cadre de l’arrêt de la CEDH. Et de manière fort malhonnête qui plus est, car s’il s’agissait de savoir si « C » pouvait recevoir un traitement anti-cancéreux risqué, bien qu’enceinte, n’importe quel spécialiste de la question aurait pu lui dire « oui » ; s’il s’agissait d’éviter une hypothétique aggravation de sa santé avec un développement potentiel du cancer en raison de la grossesse, il était tout aussi à la portée de n’importe quel médecin de rappeler que la mise à mort directe de l’enfant pour prévenir un danger non-avéré n’était pas envisageable.
Ce qui est demandé, au travers de l’arrêt, c’est finalement l’établissement d’une liste de situations prédéfinie où l’avortement est en tant que tel présenté comme la solution correcte et même inévitable.
De là à la négation de l’objection de conscience, le pas est vite franchi. C’est sans doute pour cela que le Planning familial a choisi de monter en épingle le cas de « C ». Timidement, mais réellement, la porte est ainsi ouverte à l’avortement légal en Irlande. Heureusement, A, B, C contre Irlande n’établit aucunement un droit à l’avortement, et il faut à tout prix éviter de le laisser exploiter en ce sens. Mais il n’est pas exempt de dangers.
Excusez-moi, je ne suis pas sûr d'avoir bien compris, et je ne connais pas l'histoire avec Mgr Suaudeau.
Mais la position des Evêques américains décrite, est-elle que : l'on peut entreprendre une action qui provoquera la mort du bébé, si la mort des 2 est certaine ?
Quel est votre point de vue ?