Une affaire d’auto-avortement en Australie vient d’aboutir à un résultat plutôt paradoxal : bien qu’un jeune couple qui a illégalement importé la pilule abortive ait été acquitté aujourd’hui, le procès a mis en évidence que la loi de l’Etat du Queensland pénalise l’avortement comme un crime, et personne ne veut toucher à cette loi…
Tout commence lorsqu’une enquête policière pour meurtre conduit les forces de l’ordre à faire des recherches dans une série de maisons de North Cairns. Nous sommes en février 2009. C’est par un pur hasard que les forces de l’ordre découvrent plusieurs blisters de comprimés : le RU 486 et du misoprostol. Le jeune couple qui cohabite là, Sergie Brennan, 21 ans, et son amie Tegan Leach, 19 ans, est aussitôt interrogé. Ils expliquent que vers la fin 2008, Tegan avait fait un test de grossesse qui s’était révélé positif. Ayant peur de subir un avortement chirurgical, elle allait demander à Brennan de lui procurer des abortifs chimiques qu’il avait fait envoyer, « légalement » pensait-il puisque la douane ne fit aucune difficulté, par des proches vivant en Ukraine. Tegan Leach avait absorbé les abortifs.
Le code pénal du Queensland date de 1899. En ses articles 224 à 226, jamais modifiés depuis lors, pénalise tout avortement, qu’il soit procuré par un tiers ou qu’il résulte d’une manœuvre de la femme pour éliminer l’enfant qu’elle porte (ou pense porter). En anglais du fin XIXe, soit dit en passant, on ne parle pas de femme « enceinte » mais de femme « avec enfant » (« with child »). Cette loi n’a plus été appliquée depuis 1986 dans des affaires d’avortement ; depuis le début des années 1960 aucune poirsuite n’avait plus visé une femme ayant avorté.
La dépénalisation, dans les faits, de l’avortement, s’est installée au gré de décisions des Cours suprêmes des différents Etats australiens qui ont, depuis 1968, successivement établi qu’un avortement pratiqué par un médecin était légal du moment qu’il estimait en tant qu’homme de l’art que l’opération s’imposait : dans le Queensland, cette jurisprudence s’est installée en 1986. Même si le Queensland, avec d’autres Etats, South Australia, la Tasmanie, et le Victoria, conservait toujours des lois répressives sur le papier.
Une loi de 2006 a légalisé au niveau fédéral l’importation de pilules abortives ; puis le Victoria, en 2008, lors d’un vote « en conscience » (sic) a rendu l’avortement légal en toutes circonstances dans le Victoria, brisant la sorte de consensus qui s’était installé autour du statu quo entre les pro-avortement et les pro-vie.
C’est au terme d’une heure de délibéré qu’un jury populaire de 12 membres, huit femmes et quatre hommes, ont acquitté les deux accusés. Tegan Leach encourait 7 ans de prison pour avoir tenté de provoquer une fausse couche sur elle-même ; Sergie Brennan 3 ans pour l’y avoir aidée en important des comprimés abortifs. Pourquoi la « tentative » a-t-elle été retenue ? Parce que semble-t-il rien ne prouve que la jeune femme ait été enceinte, sinon le test à domicile qu’elle dit avoir pratiqué. Mais c’est une particularité de la loi du Queensland que de sanctionner le fait d’avoir absorbé des abortifs, que la grossesse soit certaine ou non.
Aussi le juge Bill Everson, en résumant l’affaire à l’intention des jurés, leur a expliqué qu’il leur appartenait de juger Tegan Leach coupable seulement s’ils estimaient qu’elle avait absorbé des comprimés nocifs pour sa propre santé. Une façon pas très discrète de préparer un verdict « non coupable »… Celui-ci a provoqué un tonnerre d’applaudissements de la part d’un public nombreux dans la salle d’audience : les soi-disant « pro-choix » étaient de sortie.
Seulement voilà. Si à la faveur de ces poursuites pour le moins étranges, et de cet acquittement surtout, le lobby de l’avortement réclame désormais la légalisation de l’avortement dans le Queensland, il semblerait qu’il en soins moins question que jamais. Même le collège royal de gynécologues et obstétriciens d’Australie et de Nouvelle Zélande n’ont pas réussi à imposer leur point de vue selon lequel l’avortement est une affaire entre elle et son médecin, et non pas une question de morale ou de droit. On comprend leur inquiétude personnelle : on avorte à tour de bras en Australie et le code pénal de 1899 les met en péril…
Mais il se trouve qu’il n’y a pas, même selon les partisans de lois légalisant l’avortement, de certitude sur l’issue d’un vote politique à leur sujet : l’ancien Premier ministre travailliste du Queensland, Anna Bligh, recommanda même l’an dernier à un élu de sa majorité de ne surtout pas proposer une loi plus libérale à laquelle elle est personnellement favorable, de peur que celle-ci, votée « en conscience », ne soit mise en minorité. Le Procureur général Cameron Dick avertit même qu’un vote libre des élus risquait d’aboutir à une loi restreignant l’accès à l’avortement. Lors des poursuites contre Brennan et Leach, on avait d’ailleurs pris soin de faire savoir qu’il n’y aurait pas de poursuites contre les médecins pratiquant des avortements pour des raisons médicales, ce qui restreignait déjà leur assez large liberté d’action synonyme de quelque 30.000 avortements par an dans le Queensland.
Ce qui est tout de même réjouissant.
Il semblerait même que depuis l’ouverture de l’affaire Brennan et Leach, les médecins du Queensland hésitent à pratiquer des avortements dans cet Etat et expédient les candidates vers l’Etat voisin du New South Wales…
J’emprunte avec reconnaissance les données juridiques au forum tolkienien TheOneRing , remarquablement exposées par « Lord_Morningstar » ; ses explications me paraissent nettement plus avisées que celle de la presse quotidienne australienne.