Au Brésil, c’est la mobilisation tous azimuts pour empêcher que le nouveau président (ou la nouvelle présidente) à élire au second tour de l”élection présidentielle le 31 octobre prochain ne mette en œuvre la légalisation de l’avortement que 70 % des Brésiliens rejettent, selon les plus récentes enquêtes d’opinion. On peut même dire que c’est grâce à la ténacité des évangélistes et de beaucoup de catholiques sur internet que la question du respect de la vie est entrée au cœur de la campagne.
La polémique entoure les prises de position de Dilma Rousseff, dauphine du président travailliste Lula dont l’opposition affirmée à l’avortement a semblé plutôt opportuniste et pas en accord avec ses idées personnelles, une valse hésitation suspecte ayant d’ailleurs entouré la plus récente tentative de faire légaliser le crime au-delà des exceptions déjà prévues par la loi (viol, danger pour la vie de la mère). Depuis qu’elle est candidate à la présidence en remplacement de Lula qui ne peut se représenter, Mme Rousseff multiplie les déclarations rassurantes mais qui contredisent ses affirmations antérieures et son score inattendu au premier tour des élections, où elle ne remporta le 3 octobre que 46,8 % des voix face à son rival social-démocrate José Serra (32,6 %), avec un second tour à la clef, prouvent que les gens s’interrogent.
Mercredi dernier, le cardinal Odilo Scherer, archevêque de Sao Paulo, a publié un article rappelant que l’avortement n’est pas « un droit de l’homme » (comme le voudrait le consensus de Brasilia) et que la semaine pour la vie actuellement célébrée au Brésil doit être une « manifestation de mise en garde contre toute dépréciation, tout irrespect, toute agression contre la vie humaine ». Et spécialement « l’avortement provoqué qui met fin à des vies innocentes et sans défense ». Et de rappeler que des projets de loi sont en cours devant le Congrès national, et que d’aucuns présentent l’avortement comme un droit de l’homme… Cela ne se peut, puisque « le bébe que (la femme) porte dans son sein ne fait pas partie de son corps, c’est un autre corps, différent d’elle, ou pour le dire encore mieux, c’est un autre être humain, distinct d’elle. »
Et il précise : « Evidemment, en rejetant l’avortement nous ne voulons pas à tout prix que l’on châtie les femmes qui, pour telle ou telle raison, le pratiquent. La protection légale par rapport à la pratique de l’avortement n’est pas considérée comme un châtiment, mais comme la protection du droit à la vie. » Le cardinal souhaite donc que « l’Etat ne se montre pas laxiste et qu’il applique la loi existante, surtout à l’égard des cliniques clandestines (et moins clandestines) qui exploitent le marché de l’avortement », qu’une éducation sexuelle « droite » soit donnée au jeunes, et que des mesures soient prises pour permettre aux femmes enceintes et à leurs enfants de vivre dans la dignité et la sécurité ».
De son côté Dilma Rousseff s’est sentie tellement fragilisée par son score moins bon qu’espéré au premier tour des élections qu’elle s’est engagée dans une lettre publiée vendredi et transmise notamment aux Eglises évangéliques à ne pas légaliser l’avortement.
Enfin, c’est comme cela qu’on le présente. Car la lettre n’est pas sans ambiguïté :
« Personnellement, écrit-elle, je suis opposée à l’avortement et suis en faveur de maintenir la loi actuelle. (…) Si je suis élue présidente de la République, je ne prendrai pas l’initiative de proposer des changements de la législation sur l’avortement et sur d’autres thèmes concernant la famille. »
Le problème, c’est que les initiatives sont déjà prises et que la proposition de légaliser l’avortement au Brésil n’émane pas de la présidence… Tout peut donc théoriquement continuer comme avant.
Les « autres thèmes » évoqués par Dilma Rousseff sont notamment les lois réprimant la discrimination et l’homophobie : elle s’est engagée à « n’approuver que les articles de loi ne violant pas la liberté de croyance, de culte et d’expression ». Cela fait référence à un projet de loi qui a là encore été mis en chantier déjà et dont les petits frères dans le reste du monde s’accommodent très bien de la « liberté d’expression et de culte » en la piétinant allègrement : voir ici.
Je reçois d’un mouvement pro-vie brésilien des liens vers des vidéos montrant qu’il y a trois ans, le 4 octobre 2007, Dilma Rousseff qui n’était pas encore candidate à la présidentielle se disait favorable à la dépénalisation de l’avortement, jugeant « absurde » que cela n’ait pas encore été fait. Pour les lusophones, voici le lien vers les vidéos.
©