Sur les quelque 240 tribus indigènes du Brésil très éloignées de tout contact avec la civilisation, on estime à une vingtaine celles qui pratiquent l’infanticide des nouveau-nés et des petits enfants non conformes : les jumeaux (et à plus forte raison les triplés…), les bébés manifestement atteints d’une maladie congénitale ou nécessitant des soins spéciaux sont tués à la naissance. Quant aux enfants qui s’avèrent atteints d’une déficience mentale ou d’un handicap moteur, ils sont enterrés vivants bien plus tard encore : ainsi est mort un enfant de cinq ans qui n’arrivait pas à apprendre à marcher, selon une association qui milite pour qu’on mette un terme à cette pratique barbare.
Les parents de cet enfant, incapables d’affronter la douleur de la mort de leur fils, mais impuissants face à la décision de la tribu, s’étaient suicidés auparavant.
Evidemment cette pratique égratigne le mythe du bon sauvage et le devoir de respecter toutes les cultures égales en dignité et en droits…
Pourtant il se trouve des sociologues, des anthropologues, des militantes féministes et même des collaborateurs du Conseil missionnaire pour les indigènes, organisme rattaché à la Conférence des évêques du Brésil, pour justifier cette pratique.
Pour Marianna Holanda, anthropologue, ce qui est en jeu dans le cadre de l’infanticide tribal ne doit pas être jugé à l’aune du conflit entre cultures mais des droits reproductifs de la femme indigène. Selon elle, personne dans les tribus, et encore moins la tribu prise dans son ensemble, n’oblige jamais quiconque à tuer : « Ces images sont absurdes et font violence à l’image des peuples indigènes considérés comme un tout. Ce qui existe, ce sont des mères qui, pour un ou plusieurs motifs, ne désirent pas, ne veulent pas ou ne peuvent pas avoir un enfant à un moment donné. Ceci n’est pas spécifique aux peuples indigènes. » La preuve ? L’infanticide se produit souvent au lieu même de l’accouchement, seule la mère, la grand-mère et la sage-femme étant présentes, dit cet autre chercheur…
Pour l’association Atini, qui travaille auprès de personnes directement touchées par ce drame, cela est très loin de correspondre à la réalité. Outre le double suicide évoqué plus haut, elle raconte le dur combat de mères ou de parents pour s’enfuir de leur tribu pour aller en ville donner une chance de vie à leurs enfants. Ainsi Marité et Tximagu Ikpeng sont-ils partis pour que leurs triplés vivent. La jeune mère a expliqué que si elle avait dû suivre les règles de sa culture, ce n’aurait pas été bon pour elle. Elle espère étudier la médecine pour aider son peuple, et pour le conduire à changer ses comportements.
« Ce sont mes enfants, pas des bêtes », dit cet autre qui a fui sa terre avec des jumeaux. Parfois c’est une sœur qui sauve son petit frère, Atini raconte aussi comment une jeune femme, voyant qu’on laissait un nouveau-né mourir de faim, l’a adopté au bout de cinq jours. Telle autre – Mujawi – est allée s’installer à Brasilia pour éviter la mise à mort de sa petite fille atteint d’une paralysie motrice : elle est partie avec son autre enfant, un garçon, et sa nièce orpheline, pour chercher l’aide de la « médecine des blancs » : les trois petits vont bien, jouent, vont à l’école… Retourner dans sa tribu, comme l’y encourage l’autorité brésilienne pour les tribus indigènes, FUNAI ? Elle ne veut même pas y penser. Elle a promis de s’empoisonner plutôt que de céder à la pression : sa fillette ne marche pas encore, et sur les terres de la tribu, elle risque la mort.
Paltu Kamayura atteste que dans sa tribu, les nouveau-nés sont mis à mort par la communauté. Elle peut savoir : l’un de ses jumeaux a été enterré vivant, elle a dû se battre, aidée de son mari, pour obtenir la grâce de l’autre – elle ne peut jamais le regarder, dit-elle, sans penser à celui qui est mort.
Ces indigènes et ceux qui les défendent accusent les anthropologues de les figer dans ces coutumes dont ils souffrent amèrement, au nom de leur « culture ». Ces anthropologues qui sont à leur contact et qui les encouragent à respecter les façons de faire des ancêtres… Et veulent à tout prix que les indigènes restent au sein de leur tribu pour que leur mode de vie soit préservé. Vont-ils jusqu’à regretter que dans bien des tribus, c’est l’ensemble de la communauté qui rejette les pratiques ancestrales jugées mauvaises ?
L’empressement avec lequel ces chercheurs justifient l’infanticide – même si certains plaident pour un « dialogue inter-culturel pour le faire disparaître en douceur – est directement fonction du discours des partisans du « droit à l’avortement ». Ecoutez Marianna Holanda :
« L’enfant indigène, quand il naît, n’est pas une personne. Il passera par un long processus de personnalisation, au cours duquel les relations qu’il établira seront fondamentales pour qu’il puisse recevoir un nom et, ce faisant, le statut de “personne”. Pour autant, les cas très rares de nouveau-nés qui ne s’insèrent pas dans la vie sociale de la communauté ne peuvent être décrits comme des morts, puisqu’il ne s’agit pas de cela. Alors infanticide ? Jamais. »
Pour Saulo Feitosa, secrétaire-adjoint du Conseil indigène missionnaire, s’exprime à peu près de la même façon. « Pour nous, l’infanticide est un crime s’il y a mort. Sans doute l’avortement est-il plus proche de cette pratique des Indiens, puisque celle-ci ne tue pas un être humain mais interdit la constitution de l’être humain. »
Pour les lusophones, il existe un documentaire d’une demi-heure produit fin 2009 par une journaliste, Sandra Terena, qui a enquêté sur la réalité de cette pratique que beaucoup s’obstinaient à nier. C’est ici.