Le site Disputationes theologicae
propose un entretien très intéressant et très riche avec Mgr Bux, un des actuels liturgistes favorables à une réforme de la réforme. Né en 1947, ordonné prêtre en 1975, il a effectué ses travaux
de recherche à l’Ecumenical Institute, au Biblicum de Jérusalem et à l’Institut saint Anselme de Rome. Professeur de théologie sacramentaire à la faculté théologique de Bari, on le compte parmi
les collaborateurs les plus estimés du pape Benoît XVI. Auteur de nombreuses publications en théologie dogmatique et en liturgie, il a récemment publié un ouvrage sur la doctrine liturgique du
Saint Père, La réforme de Benoît XVI. Mons. Bux est aussi consulteur à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi et à la Congrégation pour la Cause des Saints, en même temps que membre du Bureau
pour les Célébrations Pontificales. Il est collaborateur de la revue Communio, et l’un des spécialistes reconnus des liturgies orientales.
L’entretien mérite d’être intégralement lu. J’en propose ci-dessous deux passages significatifs, non seulement pour donner le désir de lire l’ensemble, mais surtout
parce qu’ils abordent deux points importants : le sens des réalités pour une restauration de la liturgie et la question de l’offertoire.
« Au-delà de l’opinion de certains utopistes, qui avec peu de sens pastoral voudraient une restauration immédiate de toutes choses, comment pourrait-on
agir doucement, mais fermement, dans le but d’améliorer graduellement certains aspects de la liturgie ? Comment agir dans ce processus long mais nécessaire ? Comment s’adapter à la réalité sans
mille compromis ?
Il faut avant tout tenir compte du moment historique que nous vivons, et qui inclut une crise générale de l’autorité, qu’elle soit l’autorité du père, de l’Etat, de
l’Eglise (et dans l’Église). Comme nous disions tout à l’heure le risque est l’aboutir à une conception de « self-service » dans l’Église. Nous nous trouvons aujourd’hui dans une sorte d’anomie –
une absence de loi – diffuse, même si en même temps tout le monde recourt aux lois quand ses propres droits sont mis à mal.
Les droits de Dieu sont systématiquement bafoués. Comment peut-on chercher à obtenir l’observation des règles liturgiques si nous n’avons pas d’abord expliqué ce
qu’est le « ius divinum » de la liturgie ? Aujourd’hui personne ne le sait plus : il faut donc avant tout faire comprendre le sens des règles. C’est un peu comme en morale, la détermination d’une
loi se fonde avant tout sur la compréhension des ses principes et il est évident que lorsqu’on parle de liturgie et des sacrements il y a bien des aspects moraux. En tout premier lieu, disais-je,
il est donc nécessaire de faire comprendre que le sens des règles dérive de la conviction que la « première règle » est d’adorer Dieu – Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et tu n’auras pas d’autre
Dieu que Moi. On ne peut pas fabriquer un culte à sa propre image, sinon c’est Dieu que l’on déforme. Or aujourd’hui non seulement on imagine un dieu et après on improvise un culte qui convienne
à cette image, mais on va même jusqu’à imaginer d’abord un culte pour inventer ensuite le dieu qui lui correspond. L’idolâtrie signifie « idée déformée de Dieu » : c’est bien là la réalité qui
nous entoure.
Le Pape Benoit XVI, dans la lettre aux évêques qui explique le sens de la révocation de l’excommunication des évêques consacrés par Mgr Lefebvre, voulait faire
comprendre à ceux qui lui reprochaient de s’occuper de problèmes secondaires comme la liturgie, qu’à une époque où le sens de la foi et du sacré s’éteint partout, il est au contraire nécessaire
que ce soit justement dans la liturgie que l’on trouve la façon privilégiée de rencontrer Dieu. La liturgie est et reste le lieu le plus approprié pour cette rencontre avec Dieu, et pour cela le
Pape, lorsqu’il s’en préoccupe, ne traite pas de problèmes secondaires, mais bien de questions primordiales : si même la liturgie se met à parler le langage du monde, comme faire pour aider
l’homme ? Quant aux utopistes, il faut leur rappeler qu’il est nécessaire de posséder ce que Benoit XVI appelle : « La patience de l’Amour ».
L’ancien offertoire parlait de Dieu à l’homme avec une éloquence remarquable sur la valeur sacrificielle et sur la nature de la Messe, comme sacrifice
offert à Dieu. Pourrait-on penser à un correction dans ce sens du nouveau rite ?
Il est important que l’on connaisse de plus en plus l’ancienne Messe, dite aussi tridentine – mais qu’il serait en fait plus opportun d’appeler « de Saint Grégoire
le Grand », comme l’a récemment exposé Martin Mosebach. En effet, elle a pris forme dès le Pape s. Damase et puis sous s. Grégoire le Grand, mais pas avec s. Pie V, qui n’a fait que réordonner et
codifier ce qui existait déjà, en prenant acte des enrichissements des siècles précédents et en mettant de côté ce qui était tombé en désuétude. Ceci étant dit, il faut avant tout bien connaître
cette Messe, dont l’offertoire est partie intégrante. Il y a eu nombre de travaux de recherche dans ce sens et beaucoup se sont interrogés sur l’opportunité de réintroduire l’ancien offertoire,
auquel vous faites allusion. Cependant seul le Saint-Siège a autorité pour œuvrer en ce sens. Il est vrai cependant que la logique qui a dicté la réforme de la liturgie après le concile Vatican
II a amené à simplifier l’offertoire, parce qu’on pensait qu’il y avait là plusieurs formule de prières offertoriales : c’est ainsi qu’on a introduit les deux formules de bénédiction de saveur
judaïque ; la secrète – qui est devenue « prière sur les offrandes » – et l’ « orate fratres » ont été maintenus, mais on les a estimées plus que suffisantes. A vrai dire cette simplicité,
entendue comme un retour à la pureté des origines, se heurte à la tradition liturgique romaine, comme avec la tradition byzantine et avec les autres liturgies orientales et occidentales. La
structure de l’offertoire était vue par les grands commentateurs et théologiens du Moyen-âge comme l’entrée triomphale du Christ à Jérusalem, qui va s’immoler en offrande sacrificielle. C’est
pour cette raison que les offrandes étaient déjà dites « saintes », et que l’offertoire possédait une telle importance. La simplification moderne que je viens de décrire, il est vrai, en amène
aujourd’hui beaucoup à réclamer le retour des riches et belles prières du « suscipe sancte Pater » et du « suscipe Sancta Trinitas », pour n’en citer que quelques-unes.
Cependant ce ne sera que par une plus large diffusion de l’ancienne Messe que cette « contagion » de l’ancien sur le nouveau rite sera possible. C’est pour cela que
réintroduire la Messe « classique », si vous me permettez l’expression, peut constituer un facteur de grand enrichissement. Il faut donc mettre en œuvre une célébration festive régulière de la
Messe traditionnelle, au moins dans chaque Cathédrale du Monde, mais même dans chaque paroisse : cela aidera les fidèles à apprivoiser le latin et à se sentir membre de l’Église catholique ; cela
leur permettra aussi en pratique de participer aux Messes internationales dans les grands sanctuaires. En même temps, je pense qu’il faut à tous prix éviter les réintroductions décontextualisées
: je veux dire qu’il y a une ritualité qui est liée à chaque signification exprimée, et qui ne peut donc pas être réintroduite simplement en insérant une prière dans le missel. Il s’agit là d’un
travail bien plus complexe. »