La vieillesse du monde… n’inquiète plus personne
L’importance du sujet m’incite à mettre en ligne le long compte-rendu de la réunion qui s’est tenue à l’UNESCO le 22 mai dernier, très révélatrice à mon sens des objectifs du mondialisme. Il a paru dans Présent daté du 26 mai.
Une brochette de personnalités mondialement influentes devant un parterre disparate, composé aussi bien d’étudiants, d’universitaires que de retraités du quartier : drôle de rencontre, mardi soir, dans le grand amphithéâtre de l’UNESCO à Paris ! C’est dans le cadre des « Entretiens du XXIe siècle » organisés par le Bureau de la prospective de l’organisme culturel onusien et son directeur, Jérôme Bindé, que s’inscrit cette conférence de vulgarisation ouverte à quiconque veut prendre la peine de décrocher son téléphone et s’y inscrire. Le 22 mai, c’était donc l’occasion d’écouter Boutros Boutros-Ghali, ancien secrétaire général de l’ONU, Hania Zlotnik, directrice de la Division de la population de l’ONU (FNUAP), Jeremy Rifkin, économiste et « futuriste » américain proche de plusieurs dirigeants mondiaux, et Hervé Le Bras, démographe français bien en cour.
Disons-le donc d’emblée : ici, c’est un discours officiel qui est divulgué, et non point des stratégies ou des batailles sémantiques discrètement arrêtées au sein d’un cénacle réservé à quelques initiés. Un discours éventuellement divers, d’où le débat n’est pas exclu, même si d’emblée tout le monde est d’accord pour présenter l’accroissement de la population mondiale comme la pire des perspectives.
L’intérêt de la démarche est précisément là : en de telles occasions, il nous est donné d’entendre ce qu’il « faut » croire, souhaiter, faire progresser. Un point de mire sur la pensée unique qui ne se montre peut-être pas dans tous ses ressorts cachés, mais en tout cas dans son expression la moins ambiguë possible pour le citoyen ordinaire auquel elle prend le risque de s’adresser. Il faut savoir écouter ces hommes d’influence : en décrivant le monde de demain, ils le dessinent et le modèlent…
On démarra avec des chiffres. Beaucoup de chiffres, de courbes, et de cartes savamment colorées pour faire paraître en rouge les zones du monde qui seront encore en croissance démographique en 2050 – l’Afrique sub-saharienne, seulement, mais avec une espérance de vie de 66 ans tout au plus, contre une moyenne de 70 ans dans le reste du monde – et en vert tendre ou plus soutenu celles, toutes les autres, où enfin il naîtra moins d’enfants qu’il ne vivra de vieux. Pour nous dire tout cela, Hania Zlotnik, née à Mexico, spécialiste de la démographie et des mouvements migratoires. La cinquantaine si peu ridée qu’on la croirait liftée à bloc – et bien plus vieille que son âge. Sourire froid, cheveux orange vif.
Et c’est d’un ton dépassionné qu’elle détailla les prévisions actuelles de la « Division population » de l’ONU sur l’avenir de l’humanité : un milliard d’être humains en 1810, 6,6 aujourd’hui ; en 2050, le chiffre se stabilisera à 9,2 milliards, avec une fécondité à 1,85 enfant par femme en moyenne. (Drôle de « stabilité », qui se contentera d’un taux en dessous du seuil de renouvellement des générations !) Dans l’hypothèse d’une fécondité mondiale haute, l’ONU prévoit 10,8 milliards d’humains. Avec un demi-enfant de moins par femme (ça ne vous fait pas penser à Salomon ?) on arrivera à 7,8 milliards.
Un important facteur explique cette croissance globale, comme il a déjà lourdement pesé sur l’accroissement démographique : c’est la chute vertigineuse de la mortalité grâce aux antibiotiques, aux anti-infectieux et aux insecticides. Nous sommes plus nombreux parce que nous vivons plus vieux. Mais il y a aussi la poussée démographique des pays du Sud. Certes, assure Hania Zlotnik, la baisse de la mortalité infantile a tendance à faire baisser la fécondité, « le couple a besoin de moins d’enfants pour assurer sa descendance » ; pour elle, en tout cas, il est urgent de faire baisser la fertilité dans les pays pauvres. « Il le faut, c’est tout », martèlera-t-elle en souriant à l’issue de la rencontre.
En revanche, et on ne sait pas trop pourquoi, elle table sur une remontée de la fécondité en Europe, qui passerait de 1,46 enfant par femme aujourd’hui à 1,76 en 2042. Pourquoi cet « optimisme » ? Parce que les sondages en Europe font état d’un désir des femmes d’avoir plus d’enfants qu’elle n’en ont effectivement, c’est tout…
En attendant, dès 2045, et certainement en 2050, toute l’Europe hormis la France, et aussi le Japon, la Russie et le Mexique connaîtront une diminution de leur population, tandis que l’âge médian atteindra souvent 40 ans (plus de 50 ans dans les pays de l’Est et en Italie) : la moitié de la population aura plus que cet âge.
Concrètement, c’est un vieillissement massif qui se dessine, qui sévit déjà dans de nombreux pays. Aujourd’hui, l’Europe compte 1,9 « travailleur par dépendant » : en 2050, la FNUAP en envisage 1,4.
C’est une révolution ; une révolution dont on devine les conséquences colossales dans de nombreux pays…
En bonne statisticienne, Mme Zlotnik n’en a pas détaillé les aspects humains : outre la charge financière qui pèsera sur les actifs, pourtant, il y aura aussi les besoins énormes créés par la nécessité de soigner et d’aider une population de plus en plus âgée et dépendante… A quoi il faut ajouter la situation explosive qui commence à se révéler dans les pays les plus populeux, la Chine et l’Inde, où déjà des millions de petites filles manquent à l’appel. Elles ne seront pas là dans quarante ou cinquante ans pour s’occuper des anciens.
Je m’attendais, vu cette avalanche de mauvais chiffres et de signes d’épuisement de l’humanité, et spécialement de l’humanité qui peuple les vieux pays d’Europe, à au moins quelques déclarations alarmistes, voire à un petit appel à une meilleure politique familiale comme même les instances les plus européistes osent désormais en lancer parfois.
Il n’en fut rien. C’est la décroissance que l’ONU attend, et avec impatience encore : rien n’a changé depuis qu’elle a préconisé la contraception et la limitation des naissances pour tous, elle se félicite au contraire de ce que toutes ces politiques aient marché globalement.
« Un taux positif, si petit soit-il, n’est pas soutenable ! » Ainsi Hania Zlotnik conclut-elle son exposé, précisant que même le sida n’aurait qu’un « effet modeste » sur l’accroissement dans les pays à forte fécondité. « Réduction de la fécondité et vieillissement doivent être vus comme le résultat du succès de l’humanité à gérer son avenir de façon responsable et positive », ajouta-t-elle, et encore : « Le déclin de la population et le vieillissement sont des choses positives, indispensables au développement, soutenables : reste à s’adapter au vieillissement. »
Comment ? Ce n’était pas le sujet de la soirée, mais alors pas du tout. De problèmes, il n’était pas question. On considérait comme acquis le fait que les nations les plus atteintes sauraient faire appel à l’immigration pour compenser leurs déficits : un million de personnes par an en Europe, n’est-ce pas un minimum raisonnable ? Pour le reste, l’absence de bébés est une telle satisfaction, tellement en accord avec les besoins du développement durable, qu’il serait inconvenant de la mettre en balance avec des difficultés collatérales.
Si bien que, lorsque j’interrogeai ensuite la conférencière en lui demandant si une dégringolade après 2050 n’allait pas créer de nouveaux problèmes importants, elle me répondit que de toute façon, les chiffres retenus par la FNUAP n’étaient peut-être pas exacts, parce que le réchauffement climatique n’y était pas pris en compte, et que celui-ci pouvait aboutir à faire disparaître une part importante de la population mondiale en faisant reculer les littoraux. Et la population baisserait encore plus vite que prévu !
Succédant à Mme Zlotnik, mais plus « pessimiste » qu’elle sur les taux de fécondité de demain (un pessimisme tout relatif), Hervé Le Bras estima que si les démographes du début du XXe s’étaient massivement trompés sur la population française d’aujourd’hui avec des estimations incroyablement basses, ceux d’aujourd’hui imaginent des remontées de fécondité que rien ne justifie vu la baisse quasi universelle qui ne donne aucun signe de vouloir s’arrêter.
Ainsi les Iraniennes avaient-elles en moyenne 6 enfants en 1985 ; plus que 2 aujourd’hui. Et la Chine a un taux « plus bas que le plus bas taux prévu ». « On peut penser que, dès 2025, la population mondiale baissera de plus en plus vite », assure Hervé Le Bras, qui veut à tout le moins ne pas exclure cette hypothèse.
« Est-ce grave ? Faut-il parler d’une implosion de la population ou d’une diminution de la population ? » La réponse, suggère Hervé Le Bras, est chez les écologistes qui ont inventé la notion de caring capacity pour désigner notre capacité à prendre soin de ceux qui en ont besoin, et qui est limitée : « La balance va peser en faveur de ceux-ci. Le monde ne peut pas subsister avec le modèle de consommation américain. »
On peut en effet tourner l’affaire dans tous les sens : dans le monde qui pense et qui détermine nos politiques (encore) nationales, c’est le dogme écologiste qui prime, et l’idée que l’humanité telle qu’elle existe et se multiplie est la principale ennemie de la nature.
Face à un tel discours, comment défendre encore la vie ? Sinon en affirmant clairement que cette idolâtrie de la planète Terre est peut-être au-delà de la culture de mort, un culte de la mort.
A Boutros Boutros-Ghali l’Egyptien revenait la tâche plus politique, plus poétique peut-être de dépeindre les deux rivages de la Méditerranée tels qu’ils ne se rencontrent plus et tels qu’il aimerait les réunifier. Visions d’effroi d’une Europe atteinte d’un vieillissement et d’un rétrécissement sans précédent « depuis les grandes pandémies du Moyen Age », ne représentant bientôt, en 2050, que 4% de la population mondiale contre 8% aujourd’hui. La Turquie comptera alors une population augmentée de 46%, l’Egypte, de 76%, la Syrie, de 176%… « Au Sud, en 2050, près de 50% de la population seront des jeunes de moins de 15 ans. »
Et le voici, ayant dressé cet épouvantail qui n’a rien d’imaginaire, qui nous vante l’immigration nécessaire, non sans avoir dit toutefois : « Pour la première fois depuis le Moyen Age, l’islam est une réalité dans l’Europe chrétienne. » Non sans avoir dénoncé, non plus, l’amalgame entre islam et terrorisme apporté par le 11 septembre, ou l’immigration vers le Nord qui relève d’une politique de type néocolonial : c’est l’importation de main-d’œuvre pour réaliser des travaux pénibles ou ingrats. »
C’est cette politique, ce nouvel « apartheid », dit Boutros-Ghali, qui peut être facteur d’ « implosion des sociétés européennes », car bien entendu ce sont elles qui ont tout faux, elles qui nourrissent dans leur sein des populations pauvres et ghettoïsées où les jeunes réagissent, forcément, par des « désordres ».
« Il y a une nécessité pour l’Union européenne d’une stratégie européenne, l’Europe ne pourra être l’Europe que si elle s’engage pour la non-Europe ! »
Et savez-vous comment cela se fera ? Par des « actions réciproques », de part et d’autre de la Méditerranée : « enseignement de l’arabe ou du turc, traduction des œuvres, mise en place de coûts d’installation généreux pour le logement de ceux qui arrivent, et d’assistanat ».
En clair : immigration soutenue, mélange des cultures et discrimination positive financée sans compter, car « tant que les coûts d’installation resteront insuffisants, on peut s’attendre à des troubles qui risquent de déstabiliser la société européenne », explique Boutros Boutros-Ghali.
Et si vous doutez d’avoir bien lu, écoutez-le s’exclamer : « L’Europe est-elle capable d’accepter une ponction véritable sur les revenus de sa population pour intégrer la population du Sud ? »
Parce qu’il appelait ainsi à une politique « généreuse et humaniste », l’ancien Secrétaire général des Nations unies, aujourd’hui haut responsable à l’UNESCO et vice-président du Haut Conseil de la Francophonie fut le plus longuement applaudi.
Jeremy Rifkin, à l’inverse des autres orateurs, quitta l’estrade et « prêcha », tel un évangéliste sans paroisse et sans foi (il se définit comme juif non croyant), parmi l’assistance. Il croit, lui, que la décroissance de la population est directement fonction de l’accès à l’énergie. Plus on a de charbon, d’électricité, de pétrole… moins il faut de bras pour faire tourner la machine et moins on a donc d’enfants. Les deux révolutions industrielles rendues possibles grâce aux énergies fossiles : le charbon, puis le pétrole, allèrent toutes deux de pair avec une baisse spectaculaire de la natalité. Aujourd’hui, nous rétrécissons le temps et l’espace grâce à la communication, mais une moitié de l’humanité n’a jamais passé un coup de fil, et c’est cette moitié-là qui est si prolifique. « Nous avons déjà atteint un niveau de population non viable ! »
Que faire ? Pour Jeremy Rifkin – qui a l’oreille du gouverneur Schwarzenegger, d’Angela Merkel, de Zapatero, de Romano Prodi – il faut s’engager dans la troisième révolution industrielle en misant tout sur les énergies renouvelables, celles qu’on trouve « hors sol » et qui demain, par le biais de cellules qui stockeront cette puissance sous forme d’hydrogène, pourront être partagées d’individu à individu entre « frères et sœurs » du monde entier. Pour cela, il faut un nouveau « plan Marshall global » destiné à donner l’énergie au peuple (le pouvoir au peuple : Power to the people) et à casser la « machine centralisée paternaliste à distribuer l’énergie ».
Et voilà qui remplacera les naissances…
Parce que les naissances sont de l’énergie, et que le monde n’en aura plus besoin.
De ce prêche se dégage une vision d’enfer d’une humanité branchée jouissant d’une débauche de technique et de communications virtuelles, mais pour Jeremy Rifkin c’est la solution, celle qui permettra aux espèces que nous côtoyons de subsister, celle qui permettra au monde de continuer d’exister.
Il y a là, bien sûr, un paradoxe : dans un monde affranchi des « émissions de CO2 », un monde propre où chacun pourrait vivre sans menacer ses voisins, pourquoi donc limiter le nombre de ces voisins ? Si cet espoir existe réellement, pourquoi continuer à affoler le monde et à le pousser au suicide collectif ?
Parce que ces dames et ces messieurs, sous couleur de respect de la nature et d’engagement au service des plus pauvres, sont des idéologues. Avec Boutros Boutros-Ghali, ils croient sans doute à la « disparition de l’Etat-nation », à une « nouvelle société trans-nationale » grâce à laquelle « l’utopie d’aujourd’hui sera la réalité de demain ».
Cela explique quelques déclarations étranges, comme celle d’Hervé Le Bras assurant que la France « fait » plus d’enfants parce qu’elle se replie sur elle même, parce qu’elle a peur de l’avenir et de la mondialisation…
Cela justifie le thème des « Rencontres du XXIe siècle » voulues par Jérôme Bindé dans le cadre de l’UNESCO : lui qui conclut la soirée en déclarant que « l’éducation est le meilleur contraceptif », tout en ajoutant que même dans les pays à faible niveau d’instruction on constate une spectaculaire réduction de la fertilité. Pourquoi ? « Grâce aux telenovelas et aux feuilletons qui créent un nouveau modèle pour les femmes » : chose à méditer.
Et pour ceux que tout cela laisse songeurs, et inquiets devant un monde qui a choisi de vieillir, il y a toujours cette étonnante réponse apportée à la question du début : « La seule réponse cohérente au vieillissement est l’éducation et la formation, tout au long de la vie, pour tous. »
Cela ne fait guère le poids, face à un sourire d’enfant…