Dans son numéro de mai, Inside the Vatican revient sur la question de la liturgie et de la place de la forme traditionnelle du rite latin par rapport à la nouvelle messe. Dans son article Robert Moynihan cite un membre
de la curie qui lui aurait déclaré « l’ancien rite est notre passé et ce sera aussi notre futur. La nouvelle messe est entrain d’être dépassé. Dans 50 ans, ce sera absolument
évident ».
Malgré une opposition réelle au sein de la Secrétairerie d’État, il est vrai que de plus en plus de prélats et de membres de la curie se montrent favorables à la
célébration de l’usus antiquior et entendent promouvoir un retour à la
liturgie traditionnelle. Pour autant les pressions sont nombreuses, les pièges « à la romaine » se multiplient, et l’ensemble du personnel ne marche pas d’un seul pas dans les vues du
pape. C’est pourquoi on peut se demander ce que vaut un tel propos, anonyme qui plus est ?
S’il ne faut en pas en exagérer la portée, il est certain qu’il a la valeur d’un thermomètre. Il ne donne pas plus la maladie qu’il offre la guérison. Il révèle
l’état de la question, la température atteinte à un moment donné. Encore faut-il savoir l’interpréter ?
L’une de ces interprétations, a minima,
dirions-nous, c’est que la question liturgique a pris définitivement ses quartiers à Rome. Non seulement à la Congrégation du Culte divin, dont c’est le métier, mais aussi dans les esprits, les
pensées, les réflexions, les habitudes et la pratique de la jeune génération des membres de la curie et chez certains prélats occupant des postes importants.
Il y a à Rome un effet Motu Proprio qui n’existe pas encore en France. Non pas seulement dans le sens des autorisations à célébrer la messe – doit-on autoriser ce
qui n’a jamais été interdit, comme le souligne dans sa lettre aux évêques Benoît XVI ? – mais dans la mise en place d’hommes favorables au Motu Proprio, lesquels sont décidés à
mettre en musique ce texte et tout ce qui va avec. Hormis la Secrétairerie d’État qui bloque sur ce point, il est clair que les hommes changent à Rome et… ne changent pas au sein des épiscopats,
principalement européens.
Cette situation de tension paradoxale va entraîner dans le futur un bras de fer de plus en plus fréquent, non entre le pape et les épiscopats, mais entre la curie
romaine et les épiscopats. Qui sera le vainqueur ? Impossible de le savoir. Tout dépend, encore une fois, de la politique de nominations épiscopales mise en place. Tout dépend du profil des
cardinaux nommés, qui éliront le prochain pape, moment où sortira le vainqueur du bras de fer.
Mais, au-delà du vainqueur potentiel, ce bras de fer peut servir à mettre en relief une réelle difficulté du Concile Vatican II que le pape Benoît XVI n’a
absolument pas résolue. En poussant l’expression des choses au-delà de la réalité des textes, nous nous trouvons actuellement devant une sorte de « conciliarisme » qui ne dit pas son
nom et une papauté qui s’est auto-bloquée en accordant un crédit excessif aux épiscopats, et singulièrement à l’expression collective de ces derniers. En clair, la tension entre une curie
traditionnalisante (en partie) et des épiscopats jaloux (majoritairement) de leur autonomie ne pourra être résolue que par le haut, c’est-à-dire par le pape qui doit retrouver son autorité, et
l’exercice de celle-ci, de pontife suprême. Pour l’équilibre des sociétés, et l’Église en est aussi une, l’autorité doit être clairement perçue, non seulement symboliquement, mais dans son
exercice. Le Pape n’est pas la reine d’Angleterre. Aucun bien commun ne peut être atteint, et encore moins poursuivi, sans le véritable exercice de l’autorité. Il ne s’agit évidemment pas de
réduire au rôle de « préfet » des évêques dont l’existence est de volonté divine. Il s’agit plus clairement de réduire le rôle de contre-pouvoir des conférences épiscopales dont le
Concile Vatican II a encouragé l’émergence et la prise de pouvoir. Paradoxalement, une telle logique entraînera la réhabilitation du rôle et de l’autorité traditionnelle de l’évêque au détriment
des décisions collégiales. Car si le pape n’est pas la reine d’Angleterre, si la curie n’est pas le « Politburo », les évêques ne doivent plus être réduit aux diktats d’une
bureaucratie. Il faut libérer les évêques de leurs chaînes.
C’est ainsi d’ailleurs que la question liturgique, sa mise en application, servira à poser le problème doctrinal aux réelles conséquences pratiques.