Frances Inglis, 57 ans, a été condamnée à vie mercredi dernier à L’Old Bailey de Londres – avec un minimum de neuf ans de prison effective (au lieu du minimum de 15 ans habituellement fixé par les juges) – pour le meurtre de son fils Thomas, 22 ans, par plusieurs injections d’héroïne pour le libérer des « souffrances insupportables » qu’il endurait, selon elle, depuis qu’il avait eu le cerveau endommagé à la suite d’une chute accidentelle.
La décision des jurés, accueillie par une bronca du public présent dans la salle d’audience de la cour criminelle, a été sévèrement jugée par une grande part de la presse britannique, même celle réputée conservatrice. On y parle du « dévouement » d’une mère, de son obstination à vouloir le mieux pour son fils, d’un verdict par trop cruel alors même que dans des cas similaires, où le malade (en phase terminale certes) aurait pu exprimer son propre désir de mourir, l’absence de poursuites aurait pu se décider en application des directives de l’équivalent du Parquet au Royaume-Uni publiées en septembre dernier.
Qu’il y ait eu poursuites, procès et condamnation peut donc paraître rassurant.
Les circonstances de l’affaire laissent pourtant entrevoir des décisions moins fermes dans des cas moins évidemment à la limite de ce que les euthanasieurs ou avocats du suicide assisté voudraient voir blanchir par les cours.
Lors de l’accident qui invalida son fils en 2007, il semble que Frances Inglis aie perdu une part de sa rationalité. Apprentie infirmière, elle ne voulut pas croire les médecins qui avaient posé un pronostic encourageant, prévoyant que Thomas pourrait faire des progrès et sortir du coma où il était plongé, incapable à ce moment-là d’une quelconque forme de communication. Dix jours après l’accident, elle demandait à des voisins où se procurer de l’héroïne. A qui voulait l’entendre, elle parlait de l’« horreur », de la « tragédie », de l’« enfer » de la condition de son fils. Moins de deux mois plus tard, elle mit son plan à exécution en lui injectant une forte dose d’héroïne qui ne parvint toutefois pas à le tuer. En revanche son état empira, ralentissant les progrès escomptés par les médecins. Progrès réels néanmoins : Thomas réagissait aux stimuli.
Mme Inglis était à ce moment-là dans un état frénétique, anormal, aux dires de son fils aîné. Et ne cessa de répéter ensuite qu’ayant agi avec de l’amour dans son cœur, elle ne pouvait se considérer coupable de meurtre. Elle fut arrêtée, versa une caution et obtint sa libération à la condition de ne plus s’approcher de son fils malade.
Un an plus tard, elle y parvint quand même en se faisant passer pour la tante du jeune homme. Elle s’enferma dans sa chambre d’hôpital. Badigeonna la serrure de colle forte, pour gagner du temps. Barricada la porte avec les appareils à oxygène. Puis administra assez d’héroïne, au moyen de plusieurs injections, pour s’assurer de la mort de son fils. Chez elle, elle avait pris toutes les mesures pour que ses animaux domestiques soient nourris et ses affaires personnelles suivies en vue de la détention qu’elle savait devoir subir. Elle était pleinement consciente d’agir contre la loi. Même s’il est clair que dans sa douleur et l’outrance de ses sentiments elle n’a ni recherché, ni reçu l’aide qui aurait pu éviter ce drame – psychiatrique ou autre.
Thomas Inglis – qui n’était pas en fin de vie – souffrait-il atrocement comme sa mère croit l’avoir ressenti, intuitivement ? Pour le corps médical, il n’y avait pas de doute : non. C’est un des éléments qui ont été répétés à la barre, tout comme le fait que le jeune homme n’avait pas exprimé sa volonté de mourir. C’est l’avers de ce verdict, qui dit implicitement que ces circonstances-là auraient pu être atténuantes ou exonérantes.
Quant à l’affaire elle-même, elle est abondamment exploitée par bien des grands médias plaidant pour une loi qui rende ce genre de condamnations impossibles, vu que la mère – dit-on – ne présente aucun risque de récidive, ne pose aucun danger pour la société. (Voire : dans la minutie de ses préparatifs, dans sa préméditation mûrement réfléchie, elle a apporté la preuve de sa capacité à s’autoriser à prendre la vie d’un autre entre ses mains…)
Le Daily Telegraph note ce détail intéressant : « Cette femme a commis l’ultime crime contre la nature en tuant son propre enfant parce qu’elle croyait l’alternative plus cruelle : le voir mourir lentement de faim et de soif après l’arrêt des appareils qui le maintenaient en vie – à supposer que cela eût été autorisé par la haute cour. »
On ne le sait pas assez : en France, aux termes de la loi Léonetti, une personne malade qui souffre et qui n’a aucun espoir de voir sa condition s’améliorer peut obtenir (ou ses proches peuvent obtenir) l’arrêt de toute nourriture artificielle en vue de la faire mourir. En ce sens-là, c’est de l’euthanasie véritable, fût-elle par omission. On a pu écrire après l’affaire Vincent Humbert (où une mère tua son fils paraplégique, mais non en fin de vie) que si la loi Léonetti avait été en vigueur, c’eût été la solution de tous ses problèmes.
Sans aucun doute l’espoir qu’il y avait dans le cas de Thomas Inglis de voir sa santé s’améliorer a joué son rôle dans la sévérité du verdict. A contrario (encore une fois) il n’est pas sûr que la vie de ceux qui n’ont pas cet espoir soit protégée avec la même force. Là aussi, l’euthanasie est déjà une réalité.
la fabuleuse actrice DIANA RIGG a joué dans un film anglais traitant s'un problème similaire de mère pathologique : “Mother Love”, elle y est terrifiante !
http://www.youtube.com/watch?v=-NDmlcrLQAw
Je tiens à signaler un point (avec lequel Jeanne smits n'est pas d'accord avec moi)
L'arrèt ou la limitation de traitement est en effet autorisée, mais à condition que ceux-ci soient disproportionnés par rapport aux attentes espérées. Le risque majeur en refusant cette possibilité par crainte de dérives est de maintenir une personne dans un état inacceptable: abandonnée de tous et souffrant énormément en raison du refus des médecins de soulager ses souffrances (ce qui ne veut pas dire tuer
De mon point de vue, refuser cette possibilité revient à encourager à terme l'euthanasie en se dirigeant vers l'excès inverse: la plupart des militants de l'ADMD ont vu un proche agoniser dans des circonstances horribles car les médecins, soient avaient fait de l'acharnement thérapeutique soit avaient eu peur de tuer le patient en le soulageant.
Par ailleurs, cette loi est conforme à la doctrione catholique de double effet: il est permis de faire un acte qui a un effet bon et un effet mauvais à condition que l'effet mauvais n'ait pas été voulu même comme moyen, et qu'il y ait une proportionnalité entre les deux. (j'ai beacoup simplifié)
Or la loi Leonnetti oblige aussi les médecins à arréter les traitements selon une procédure permettant justement de s'assurer qu'il n'y ait pas euthanasie. Cette loi ne favorise ni directement ni indirectement l'euthanasie.
Toujours un peu difficile de répondre à un 'anonyme”…
La lecture attentive de la loi Léonetti et de ses travaux préparatoires montre que l'arrêt des soins ordinaires qu'elle autorise n'est pas soumise à la condition que ceux-ci soient insupportables, ou inutiles en raison de la proximité de la mort.
Bien sûr, la loi affirme justement la doctrine du “double effet”.
Le problème est justement qu'elle permet d'arrêter les soins ordinaires (nourriture) en vue de provoquer la mort.
C'est l'analyse du cardinal Vingt-Trois et du grand rabbin Messas (http://leblogdejeannesmits.blogspot.com/2007/05/loi-leonetti-dj-une-loi-deuthanasie.html).
Je mettrai prochainement en ligne ce que j'avais écrit à ce propos lors du vote de la loi. Et nous continuerons, je l'espère, cette discussion.