Suite du compte-rendu de la rencontre liturgique de Cork. Encore une fois merci à notre correspondant pour son travail si riche et passionnant.
La 5ème conférence fut donnée par le père Dieter Boehler, jésuite, professeur d’Exégèse à Francfort, sur le rapport entre la liturgie chrétienne et l’Ancien Testament. L’intitulé complet de sa conférence était : L’Eucharistie de l’Eglise, la Cène du Seigneur, le Sacrifice d’Israël : réflexion sur l’axiome de Benoît XVI : « La liturgie Chrétienne ne peut pas être comprise indépendamment du patrimoine de l’Ancien Testament. »
Le sujet de cette intervention était de rapprocher l’enseignement de St Paul sur l’Eucharistie dans la 1ère Epître aux Corinthiens des sacrifices végétaux (non sanglants) des juifs à son époque, ce que l’on appelait les minhah. Comparer ces deux éléments peuvent apporter des indications sur la conception de l’Eucharistie chez St Paul et les premiers chrétiens.
Le père Dieter Boehler a ensuite développé une conception curieuse du sacrifice. Selon lui l’acte véritable du sacrifice est de prendre part au repas rituel, ce qui diffère considérablement de la conception traditionelle du sacrifice comme offrande et immolation. Cette intervention a eu au moins le mérite de montrer que l’exégèse catholique est toujours aussi ravagée, et de surcroît complètement indifférente à la théologie et à la doctrine catholique de manière générale.
La 6ème conférence fut donnée par l’abbé Sven Conrad (de la FSSP) sur le thème de La liturgie en tant que « mouvement transcendant » (J. Ratzinger) : Réflexions sur la forme et la Théologie des Rites d’introduction.
L’abbé Conrad a tout d’abord rappelé une spécificité de la liturgie romaine dès ses origines antiques : une séparation très nette entre :
– les clercs et le peuple
– le célébrant et le reste du clergé.
Il a rappelé également que dans la liturgie romaine, la messe pontificale est l’archétype qui a influencé les autres messes : la messe solennelle surtout, et dans une moindre mesure la messe chantée.
C’est à la lumière de ces deux éléments qu’il faut lire les rites de préparation dans la liturgie romaine. De la même façon que l’évêque se vêtit des habits liturgiques au cours d’une cérémonie ritualisée au début des messes pontificales, le prêtre se vêtit lui aussi de manière ritualisée avant la messe pour se préparer à l’action liturgique. De plus les prières au bas de l’autel, qui constituent une autre préparation du prêtre à la célébration des mystères proviennent elles aussi de la messe pontificale romaine. Dans les deux cas on remarque que la messe est à deux vitesses : le prètre/eveque et les servants d’un côté, la schola avec l’assemblée de l’autre. Le célébrant est donc mis doublement à part par les rites de préparation pour se préparer à l’action liturgique.
Lorsque le mouvement liturgique s’est développé dans les années 1920-1930, il fut très critique des rites de préparations. En effet, un des principes fondamentaux du liturgiste Pius Parsh était que « tout ce qui ne relève pas de la participation active doit être banni de la messe ». D’autre part la séparation clerc/fidèles était aussi à atténuer. Enfin, les réformateurs prenaient comme la messe de référence, non pas la messe pontificale romaine, comme cela avait toujours été le cas auparavant, mais la messe paroissiale.
On voit bien que les prières au bas de l’autel ou les rites d’habillement n’avaient plus leur place pour les réformateurs, ainsi ils ont été purement supprimés et remplacé par un rite de salutation mutuelle, centré sur la relation assemblée-prêtre.
La 7ème conférence fut donnée par le père Uwe Michael Lang de la Congrégation de l’Oratoire de St Philip Neri de Londres sur le thème : La voix de l’Eglise en Prière : Benoit XVI et le langage de la liurgie.
Tout d’abord le père Uwe Michael Lang a fait des remarques générales sur le langage de Dieu :
Saint Augustin déclarait qu’il avait eu du mal à comprendre la « la façon de parler de Dieu » (God’s way of speaking). C’est un point important pour la catéchèse : Dieu emploie des images et une façon de s’exprimer qui n’est pas évidente et qui s’apprend par la catéchèse. Saint Augustin, lorsqu’il décrit la Cité de Dieu, écrit qu’il existe dans celle-ci un langage commun à tous ses habitants : c’est la « la façon de parler de l’Eglise » (Church’s way of speaking). Car le la foi ne peux pas être totalement dissociée du langage dans lequel elle est exprimée. Et un seul langage est donc un garant d’unité.
A propos des langues sacrés, le père Lang a remarqué que les pères de l’Eglise ont toujours vénéré les trois langues de la croix (Hébreux, Grec et Latin). Cependant, le trilinguisme, qui est la position théologique selon laquelle seulement ces trois langues peuvent être sacrées apparaît assez tard, avec Isidore de Séville, au VIIe siècle dans le cadre de la polémique entre les chrétiens latins et grecs pour se justifier contre des attaques des Grecs. On peut donc envisager d’autres langues liturgiques dans l’absolue.
Le conférencier a ensuite spécifié les trois caractéristiques de toutes les langues sacrées :
– c’est une langue stable, dans le sens où elle n’évolue pas car elle n’est pas parlé couramment, ce n’est pas une langue vulgaire.
– C’est une langue qui a récupéré des éléments d’une langue étrangère et des éléments de traditions reconnues comme très anciennes (par exemple le Latin a récupéré des mots et des tournures de l’hébreu biblique)
– c’est une langue normée par des textes fixés (la Vulgate pour le latin)
Avant les normes liturgiques du IVème siècle, les prières n’étaient pas mises par écrit (pour des raisons pratique : persécutions…) mais elles étaient apprises par cœur. Il y avait donc parfois des possibilités d’improvisation du prêtre pour certaines prières mais elles étaient très minces et elles s’inséraient dans un cadre invariable.
Enfin, le père Uwe Michael Lang a répondu à une objection courante contre l’utilisation de langues liturgiques : le passage du Grec au latin au IVeme siècle, n’est-ce pas l’adoption d’une langue vernaculaire ? Le père Lang répond que non. Car le latin liturgique fut, dès le départ, une langue bien différente du latin populaire d’alors. C’est un latin dérivé du latin classique, qui a un style bien particulier et un vocabulaire emprunté au grec et à l’hébreu.
C’est en 1946 qu’est apparu au sein du mouvement liturgique cette idée que le passage du grec au latin était un précédent du passage aux langues vernaculaires. Mais cela n’avait jamais été envisagé de cette façon par les Pères de l’Eglise latins.
La 8ème conférence fut donnée par le Professeur Helmut Hoping, diacre permanent et doyen de la faculté de théologie de Freiburg im Breisgau. Sa conférence s’intitulait : L’Ordo Missae de 1965, le missel Latin-Allemand et le Renouveau Liturgique.
Le ton de la conférence semblait plutôt favorable au nouveau rite (notamment en ce qui concerne la destruction de l’offertoire) mais aussi critique sur certains points.
Le Professeur Hoping a commencé par retracé un bref historique des réformes liturgiques et de leur réception en Allemagne entre 1962 et les années 1970. Ila noté que dès les années 1960 les principales traductions allemandes des missels de 1962 et 1965 étaient très déficientes et allaient toujours dans le sens d’une théologie libérale ou s’adaptaient à des positions politiques contestables.
Après la réforme de 1969 les traductions vont encore empirer dans le sens de positions théologiques avancées. Les traducteurs allemands ayant dans l’idée qu’il fallait continuer l’œuvre du Concile qui n’avait pas pu se déployer totalement entre 1962 et1965 pour des raisons historiques. Le Pr Hoping a donc pointé ces différences dérives, ainsi que l’historique des différents rappels à l’ordre de la part du vatican, ainsi que les normes de traduction que celui-ci a promulgué (nécessité d’avoir des traductions fidèles et littérales).
La 9ème conférence a été donnée par le Professeur Manfred Hauke, prêtre, professeur de Théologie Dogmatique à la faculté de Théologie de Lugano et président de la Société Allemande de Mariologie. Son intervention s’intitulait : La structure de base (grundgestalt) de la célébration Eucharistique selon Joseph Ratzinger.
Après un rappel sur la notion philosophique de gestalt (en français on dirait forme) et de grundgestalt (en français : structure de base ou structure fondamentale), le Pr Hauke a indiquait comment cette notion a été appliquée à la messe par les théologiens du mouvement liturgique.
– Romano Guardini (qui a par ailleurs largement influencé Benoît XVI) dit que si l’essence de la messe est d’être un sacrifice, néanmoins sa grundgestalt (structure de base) est celle d’un repas.
– Joseph Pascher, un autre liturgiste allemand va même plus loin : pour lui la messe a la grundgestalt (structure de base) d’un repas et seulement le symbolisme d’un sacrifice.
– Le théologien et liturgiste jésuite Jungmann critique dans les années 40 ces deux positions : dans la célébration liturgique, l’Eucharistie est prédominante par rapport au repas et elle a bien la forme (ou la structure) et la réalité d’un sacrifice. Ainsi, le geste d’élévation du calice lors de l’offertoire et le fait que les espèces corps et sang soient séparées sur l’autel sont deux arguments décisifs qui témoignent du caractère sacrificiel de la forme de la célébration Eucharistique dès les temps apostoliques.
– Les avancées de l’exégèse ont donné raison à Jungmann, notamment avec les travaux de Heinz Schürmann.
– Mais à la suite de cette querelle, d’autres opinions ont émergé : la messe aurait une structure essentiellement « eulogique » (action de bénir Dieu et de lui offrir quelque chose). Cette opinion est partagée par le litugiste Lothar Lies et est soutenue par l’exégète protestant Harmut Gese.
Le professeur Hauke a ensuite exposé la position de Benoit XVI vis-à-vis de ce débat qui fut lancé par le mouvement liturgique.:
– Benoît XVI est critique lui aussi de la position de Guardini (le repas est la structure fondamentale de la messe)
– Il semblerait que pour Benoit XVI, ce soit l’action de grâce (thanksgiving) qui constitue la structure liturgique de la sainte Messe. L’action de grâce fait partie de la nature sacrificielle de la messe, de même que le Banquet Eucharistique.
La 10ème conférence fut donnée par Lauren Pristas, professeur de théologie à l’université de Caldwell (USA) sur le sujet de la réforme postconciliaire des Collectes du missel Romain.
Lauren Pristas a exposé le résultat de ses recherches sur les modifications des collectes du missel romain. Elle a montré que les nouvelles collectes étaient en général le fruit d’un mélange de plusieurs sources différentes, dont la principale était le sacramentaire gélasien. Mais comparée aux collectes du missel de 1962, l’enseignement et la théologie des nouvelles collectes sont très différentes.
Pour illustrer ses propos, Mme Lauren Pristas a pris comme exemple les collectes du temps après pentecôte. Dans les nouvelles collectes il y a des omissions flagrantes : il n’y a plus de référence à la difficulté de la vie spirituelle, à la crainte de Dieu, le Dieu Tout-Puissant est transformé en Dieu miséricordieux, il n’y plus de demande de purification de l’Eglise et de fuir le démon etc… Au contraire les nouvelles collectes se focalisent sur l’action de grâce.
Elle a montré enfin comment certaines collectes ont été parfois de véritable trahison de leurs différentes sources. En multipliant les sources, les réformateurs ont pu récupérer et isoler différents passages hors de leur contexte, et leur donner un sens différent dans la nouvelle prière. Cela leur a permis enfin d’éviter certains enseignements des vieux sacramentaires et de la doctrine traditionnelle, ainsi la référence au jeûne a-t-elle pratiquement disparu des collectes.
Trois autres conférences ont été également données, conféreces auxquelles notre correspondant n’a pu assister. En voici les titres : :
La 11ème conférence : Prof. William Mahrt sur la Musique et Sacralité dans les deux formes.
La 12ème conférence : Dr. Caitriona O Dochartaigh sur Le développement du vocabulaire de dévotion en langue vernaculaire dans l’Irlande médiévale.
La 12ème conférence : Dr. Janet Rutherford : Le Patrimoine Anglican : ce que c’est, et ce que l’on peut en faire.