Les propos largement tronqués de Benoît XVI sur le préservatif dans sa longue interview accordée à Peter Seewald, La Lumière du Monde ont eu pour effet médiatique d’installer l’idée que le discours moral de l’Eglise a changé, non seulement sur le préservatif comme protection contre la diffusion du virus HIV, mais sur le préservatif qui serait du même coup devenu acceptable comme contraceptif.
Laissons de côté le débat sur la fiabilité du préservatif dans les deux cas.
• Aux Philippines, où l’Eglise catholique s’oppose avec une grande énergie à un projet de loi de planning familial et de « santé reproductive », le gouvernement de Benigno Aquino a tiré argument de la présentation médiatique des propos du Pape pour promouvoir leur propos de diffuser les moyens anticonceptionnels au sein de la population. Le porte-parole du président, Ricky Caradang, s’était immédiatement emparé de l’affaire en disant que Benoît XVI allait aider le gouvernement à surmonter le refus de la hiérarchie catholique locale : « Notre clergé ne saurait être plus papiste que le Pape », a-t-il déclaré : « Maintenant que la position du Vatican est celle-ci, j’estime que cela devrait résulter en une flexibilité correspondante de la part de notre Eglise. »
Quant au parlementaire auteur de la loi, qui a donc le soutien du gouvernement, il a vu dans les propos du Pape un « début d’abandon de l’approche strictement très conservatrice de la papauté et de l’Eglise catholique » sur la contraception. Edcel Lagman ajoutait : « Dès lors que vous vous êtes ouvert et que vous avez créé une exception, la libéralisation du point de vue de l’Eglise a commencé. Et nous serions fondés à attendre une nouvelle libéralisation. Il a créé une exception ; donc, de nouvelles exceptions devraient se présenter. »
Bien entendu, les évêques philippins ont réfuté cet « abus opportuniste » des propos du Pape ; les multiples démentis, précisions et rectifications venant de Rome montrent d’ailleurs que cette forme d’interprétation était attendue et qu’il fallait y mettre fin.
Mais dans une certaine mesure le mal est fait. La parlementaire philippine Janette Garin, elle aussi partisane de la loi de « santé reproductive », a observé que « son adoption sera grandement facilité parce que les gens vont voir que la position de l’Eglise est confuse ». « Ceux qui sont éduqués et ceux qui sont dans un état de confusion à propos de la loi vont se rendre compte que nous (promoteurs de la planification familiale) sommes préoccupés par le sort de la communauté tandis qu’eux (les évêques) ne font que s’accrocher à une croyance datant de l’âge de pierre », ajoutait-elle.
• De même, de discussion publique en discussion publique (sur Le forum catholique notamment) on en arrive à des propos étranges comme celui du P. Martin Rohnheimer, cité d’ailleurs par Sandro Magister, qui justifie le préservatif pour un homme séropositif cherchant à protéger son épouse de l’infection, au motif que l’effet contraceptif de ce comportement ne serait qu’un effet collatéral non désiré.
De loin en loin, on dénature ainsi le sens de la sexualité humaine et du mariage, et on édulcore l’appel de chacun à la chasteté, selon son état.
Toujours sur Le Forum catholique, « La Favillana » attire l’attention, ici, sur le texte de Luke Gormally, ancien directeur du Linacre Centre (centre catholique anglais de bioéthique) qui est doublement lumineux : d’une part parce qu’il présente l’enseignement de l’Eglise sur l’acte conjugal de manière claire, raisonnable et appuyée sur sa sagesse séculaire de Mère et Maîtresse, d’autre part en raison de sa hauteur de vue qui élève le débat à la dimension du mystère nuptial de l’Eglise.
Luke Gormally s’était opposé à l’analyse du P. Rohnheimer avec beaucoup de clarté au cours d’un échange épistolaire dont il a tiré les propos retranscrits que je reprends indirectement ici en résumant à ma manière, n’ayant pas le loisir de traduire les 14 pages serrées d’argumentation (cela vaudrait la peine, pourtant). Il montre que la question est mal posée, et donc mal résolue.
Luke Gormally part de la définition de l’acte conjugal, celui qui du point de vue de l’Eglise constitue la consommation du mariage en réalisant l’union des corps et des cœurs de manière à signifier l’union du Christ et de l’Eglise.
Par nature, le mariage est ordonné à la génération et au bien des enfants (fin première) qui ne peut se réaliser que par l’acte sexuel pleinement accompli.
Cet acte se définit par la déposition de la semence (fertile ou non) de l’époux dans le vagin de l’épouse.
Est susceptible de dissolution le mariage ratifié où le mari est préalablement dans l’incapacité de réaliser cet acte ou relativement incapable de jamais le réaliser avec celle qu’il a épousée.
Ni la stérilité de l’époux ni celle de l’épouse, qu’elle soit préalable, permanente, ou temporaire (comme les périodes infertiles au cours de la vie de la femme, à vrai dire nombreuses) n’y changent rien : l’union conjugale est constituée par l’acte qui est apte à la génération. La génération n’est donc pas obligatoire, les époux n’ont d’ailleurs aucun contrôle sur elle, mais pour être conforme à ce qu’est le mariage leur acte doit être de la sorte de ceux qui peuvent aboutir à la génération.
Tout autre acte sexuel n’est donc pas une union conjugale. En d’autres termes, il est de l’essence de l’acte conjugal d’être le genre d’acte qui peut aboutir à la génération.
Quelle que soit l’intention dans laquelle un préservatif est utilisé, celui-ci a pour effet d’empêcher la réalisation plénière de l’acte conjugal.
(J’ajouterais – ce n’est pas dans l’analyse de Luke Gormally – qu’il n’en va sans doute pas de même dans le cas où la femme utilise la pilule à une fin thérapeutique et non contraceptive, car cela ne change rien à la matérialité de l’union, à son essence d’acte propre à permettre la génération – même si à titre personnel, j’imagine qu’on puisse hésiter à s’unir en sachant l’effet potentiellement abortif de la pilule. Mais ce n’est pas volontairement qu’elle refuse la génération.)
Dans le cadre du port du préservatif, comportement choisi : « Le fait que la génération ne puisse avoir lieu n’est pas un caractère accidentel de l’acte, résultant des catactéristiques biologiques des époux qui sont extrinsèques à l’acte lui-même. Au contraire, c’est un aspect essentiel du caractère choisi de l’acte que la génération ne puisse pas s’ensuivre ; c’est par essence un type d’acte inapte à la génération », dit Gormally. Le fait de « choisir de déposer la semence dans un préservatif dissocie clairement l’acte sexuel de sa fin ordonnée au bien des enfants ».
En l’occurrence, contrairement à ce qui se passe pour la femme, « la contribution de l’époux à la génération dépend du fait de vouloir et d’accomplir l’acte conjugal d’éjaculer sa semence dans le canal reproductif de la femme ». L’usage du préservatif exclut cette possibilité. Etant par essence « non-génératif » l’acte ne peut alors avoir la dimension maritale d’union aimante.
Plus gravement, une union au sein du mariage, avec préservatif, même dans le but déviter une contamination, ne signifie pas l’union sans réserve du Christ et de son Eglise et blesse donc au cœur le mariage.