Le ministre de la Santé, du Bien-être et des Affaires familiales de la Corée du Sud, Jeon Jae-Hee, a annoncé au début du mois que la pratique des avortements illégaux, jusqu’ici tolérée dans ce pays, allait faire désoramis l’objet de poursuites systématiques. Avec 340.000 avortements enregistrés en 2005, dont seuls 4 % répondaient aux critères légaux (danger pour la santé de la mère, viol, inceste ou désordres génétiques graves), et une seule poursuite, la Corée du Sud a du chemin à parcourir, d’autant que l’aspect éthique de la question n’y est guère présent, sinon parmi les petites minorités chrétiennes.
On peut même dire que ce sont les pouvoirs publics qui ont indirectement promu le recours à l’avortement, en mobilisant tous les moyens pour réduire la natalité depuis 1970 en vue de davantage de croissance économique : avoir plus de deux enfants était dénoncé comme non patriotique et les hommes acceptant de se faire stériliser étaient dispensés de service militaire jusque vers 1990. Le taux de fécondité a chuté depuis lors de 4,5 enfants par femme à 1,19. Maintenant, avec la crise économique et le vieillissement dramatique de la population, la Corée du Sud perçoit les problèmes liés à ce véritable suicide collectif.
Mais ce n’est pas la seule raison pour laquelle un groupe de médecins a lancé voici quelques mois une initiative pour mettre fin aux avortements – opération lucrative car payée comptant aux cliniques d’obstétrique où les naissances ont diminué au fil des ans. Deux médecins, Choi Anna et Shim Sang-Duk, rapportait le New York Times au début du mois, ont créé il y a quelques mois un mouvement nommé Gynob, rapidement suivi de la constitution d’un groupe de médecins pro-vie. Dès ce mois de janvier, ils entendent dénoncer à la police les avortements illégaux dont ils auront connaissance, afin de faire cesser ce qu’ils considèrent comme un fléau. Ils veulent attirer l’attention sur le fait que la loi en vigueur n’est pas mise en pratique, non pour la faire libéraliser (comme on l’a fait dans les pays occidentaux) mais pour mettre fin à l’avortement.
Choi Anna et Shim Sang-Duk ont expliqué leur démarche lors d’une conférence de presse à Séoul, en novembre, où avec des dizaines d’autres médecins ils ont demandé pardon pour avoir eux-même pratiqué des avortements illégaux : 30 par mois dans la clinique où ils exercent (contre 15 naissance). Ils ont stoppé net en septembre dernier. Ils ont expliqué qu’ils avaient « vendu leur âme pour l’argent ». Le Dr Choi, montrant des images de fœtus, a même expliqué que pendant des années, elle s’était lavé les mains après chaque avortement en signe de contrition, signe de la conscience qu’elle avait de pratiquer un « meurtre » comme l’avouent plusieurs membres du groupe.
Son collègue, le Dr Shim, déclarait quant à lui : « Au fil du temps, je n’ai plus ressenti d’émotion. J’ai fini par considérer les résultats de mon travail comme autant de tas de sang. Pendant l’opération, j’avais la même impression que si j’étais en train de traiter des cicatrices ou de guérir des maladies. » Mais peu à peu il a commencé à se déteseter. Non pour des motifs religieux – même si de nombreux membres du groupe pro-vie sont catholiques ou au moins chrétiens – il croyait promouvoir l’économie et préférer parler de gommage ou d’évitement du fœtus. Il semblerait que la réaction de ses patientes l’aient amené à la réflexion : après avoir subi un avortement, la plupart des femmes pleuraient. « Beaucoup de patientes pleurent lorsqu’elles accouchent : mais là c’était une autre sorte de larmes. »
Ainsi la prise de conscience individuelle vient au secours de la catastrophe nationale : manque de filles, mépris des faibles par l’élimination des fœtus « défectueux », qui a été accélérée par le travail des femmes et le coût de l’éducation.
Aujourd’hui, dans Séoul, des panneaux publicitaires portent ce message simple : « L’avorteme avorte l’avenir. »