Il y a mille raisons de préférer la messe selon sa forme traditionnelle. Les aspects sensibles (beauté, grandeur, déploiement de la liturgie, etc.) ne sont pas à négliger car ils manifestent les choses invisibles et sont nécessaires à l’homme. Cependant, les raisons doctrinales ne sont pas à négliger non plus ni à mettre de côté, sous le prétexte que la « question liturgique » serait réglée. Si le Saint-Père envisage une « réforme de la réforme » – que certains de manière bien surprenante quant à la logique et au respect des mots comprennent comme une réforme de la messe traditionnelle – c’est que la messe dite de Paul VI pose certains problèmes doctrinaux, et notamment celui de moins manifester l’aspect sacrificiel de la messe. C’est ce que montrait dès 1969 une étude parue dans le numéro 122 de La Pensée catholique. Cette étude était signée d’un groupe de théologiens et elle était complétée par une étude canonique due à un groupe de canonistes. Dans son éditorial « Sous réserve, pas plus » du numéro 139 d’Itinéraires (janvier 1970), Jean Madiran recommandait cette analyse théologique parue en tête de La Pensée catholique, laquelle fut toujours respectueuse du Saint-Siège et ne cessa dans les années suivantes de défendre le Pape Paul VI. Il est impossible ici de reproduire les 38 pages de cette étude. En voici juste la conclusion. Pour mémoire.
« Quelle peut être l’exacte portée de l’OM (= messe de Paul VI) ?
Telle est la question qui est à l’origine de ces réflexions.
On est fondé à craindre que, ne mettant plus en évidence le Sacrifice de Jésus, l’OM ne le voue en fait à l’oubli ; car ce Sacrifice est une réalité trop surnaturelle pour que l’homme puisse, sans signe, s’en souvenir et en vivre.
La religion naturelle impère à l’égard de Dieu la louange, et une certaine assimilation qui fort inchoactivement est déjà une “sanctification”. Le propos de la nouvelle “prex”, “prex scilicet gratiarum actionis et sanctificationis” (N 54, p. 25) n’est évidemment pas celui de la religion naturelle. Cependant, il s’inscrit dans la même ligne ; il répond à l’attente connaturelle de l’homme idéal ; il ne fait plus face, au nom de la sublime Miséricorde de Dieu, à l’homme tel qu’il est en sa tragique réalité.
Ce changement de point de vue n’est une “hypothèse” que suggérerait la lecture de l’“Institutio generalis”. Il s’inscrit dans les faits. Le symptôme en est précisément que le sens du sacré, déjà si gravement oblitéré, sera définitivement ruiné par l’application de l’OM, lequel homologue nombre de comportements déjà pratiqués.
Concomitamment se trouvera de plus en plus inculqué au “peuple de Dieu” le point de vue qui consiste à juger de tout en fonction de l’homme ; et l’omission d’ordre liturgique observable dans le texte de l’OM, se traduira concrètement par l’oubli du Sacrifice que Jésus Lui-Même a institué comme étant la preuve et le sacrement de son Amour.
Le Christ, “grand prêtre selon l’ordre de Melchisedech” a volontairement accompli, sitôt après la première transsubstantiation, l’effusion sanglante et totale qu’Il avait solennellement annoncée. Ces deux choses ont été liées ontologiquement, en vertu de l’Amour qui les inspira l’une et l’autre à leur Auteur. Cette unité une fois réalisée, c’est elle qui demeure. Et l’unité entre la Présence et le Sacrifice, c’est cela la Messe ».
Aujourd’hui, le symptôme a-t-il disparu ? Le sens du sacré demeure-t-il ? La majorité des catholiques sait-elle que la messe « est le sacrifice du Corps et du Sang de Jésus-Christ, offert sur nos autels sous les espèces du pain et du vin en souvenir du sacrifice de la Croix » (Catéchisme de Saint Pie X) ? C’est face aux réponses données à ces questions que peut être jugé la pertinence de cette étude qui date de 1969.
Problème technique..Il serait plus juste de parler de la Messe dite de Paul VI.L’avenir prochain va clarifier bien des mystères sur cet affaire.Patience
La différence est radicale l’une est plus libérale et plus humaniste faisant pencher le monde catholique vers un rapprochement avec le protestantisme, l’autre est transcendantale et horizontale rapproche de Dieu et de la foi catholique de toujours.
“Lex orandi, lex credendi”
Merci pour ce magnifique article!
Juste une réflexion: pourquoi dire que, si l’aspect sensible a son importance, “les raisons doctrinales ne sont pas à négliger non plus”? Pourquoi juxtaposer ce qui peut être ordonné de façon architectonique? Sapientis est ordinare. Ne vaut-il pas mieux montrer quel est le lien entre le sensible et le doctrinal?
Il me semblerait plus fécond pour l’analyse de montrer comment l’intelligible (la doctrine) est exprimé, pour les êtres de chair et de sang que nous sommes, par le sensible (la “chorégraphie liturgique”). A ce moment-là, on voit toute l’importance du sensible, qui est d’être au service de la doctrine.
On comprend mieux alors combien il est illusoire de prétendre conserver la théologie traditionnelle dans un cadre liturgique moderne. Retoucher quelques gestes, génuflexions etc. ne cause aucun tremblement de terre mais leur diminution drastique est perçu par le dernier des illestrrés comme une façon de dire qu’on peut en prendre plsu à l’aise avec Dieu. Dans la vie civile, tout le monde comprend ça: en Belgique, quand Bart De Wever se présente au palais sans cravate et est reçu par le roi, tout le monde comprend qu’on peut en prendre à l’aise avec la monarchie. Idem en liturgie parce que nous ne sommes “ni anges ni bêtes”.
La suppression du banc de communion a probablement fait plus pour la diffusion d’une fausse conception du sacerdoce universelle (il y en a une vraie, certes) que tous les traités de théologie à ce sujet.
Bref, comme le dit J. Madiran dans l’article que vous commentez, le changements sensibles contenus dans le nouvel Ordo Missae sont consonnants avec les “gommages” doctrinaux qu’on y trouve. Ils en sont donc la traduction concrète, s’adressant à l’intelligence à travers les sens. On peut avoir une meilleure analyse que la mienne mais il me semble qu’elle articule, au lieu de juxtaposer, ces deux aspects.
Pour le reste, merci beaucoup pour ce rappel de ces articles. 40 ans après, il ont effectivement peu perdu en pertinence. Les relire fait beaucoup de bien. Merci.