On se souviendra que j’avais rendu compte entre autres ici d’autorisations pour avorter accordées à des jeunes filles violées et enceintes par les tribunaux de la province argentine de Chubut. Un peu plus tard, dans la province de Rio Negro, un juge d’instruction de San Carlos de Bariloche signifiait à une une jeune fille dans la même situation qu’elle pouvait subir l’intervention sans jugement (l’avortement a été réalisé mais la décision du juge d’instruction a depuis été annulée). Dans chaque cas, des groupes féministes partisans de l’avortement ont fait pression et apporté leur « soutien » aux jeunes filles et à leur famille, arguant toujours des circonstances dramatiques de ces grossesses.
Eh bien, cette mobilisation paye.
Dans la province de Chubut, où les cas des jeunes filles violées et enceintes avaient été fortement médiatisés, la Législature de la province vient d’adopter une loi qui affirme le droit sans autorisation judiciaire préalable de tout avortement pratiqué sur une femme violée ou dont la santé serait mise en danger par une grossesse. Pire : pour les médecins, l’atermoiement ou la réticence à pratiquer l’avortement seront passibles de sanctions administratives et de poursuites civiles et pénales. Il suffira du consentement de la femme adulte demandant l’avortement ou d’un représentant légal, pour les mineures.
Cette loi qui a été votée à l’unanimité et semble bénéficier du soutien du gouverneur de la province de Chubut, Mario Das Neves, qui doit la promulguer.
Pour le lobby de l’avortement, c’est une loi doublement importante : d’une part elle évite les interprétations restrictives des cas d’avortement non punissable dans les conditions définies par la loi, tant par les professionnels de la santé que par les représentants du pouvoir judiciaire – au point que l’autorisation d’avorter était de plus en plus rarement accordée –, d’autre part elle pose le principe d’un quasi droit à l’avortement dans lesdites conditions. Notamment s’il y a allégation de viol : quel contrôle, quelle instruction permettront de vérifier sa réalité ? De fait, la loi prévoit une simple déclaration sous serment, et l’on ne pourra même pas exiger de la femme une déposition de plainte pénale. Quant aux risques de la santé, elles seront évaluées par un médecin qui devra obligatoirement consulter un praticien reconnu de la psychologie.
Si les provinces de Buenos Aires, Neuquén et Santa Fe procèdent de fait sans passer par l’autorisation judiciaire, aux termes de guides d’action imposées au corps médical, la loi de Chubut est la première en son genre en Argentine, puisqu’une tentative similaire dans la province de La Pampa s’était heurtée au veto du gouverneur Mario Jorge. Veto qui, après recours du parti socialiste argentin, se trouve en voie d’examen par la Cour suprême argentine.
Il est intéressant de noter que le législateur s’est clairement appuyé sur les deux récents cas d’autorisation judiciaire d’interprétation large qui ont conduit à l’avortement de bébés de plus de trois mois de gestation à Comodoro Rivadavia dont j’avais longuement rendu compte sur ce blog. Ce sont même ces affaires qui ont permis au député Mariana Ripa, initiatrice du projet de loi il y a deux ans déjà, de le faire inscrire à l’ordre du jour.
Aux termes de cette loi, l’avortement sollicité dans les circonstances d’exception prévues par le code pénal argentin, devra être pratiqué dans les cinq jours de la demande. L’objection de conscience est permise de manière individuelle mais non collective puisqu’aucun service public ne pourra refuser de procéder à l’intervention comme cela a été concrètement le cas ces derniers mois dans les affaires qui ont servi de moteur à l’évolution législative. L’objection de conscience devra en outre être signifiée par le professionnel de santé dès l’entrée en vigueur de la loi ou dès son entrée dans un nouvel établissement.
On retiendra aussi la formulation de l’article 10 :
« La décision de la femme ne doit pas être soumise à des jugements fondés sur des considérations personnelles, religieuses ou axiologiques de la part des professionnels de santé, sa volonté libre et autonome devant prévaloir. »
Toute exigence supplémentaire par rapport à celles posées par la loi serait considérée comme « attentatoire aux droits de la femme et de nature à augmenter les risques pour sa santé ». C’est en ce sens que les « manœuvres dilatoires, la fourniture d’informations fausses et la réticence pour mener à son terme la réalisation de l’avortement » autorisé, « de la part des professionnels de la santé et des autorités hospitalières, constitueront des actes relevant de la responsabilité administrative, civile et (ou) pénale correspondante ».
Dans le cas de femmes majeures et dotées de la capacité juridique, il sera en outre interdit au personnel hospitalier de consulter l’époux, le concubin, le père, la mère ou n’importe quelle autre personne à propos de l’avortement projeté, « même si l’on prétend ainsi porter une meilleure attention » à la femme, puisqu’il s’agirait d’une violation du devoir de confidentialité.
La formulation de la loi laisse prévoir une possibilité d’interprétation extrêmement large, notamment par le biais de la définition de la mise en danger de la santé psychologique de la mère, comme cela a été le cas dans bien des pays « développés » où l’avortement légal, puis le droit à l’avortement se sont imposés ainsi.
Et la tactique est extrêmement bien rodée, invariable : on part d’un « cas limite » le plus sordide, révoltant ou « compassionnel » possible, pour aller ensuite à marches forcées vers la mise en place d’une loi qui dépasse très largement ce cadre.