Quatrième partie de la conférence de Mgr Vasa, dont je vous propose la traduction depuis lundi. Ici, le ton se fait plus vif, plus personnel : on voit que Mgr Vasa souffre difficilement les idées floues que la conférence des évêques de son pays a pu répandre, « intentionnellement ou non ». Voici analysée avec finesse la tentation de se laisser gagner par l’esprit du monde, un esprit qui est aujourd’hui laïciste et contre Dieu. Dans le cas de l’enseignement de l’Eglise (ici c’est celui sur la vie et la morale conjugale qui peut nous intéresser davantage, mais c’est tout le message évangélique qui est visé, dans sa radicalité), on notera qu’aux yeux de Mgr Vasa il n’y a pas de place pour la crainte de paraître trop exigeant ou pas assez sensible à la spécificité des hommes de notre temps. Il s’agit d’être dans le vrai.
En un mot : quand le chef s’assoit, ses hommes se couchent.
Suite en fin demain. – J.S.
Les documents pastoraux, reconnaissant que les gens ont perdu leur tolérance vis à vis du sain enseignement, ont tendance à adopter le ton de l’invitation sans être nécessairement trop directs ou trop critiques. Le but évident étant de proposer de délicates invitations à la conversion, d’une manière qui puisse attirer ceux qui préfèrent prêter l’oreille aux messages qui la chatouillent. Hélas, étant pastoraux de nature, ces documents sont ouverts à un large spectre d’interprétation – et de mauvaise interprétation. On pourrait même accuser ces documents d’être intentionnellement flous et trompeurs ; bien que j’aie moi-même, à l’occasion, ce soupçon, ce serait un grave manquement à la charité de ma part d’aller jusqu’à spéculer sur le fait de savoir s’il est fondé. Je dirais que le flou, qu’il ait été intentionnel ou non, a été à l’occasion cause de mon inquiétude et même de ma consternation.
Malheureusement, puisque le sain enseignement est souvent rejeté d’emblée, les enseignants qui diffusent un message populaire, apte à chatouiller l’oreille, ont tendance à être davantage admirés, reçus avec chaleur et acceptés par notre époque laïciste. Cela contribue à un aplanissement supplémentaire du message. Saint Grégoire le Grand met en garde sur le fait que l’absence d’audace dans le langage peut avoir pour origine la peur des reproches. C’est un danger très réel en notre temps présent. Il se peut bien que le fait de se reposer sur des documents pastoraux ait pour origine une double peur : celle d’adresser des reproches à autrui et celle d’être soi-même l’objet de reproches pour l’avoir fait. On oublie, hélas, qu’une telle approche peut endormir le malfaiteur par une vaine promesse de sécurité. Il existe un silence prudent, mais le silence imprudent existe aussi. Le discours imprudent existe, mais il existe aussi un discours prudent et intrépide.
Il est assez facile aux évêques et aux prêtres d’agir dans l’idée erronée selon laquelle, si nous prêchons l’Evangile dans sa plénitude, nous serons chaleureusement salués, acceptés, admirés et acclamés. Ce n’était pas le cas de Timothée, ni de Paul, ni de Notre Seigneur. Les évêques devraient savoir d’avance qu’il en sera de même pour nous. Je puis vous assurer que les événements comme celui-ci sont vraiment l’exception pour des évêques comme moi. Le message de l’Evangile, avec son appel à la conversion, n’est pas nécessairement facile. Le laïcisme de l’époque où nous vivons ne fait que renforcer le défi pour que nous prêchions comme il se doit la plénitude du message évangélique, et pour que nous le mettions en pratique dans nos propres vies.
Certains enseignements de l’Eglise sont certainement à l’opposé de la culture ambiante, et Paul prédisait qu’ils ne seraient pas tolérés, qu’ils seraient rejetés. Cela ne vous apprendra rien si je vous dis que nous sommes très influencés par des attitudes culturelles qui ne sont pas nécessairement informées par l’Evangile. Pour ceux qui ont un esprit plus laïciste, les enseignements de l’Eglise peuvent paraître inadaptés à notre temps, sévères, catégoriques dans la condamnation, ou insensibles. Résultat, certains enseignements de l’Eglise ont été laissés sur le bord du chemin en raison de ce que l’on pourrait appeler, de manière charitable, une sorte de bienveillante négligence pastorale. Pour beaucoup, dans notre monde politiquement correct, cela s’identifie avec la compassion. En vérité, cela entraîne souvent une complicité ou une compromission avec le mal. Les enseignements plus durs, moins populaires, sont tus dans l’ensemble, ce qui donne implicitement une approbation tacite aux opinions théologiques erronées ou trompeuses. Grégoire, dans son Guide pastoral, évoque cette approche pastorale :
« Un guide spirituel doit se taire lorsque la prudence l’exige, et parler lorsque la parole est utile. Sans quoi il pourrait dire ce qu’il ne devrait pas ou rester silencieux lorsqu’il devrait parler. La parole imprudente peut conduire les hommes dans l’erreur, et un silence imprudent peut laisser dans l’erreur ceux qui auraient dû être enseignés. Les pasteurs qui manquent de clairvoyance hésitent à dire ouvertement ce qui est juste parce qu’ils craignent de perdre la faveur des hommes. Comme nous le dit la voix de la vérité, de tels chefs ne sont pas des pasteurs zélés qui protègent leurs troupeaux, ils sont plutôt comme des mercenaires qui se réfugient dans le silence lorsque paraît le loup. Le Seigneur leur adresse ses reproches par le prophète : ils sont comme des chiens muets qui ne peuvent pas aboyer. A une autre occasion il se plaint : Vous ne vous êtes pas avancés contre l’ennemi, et vous n’avez pas dressé un mur devant la maison d’Israël afin de rester ferme dans la bataille au jour du Seigneur. Avancer contre l’ennemi suppose une résistance intrépide face aux puissances du monde, pour défendre le troupeau. Rester ferme dans la bataille au jour du Seigneur signifie s’opposer à l’ennemi mauvais par amour de ce qui est juste. Lorsqu’un pasteur a eu peur d’affirmer ce qui est juste, n’a-t-il pas tourné le dos et fui en gardant le silence ? Alors que s’il intervient au nom du troupeau, il dresse un mur face à l’ennemi devant la maison d’Israël. »
Les évêques individuels, dans leur propre diocèse, ont la responsabilité pastorale première de discerner entre la parole imprudence et le silence imprudent. Cela implique un jugement particulier, un domaine où il peut y avoir une grande diversité et même de la disparité d’un évêque à l’autre. Il n’y a quasiment aucune disparité parmi les évêques à propos du caractère peccamineux de l’avortement, de la contraception artificielle, des actes homosexuels, de la recherche sur les cellules souches embryonnaires, ou la pléthore des offenses à la pureté ; mais il y a une grande diversité en ce qui concerne la manière d’affronter ces maux, ou la manière de s’occuper de ceux qui s’en vantent voire les recommandent ouvertement. A ce propos, l’archevêque Charles Chaput se réfère à une unité de doctrine mais une diversité de stratégie.
Cette diversité de stratégie, cette décision prudentielle de rester silencieux ou de parler, repose carrément sur les épaules des évêques individuels. Ainsi, tandis que beaucoup estiment que cela relève des devoirs de la conférence, il s’agit en réalité du rôle de l’évêque. C’est leur devoir inaliénable : il ne peut être délégué à la conférence. De mon point de vue, les paroles de Paul à Timothée doivent représenter une part très sérieuse de ce discernement : « Je t’adjure (…) : prêche la parole, insiste à temps et à contretemps, reprends, censure, exhorte, avec une entière patience et (souci d’)instruction. »
Certains évêques penchent peut-être plus fortement par leur tempérament pour la réprobation et la correction, tandis que d’autres préfèrent l’approche plus aimable, plus douce, de l’invitation. A mon sens, l’invitation a sa place, mais lorsque l’invitation constante ne produit absolument aucun mouvement vers l’auto-correction, la réforme ou la conversion, alors réprouver et corriger devient nécessaire. Il arrive un moment où il faut une résistance intrépide face aux puissances du monde pour protéger le troupeau. La peur d’offenser un dédaigneux membre dissident du troupeau aboutit souvent à ne pas défendre le troupeau. Cela peut aboutir à refuser d’enseigner la vérité. Pour reprendre les mots de saint Grégoire : « Ils hésitent à dire ouvertement ce qui est juste parce qu’ils craignent de perdre la faveur des hommes, mais les hommes et les femmes dont la faveur peut être en jeu sont souvent très loin d’être aussi favorables qu’ils se l’imaginent. »
Malheureusement, le désir de se fier presque entièrement à l’invitation peut indiquer une peur du reproche. Ce n’est pas nouveau. J’ai mentionné plus haut la manière dont saint Grégoire reconnaît cette réalité. Il réprimande ceux qui craignaient de reprocher aux hommes leurs fautes, endormant ainsi le malfaiteur par une fausse promesse de sécurité. Ce n’est pas seulement le malfaiteur, mais tous les membres du troupeau qui, voyant les malfaiteurs persister en toute impunité, commencent à douter et à remettre en cause leurs propres jugements moraux. J’entends bien des laïcs me dire que le fait de percevoir un manque de courage chez les chefs épiscopaux aboutit au découragement des fidèles.
(Traduction non officielle de Jeanne Smits).