Le blogue du Mesnil-Marie rend hommage à l’abbé Carmignac à l’occasion du 25e anniversaire de son rappel à Dieu (le 02 octobre). Il fut l’un des plus grands experts mondiaux de l’hébreu qumrânien, l’hébreu du temps du Christ. Son existence a connu un tournant dramatique à l’occasion des nouvelles traductions. Il raconte lui-même :
ma vie a été bouleversée par un évènement dont vous aurez peut-être du mal à comprendre l’importance. Quand j’ai appris qu’une nouvelle traduction française du “Notre Père” allait contenir la formule “ne nous soumets pas à la tentation”, j’ai été indigné, d’abord parce que cette traduction est fausse, et surtout parce qu’elle constitue un outrage à Dieu, qui n’a jamais soumis personne à la tentation. J’ai donc protesté auprès des autorités responsables de cette erreur, mais je n’ai pas réussi à les faire modifier cette regrettable traduction. Persuadé que la vérité finit toujours par s’imposer, je me suis mis à préparer une thèse de doctorat sur le “Notre Père”. Je l’ai soutenue le 29 janvier 1969 et elle est parue en juillet de la même année avec le titre : “Recherches sur le Notre Père” (Letouzey et Ané); c’est un gros volume de 608 pages, qui pèse plus d’un kilo! Plus tard je l’ai abrégé en un petit volume de vulgarisation : “A l’écoute du Notre Père“.
Bien entendu, cette opposition, que ma conscience m’imposait à la fois par loyauté scientifique et par respect de Dieu, n’a pas été appréciée par les autorités ecclésiastiques et j’ai dû quitter mon poste à Saint-Sulpice pour me réfugier à la paroisse Saint-Louis d’Antin, puis en 1967 à la paroisse Saint-François de Sales…
L’abbé Carmignac restera à Saint François de Sales jusqu’à la fin de sa vie, de plus en plus écarté du ministère : en 1981, il confiait qu’on ne lui laissait plus célébrer que la messe de 7h du matin – messe au cours de laquelle il n’utilisa jamais la traduction fautive du Notre Père, puisqu’il la célébrait en latin – et que son curé ne lui permettait pas de prêcher aux messes dominicales (sauf en période de vacances quand les autres vicaires étaient absents), ni de faire le catéchisme…
L’opposition à son encontre prendra même la tournure d’une véritable persécution (par ses confrères!) et retardera pour un temps ses publications scientifiques, lorsqu’on commencera à apprendre que ses travaux exégétiques sur les sémitismes attestent l’origine hébraïque des Evangiles ainsi qu’une datation proche des événements qu’ils relatent. En 1979 il publie “Mirage de l’Eschatologie, Royauté, Règne et Royaume de Dieu… sans Eschatologie“, où il dénonce la grave et fréquente confusion entre les notions de “fin des Temps” et de “Royaume de Dieu”, livre fondamental pour la compréhension du Nouveau Testament et de l’Apocalypse en particulier.
Atteint d’une grave bronchite, il meurt dans la solitude le 2 octobre 1986, à Paris.
Pendant des années, les personnes qui demandèrent à avoir accès au “fond Carmignac” se heurtèrent à une fin de non recevoir (et aujourd’hui encore il faut faire face à une soupçonneuse inquisition pour obtenir de parcimonieuses autorisations de consultation). Tout porte à penser que l’abbé Pierre Grelot (1917-2009), exégète de tendance moderniste de l’Institut Catholique qui s’opposa de manière violente aux conclusions de l’abbé Carmignac, s’est emparé de certains documents laissés par l’abbé Carmignac. Il semblerait aussi que l’archevêché de Paris soit intervenu pour faire retirer du “fond Carmignac” légué à l’Institut Catholique un certain nombre de documents importants dont on ne peut dire aujourd’hui ni où ils sont ni si on les reverra un jour…
Lire aussi le témoignage de Vittorio Messori. Le Frère Maximilien-Marie raconte aussi :
Je me souviens en particulier d’une conversation très libre qui eut lieu au cours d’un déjeuner. C’était à propos des traductions françaises de la Bible et des éditions courantes qu’on en trouve. J’expliquais les réticences que j’avais à propos de la T.O.B. (traduction oecuménique de la Bible) et les discussions un peu vives que j’avais eues à ce sujet avec des confrères – religieux ou prêtres – qui considéraient cette traduction et ses notes comme un travail sérieux, scientifique et fiable, et qui n’hésitaient pas à y recourir pour la préparation de leurs sermons ou de leurs enseignements… Avec les personnes présentes, elles aussi intéressées par ce sujet délicat, nous demandâmes donc l’avis de l’abbé Carmignac. Il eut un bon et fin sourire : «Que l’on ne me dise surtout pas que la T.O.B. est un ouvrage de référence, ni une traduction rigoureuse et scientifique! Et je sais de quoi je parle, puisque je suis mentionné parmi les collaborateurs de cette traduction!» Avec humour, il nous raconta alors comment il avait été sollicité pour effectuer la traduction et rédiger l’introduction à l’un des petits prophètes, puis de quelle manière, et contre son gré, on avait voulu publier son travail dans la T.O.B. Sa réaction de protestation venait du fait qu’il n’avait pris conscience qu’après avoir remis le travail qu’on lui avait demandé, de ce qu’étaient les prétentions de cette publication, mais aussi ce qu’était en réalité la mentalité exégétique de la plupart des traducteurs ou commentateurs avec lesquels son propre travail serait publié…