Dans sa dernière lettre, particulièrement intéressante et pertinente, Paix liturgique propose une traduction intégrale en français de la lettre des séminaristes milanais que j’ai déjà évoquée ici. On trouvera cette traduction sur le site de l’association française. Mais il me semble très intéressant de reproduire ici une partie des réflexions de Paix liturgique sur ce que révèle une telle lettre.
1) La première remarque est que ces séminaristes sont…Italiens : un nouvel indice pour nos amis français que les questions que nous soulevons ne relèvent pas d’un débat strictement franco-français mais ont bien une dimension universelle
2) On remarque que cette lettre de séminaristes – qui ne sont pas des séminaristes d’une communauté Ecclesia Dei mais des séminaristes diocésains – dépasse de loin le problème du document d’interprétation du Motu Proprio : elle concerne directement et expressément l’idéologie liturgique – et tout ce « qui va avec » – du grand séminaire du diocèse considéré comme ayant le plus grand poids moral de la chrétienté après celui de Rome. Où l’on peut voir qu’en 2011, on en est, à certains égards, au même point qu’en 1970. Ce qui a changé, c’est que de nombreux séminaristes regimbent, en Italie, en France, en Espagne, et même que certains osent le dire tout haut. Ce qui a changé c’est que les nouvelles générations sont de plus en plus décomplexées.
Le blog Perepiscopus rapportait à ce sujet d’ailleurs dans un article du 13 mars 2010 cette information : dans un séminaire français a été constitué un « groupe stable » de 9 séminaristes (représentant de fait le quart des séminaristes proprement diocésains de ce séminaire) qui a formulé une « demande » selon le Motu Proprio Summorum Pontificum auprès du supérieur, le Père B. Le supérieur, pour l’instant, n’a pas donné suite à cette demande de célébration, une fois par semaine, d’une messe selon la forme extraordinaire.
Toutefois, s’il est des lieux dans l’Église où l’Inquisition fonctionne toujours, c’est bien dans les séminaires, où les candidats sont examinés (ils disent : « fliqués ») bien plus sur leurs idées que sur leur moralité. N’est ce pas Golias qui, magnifique aveu, écrivait dans ses lignes le 26 août 2010, « On peut donc s’interroger sur nos évêques, y compris les meilleurs à titre personnel. Il y a encore quinze ou dix ans, ils fermaient leur porte à des jeunes épris de soutane et d’encens quitte parfois à les casser au travers de stages faute d’oser franchement leur dire la vraie raison d’un refus d’accueil et d’ordination. » (http://www.golias-editions.fr/LE-CHRIST-ROI-A-SAINT-BRIEUC) Ce flicage ecclésiastique que Golias voudrait renvoyer à une période passée est encore hélas bien d’actualité, les témoignages ne manquent pas.
C’est dire à quel point cette lettre des séminaristes de Milan est courageuse et particulièrement émouvante.
3) Le diocèse de Milan était historiquement considéré comme le « premier » archevêché du monde, aujourd’hui encore l’un des trois premiers par le nombre de catholiques qu’il regroupe : un peu moins de 5 millions. Alors que Milan était une des grandes villes de l’Empire romain, saint Ambroise, un des quatre docteurs majeurs de l’Église d’Occident (avec saint Jérôme, saint Augustin, saint Grégoire), fut porté sur le siège épiscopal de cette ville. Il a donné son nom au Te Deum (« l’hymne ambrosienne ») et surtout à la magnifique liturgie latine qui y a été célébrée jusqu’à la réforme de Paul VI (le rite ambrosien), avec, il faut en convenir, quelques restes dans les cérémonies du nouveau rite ambrosien célébrée au Dôme (la cathédrale).
Milan a aussi pour patron saint Charles Borromée, archevêque de cette ville dès la fin du Concile de Trente, prélat majeur de la Contre-Réforme (notamment puissant diffuseur de la piété eucharistique, auquel on doit, entre autres, la généralisation du tabernacle sur l’autel principal des églises et cathédrales), que Pie XI a donné comme protecteur aux… séminaristes. Enfin, sous Pie XI le siège de Milan fut honoré par le grand cardinal Schuster (1929-1954), proclamé bienheureux en 1996, très savant liturgiste, une des plus hautes personnalités ecclésiastiques du XXe siècle.
3) La « question milanaise », toujours au premier plan dans l’Église italienne (l’archevêque de Milan est un papabile-né) a pris ces derniers temps une importance considérable :
a) L’impulsion donnée à la curie milanaise, depuis le cardinal Montini (futur Paul VI) et jusqu’à l’actuel archevêque, marquée sous Jean-Paul II par la très forte personnalité du cardinal jésuite Martini, était résolument « progressiste ». L’annonce très prochaine du successeur du cardinal Tettamanzi est donc particulièrement attendue, dans la mesure où elle pourrait changer une donne qui n’a pas varié depuis 1954. Ce qui serait le cas si était nommé un prélat comme le cardinal Scola, actuel patriarche de Venise (prêtre originaire de Milan mais écarté par la curie progressiste car trop orthodoxe), ou d’un autre de même ligne. On comprend d’ailleurs que cette perspective dynamise les séminaristes auteurs de la lettre dont nous parlons.
b) En outre, pour le monde traditionnel italien, la perpétuation du rit ambrosien est infiniment plus importante que n’est en France celle du rit lyonnais ou du rit dominicain. Successeur de Schuster, Montini a, par la force des choses, utilisé le rit ambrosien ancien, puisque la réforme liturgique n’a été mise en œuvre qu’après son accession au souverain pontificat. Mais même les archevêques suivants, le modéré Colombo, théologien ami de Paul VI, et les progressistes Martini, puis Tettamanzi, qui vient de remettre sa démission, ont cultivé, au moins au Dôme, une certaine particularité liturgique « ambrosienne » au sein de la réforme de Bugnini. Certes, la lettre des séminaristes n’aborde qu’au détour d’un paragraphe et presque implicitement cette question du rit ambrosien ancien, mais tout le monde comprend qu’elle est centrale dans leur démarche. Or, la question porte sur sa survie et sa charge symbolique.
– Sa survie : une lutte extrêmement vive a eu lieu entre le cardinal Tettamanzi et la Commission Ecclesia Dei sur le point de savoir si le Motu Proprio de 2007 protégeait aussi le rit ambrosien ancien. Une lettre de la Commission Ecclesia Dei du 23 mars 2009 avait expressément répondu que « s’il est vrai que le Motu proprio du Saint-Père n’a pas cité expressément le rit ambrosien, il n’exclut pas les autres rits latins ; dans la mesure où ce que la volonté du Saint-Père affirme pour le rite romain, supérieur en dignité, vaut par conséquent, a fortiori pour les autres rits latin, y compris le rit ambrosien ». Dans son dernier état, telle qu’il a été refondue par la Congrégation de la Doctrine de la foi du cardinal Levada, le projet d’instruction pour l’interprétation du Motu Proprio revient sur cette jurisprudence d’Ecclesia Dei : les rits non romains ne seront pas couverts par Summorum Pontificum.
– La charge symbolique : si aujourd’hui, le rit ambrosien ancien sortait du champ de Summorum Pontificum pour être confié à la Congrégation pour le Culte divin du cardinal Cañizares et non plus à la Commission Ecclesia Dei de Mgr Pozzo, il ne serait plus en danger, au moins immédiat, de disparaître, comme il l’était à l’époque du cardinal Tettamanzi. Il pourrait cependant plus facilement être transformé, au nom d’une « réforme de la réforme » mal comprise. En tout cas, la généralité libératrice de Summorum pontificum pour toute la tradition liturgique en serait gravement affectée quant au « signe ».
4) Un mot sur “Bose”. Cette communauté religieuse, née le jour de la clôture du concile Vatican II, rassemble des hommes et des femmes célibataires de différentes confessions chrétiennes pour « vivre l’Évangile avec radicalité » (règle de la communauté 3.5). Son
fondateur et supérieur, le frère Enzo Bianchi, est la coqueluche des médias italiens où il est toujours prompt à donner son avis, de façon souvent radicale ! Souvent des analogies sont faites entre Bose et Taizé et les séminaristes milanais ne nous surprennent pas en se plaignant de se voir infliger tout le répertoire de Taizé en plus de la liturgie façon Bose.