J’ai peu parlé du voyage de Benoît XVI en Allemagne. Non pas, évidemment, que je ne m’y sois pas intéressé! Mais, quand il n’y a pas matière à répondre dans l’urgence aux attaques anti-catholiques de la “grosse presse”, je préfère toujours prendre le temps de lire les grands discours d’un déplacement pontifical, que de saupoudrer OV de commentaires plus ou moins éphémères.
Pour l’heure, je voudrais vous inviter à lire ou à relire avec moi le grand discours de ce déplacement (qui, selon moi, a été le discours devant le Bundestag à Berlin (sans doute par tradition, le site du Vatican parle du Reichstag…). Un de ces discours politiques que les politiques devraient lire et méditer. Un discours qui fonde notre attachement à défendre les points non négociables, le véritable Etat de droit, et notre opposition à la dictature du relativisme, nouveau totalitarisme (non moins mortifère que les précédents, puisqu’il a déjà exterminé plus d’un milliard de petits enfants dans le ventre de leur mère, pour ne parler que de ce drame atroce). Soit dit en passant, je rappelle que la prière (notamment l’offrande du Saint-Sacrifice) et le jeûne sont les meilleures armes pour lutter avec le démon et je ne saurais trop vous inviter à vous associer aux 40 jours pour la vie, dont la session d’automne, si je puis dire, a commencé depuis une semaine (déjà 69 bébés sauvés). Mais revenons à nos moutons: je parlais du discours au Bundestag allemand. Je ne saurais trop conseiller à ceux qui n’ont pas pris le temps de le lire d’aller le lire, sur le site du Vatican par exemple. J’y relève ce passage:
“Servir le droit et combattre la domination de l’injustice est et demeure la tâche fondamentale du politicien. Dans un moment historique où l’homme a acquis un pouvoir jusqu’ici inimaginable, cette tâche devient particulièrement urgente. L’homme est en mesure de détruire le monde. Il peut se manipuler lui-même. Il peut, pour ainsi dire, créer des êtres humains et exclure d’autres êtres humains du fait d’être des hommes. Comment reconnaissons-nous ce qui est juste? Comment pouvons-nous distinguer entre le bien et le mal, entre le vrai droit et le droit seulement apparent? La demande de Salomon reste la question décisive devant laquelle l’homme politique et la politique se trouvent aussi aujourd’hui.
Pour une grande partie des matières à réguler juridiquement, le critère de la majorité peut être suffisant. Mais il est évident que dans les questions fondamentales du droit, où est en jeu la dignité de l’homme et de l’humanité, le principe majoritaire ne suffit pas: dans le processus de formation du droit, chaque personne qui a une responsabilité doit chercher elle-même les critères de sa propre orientation. Au troisième siècle, le grand théologien Origène a justifié ainsi la résistance des chrétiens à certains règlements juridiques en vigueur: «Si quelqu’un se trouvait chez les Scythes qui ont des lois irréligieuses, et qu’il fut contraint de vivre parmi eux… celui-ci certainement agirait de façon très raisonnable si, au nom de la loi de la vérité qui chez les Scythes est justement illégalité, il formerait aussi avec les autres qui ont la même opinion, des associations contre le règlement en vigueur…» [2].
Sur la base de cette conviction, les combattants de la résistance ont agi contre le régime nazi et contre d’autres régimes totalitaires, rendant ainsi un service au droit et à l’humanité tout entière. Pour ces personnes il était évident de façon incontestable que le droit en vigueur était, en réalité, une injustice. Mais dans les décisions d’un politicien démocrate, la question de savoir ce qui correspond maintenant à la loi de la vérité, ce qui est vraiment juste et peut devenir loi, n’est pas aussi évidente. Ce qui, en référence aux questions anthropologiques fondamentales, est la chose juste et peut devenir droit en vigueur, n’est pas du tout évident en soi aujourd’hui. À la question de savoir comment on peut reconnaître ce qui est vraiment juste et servir ainsi la justice dans la législation, il n’a jamais été facile de trouver la réponse et aujourd’hui, dans l’abondance de nos connaissances et de nos capacités, cette question est devenue encore plus difficile.
Comment reconnaît-on ce qui est juste? Dans l’histoire, les règlements juridiques ont presque toujours été motivés de façon religieuse: sur la base d’une référence à la divinité on décide ce qui parmi les hommes est juste. Contrairement aux autres grandes religions, le christianisme n’a jamais imposé à l’État et à la société un droit révélé, ni un règlement juridique découlant d’une révélation. Il a au contraire renvoyé à la nature et à la raison comme vraies sources du droit – il a renvoyé à l’harmonie entre raison objective et subjective, une harmonie qui toutefois suppose le fait d’être toutes deux les sphères fondées dans la Raison créatrice de Dieu. Avec cela les théologiens chrétiens se sont associés à un mouvement philosophique et juridique qui s’était formé depuis le IIème siècle av. JC. Dans la première moitié du deuxième siècle préchrétien, il y eut une rencontre entre le droit naturel social développé par les philosophes stoïciens et des maîtres influents du droit romain [3]. Dans ce contact est née la culture juridique occidentale, qui a été et est encore d’une importance déterminante pour la culture juridique de l’humanité. De ce lien préchrétien entre droit et philosophie part le chemin qui conduit, à travers le Moyen-âge chrétien, au développement juridique des Lumières jusqu’à la Déclaration des Droits de l’homme et jusqu’à notre Loi Fondamentale allemande, par laquelle notre peuple, en 1949, a reconnu «les droits inviolables et inaliénables de l’homme comme fondement de toute communauté humaine, de la paix et de la justice dans le monde».”
Il est difficile d’être plus dense.
Il est difficile aussi d’être plus en opposition avec la démocratie totalitaire contemporaine.
Clamer qu’il y a une nature humaine est précisément ce que nos contemporains ne veulent plus entendre (il suffit de voir avec quelle facilité déconcertante s’est répandue la théorie du genre). L’idée que nous ne façonnons pas nous-mêmes notre nature, mais que nous la recevons de notre Créateur leur est insupportable (je lisais encore récemment l’ancien ministre Ferry déclarer tout bonnement que, pour les héritiers des Lumières, au nombre desquels il se comptait, la nature était l’ennemie).
Mais je crains aussi qu’il soit extraordinairement inefficace de défendre la loi naturelle sous les atours de la Déclaration des droits de l’homme. Certes, nous la rendons ainsi présentable à nos contemporains. Certes, aussi, la loi naturelle qui nous crée des devoirs à l’égard de notre prochain, lui confère réciproquement des droits. Et on peut donc légitimement défendre les droits de l’homme. Mais, les “droits de l’homme” sans autre précision, ce sont les droits de l’homme sans Dieu, comme disait Madiran. Nous reconnaissons, avec les “grands ancêtres” de 89 ou avec les constituants allemands de 1949, “les droits inviolables et inaliénables de l’homme comme fondement de toute communauté humaine, de la paix et de la justice dans le monde”. Mais nous ne pouvons pas oublier que ces “grands ancêtres”, ayant oublié que les droits inaliénables de l’homme découlaient de la loi naturelle inscrite en nous par un Créateur qu’ils refusaient d’adorer et de servir (ce qui est, naturellement, indigne d’un “homme libre”, qui préfère se vautrer dans l’esclavage de ses passions!), ont créé des “Etats de droit”, d’où ils ont exclu telle ou telle catégorie de l’humanité: ici les Vendéens, là les Juifs, ici encore les bébés à naître… Oh, certes, à chaque fois, nous avons un bel Etat de droit, avec la déclaration des droits de l’homme en frontispice, mais le parlement, la souveraineté populaire, ont exclu des hommes de l’humanité. Comment ces droits de l’homme à géométrie variable pourraient-ils protéger quiconque?
Nous avons parlé hier de ce discours dans un déjeuner hebdomadaire aux dominicains. L’un des intervenants, juriste, expliquait que le droit actuellement a tendance à combattre la notion chrétienne de droit naturel, et lui oppose un positivisme juridique : fait loi ce qui est demandé par une majorité, ou dans une approche sociologique, ce qui correspond à l’état des moeurs dans la société. Le gender participe de cette logique, avec aussi des fondements dans le courant constructiviste français du XXe siècle.