« Bonjour et bonne question que celle du développement organique de la liturgie !
Les deux réponses sont intéressantes : la seconde montre quelle est la nature de l’opposition au nouveau missel : malheureusement, c’est une opposition non argumentée et historiquement fausse !
Faire partir les déviance du Concile est une véritable méconnaissance de la situation dans l’Eglise depuis le début du XXème siècle… Il n’y a aucun argument liturgique dans cette réponse, elle
est purement sentimentale…
Le prêtre résume assez bien la situation je pense : lorsque la messe de Paul VI est célébrée par le Saint Père, voit-on une différence profonde avec la liturgie extraordinaire ? Les rubricistes
répondraient sans doute oui ! car la messe pontificale n’a jamais été simplifiée à ce point ! Mais passons outre le fait que l’on est arrivé à une messe solennelle du Pape qui ressemble en
réalité à sa messe privée : sa messe “privée” à Saint Pierre ne crée pas d’incertitude pour le catholique traditionnel : elle est célébrée ad orientem (même si elle est face au peuple…) on
trouve en plus la procession des offrandes, mais les différentes phases se retrouvent…
Bref, lorsque la messe de Paul VI est célébrée dignement (dans le respect des rubriques), on arrive à une cérémonie digne, donnant toute sa place au sacrifice avec autant de temps de prière
collective que de prière particulière et qui ressemble profondément à l’ancien missel…
Le pb, c’est avant tout la violation des règles et des rubriques ! Mais imaginer que ça commence au concile, c’est tout ignorer du mouvement liturgique du début XXème ! Sans doute cela est dû aux
messes dans les tranchées : la grande guerre a conduit à des cérémonies plus simples où les soldats se trouvaient en contact plus direct avec le prêtre célébrant… Ensuite, les choses sont
allées assez vite : en Hollande on eu assisté à un mouvement progressiste rapide : messe face au peuple, en vernaculaire, avec des prières inventées pour chaque occasion et même des prières
eucharistiques différentes pour chaque dimanche !
Ce qui a été fait pendant la guerre s’est retrouvé dans les mouvements scouts et de jeunesses : messes en plein air, dans des lieux inhabituels, en vernaculaire, face au peuple, etc… Il faut
regarder la “messe” missel de 65, des étudiants de Chartres en 1968 ! (Archives INA) c’est un grand moment de cirque !
Dans les mouvements de jeunesse agricole, et ses fêtes de la joie, la messe a une place importante mais avec des processions d’offrande qui ont pris une dimension incontournable pour valoriser le
travail agricole et cela culmine en 1955 avec la messe de la JAC au Parc des Princes devant 50 000 jeunes paysans, en vernaculaire avec une procession d’offrande (non prévue dans les rubriques)
mais ajoutée pour les besoins de la cause !
Et il ne faut pas oublier que même la Fraternité St Pie X viole assez allégrement les rubriques dans de nombreux cas pour satisfaire aux nécessités contingentes en organisant des messes en plein
air par exemple (ordinations d’Ecône) alors que cela n’est prévu pour l’ancien missel que dans des cas exceptionnels et avec autorisation spéciale de l’ordinaire… Or l’exception est devenue
régulière… et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres.
Le phénomène d’inculturation de la liturgie a toujours été présent ! Nous chantons les cantiques de notre époque ! Il ne viendrait à personne l’idée de chanter ceux de St Louis Marie Grignon de
Montfort (à qq très rares exceptions survivantes) qui ont pourtant été très en vogue jusqu’au XIX° ! Mais chanter les louange de Dieu sur l’air de “Il pleut bergère” nous ferait plutôt sourire !
Nous chantons des cantiques actuels et même chez les tradis, les plus anciens cantiques (sauf les Noëls qui ont souvent des traditions antiques ) sont du XIX° ou début XXème ! On chante assez
facilement des cantiques contemporains (Gélineau -jésuite qui a surtout composé pour Taizé !-, Emmanuel…) dans la plupart des communautés Forme Extraordinaire… le Chant “Ame du Christ” de
Gélineau est désormais incontourable (certes les paroles sont de St Ignace !)
Tout ça pour dire qu’il y a le missel et ses rubriques d’un côté et son application concrète (ou sa violation pratique !) au quotidien… alors de quoi parle-t-on ? La messe est effectivement un
moment central de la vie de l’Eglise en lien avec la pastorale. Et le prêtre a raison de souligner que la messe a subi beaucoup de transformations lors de la contre-réforme : il fallait affirmer
mieux la présence réelle et mettre en avant le culte du Saint Sacrement : d’où le tabernacle sur l’autel, à la place centrale par exemple. En même temps, le contenu du missel reste très semblable
à la codification du XIIIème siècle… On a sans doute insisté sur l’offertoire pour souligner que le pain et le vin ont vocation à subir la transsubstanciation et oublier les aspects trop
matériels des offrandes… Ensuite, on a simplifié les préfaces car il y en avait des dizaines, presque pour chaque jour de l’année ! En réalité, la messe dans les premiers temps de l’Eglise
ressemble à la veillée pascale et au Vendredi Saint : une prière de pénitence pour commencer, puis de nombreuses lectures de la bible et des évangiles, entrecoupées d’hymnes, puis de
longues prières et oraisons pour les vivants : les oraisons solennelles… puis la prière eucharistique proprement dite qui commence par la préface, se poursuit par le sanctus et en arrive à la
partie centrale appelée maintenant le canon… Ensuite le rite de communion.
Cela ressemble terriblement d’ailleurs à la liturgie de Saint Jean Chrysostome ! la seule différence, c’est qu’il y a beaucoup plus d’invocations et de supplications au Christ et à la Sainte
Trinité…
On retrouve finalement tout cela en résumé dans le nouveau missel avec parfois 3 lectures (ce qui était exceptionnel dans le missel de Saint Pie V : pour les 4 temps, par exemple)…
Donc à mon sens, le développement organique, ce n’est pas l’acroissement du missel, c’est sa correspondance profonde avec les nécessités pastorales actuelles à la fois dans l’essence du rite (qui
n’est pas substanciellement différente entre Saint Pie V et Paul VI) et dans l’enrichissement des festivités liturgiques : création de nouvelles fêtes comme récemment le dimanche de la
Miséricorde ou de l’adaption à la culture du moment (cantiques). Ainsi, le missel peut être simplifié (restant sauve son essence), et des enrichissements liturgiques apportés (fêtes, hymnes,
préfaces…) ou encore des modifications régulièrement apportées : Léon XIII est un bon exemple avec les prières à la fin de la messe, ou le second confiteor des fidèles..
Après, le vrai problème, c’est ce qu’en font les prêtres et les équipes pastorales !!! Mais cela est vrai avec le missel de St Pie V : mon curé a voulu célébrer lui-même la messe du Motu Proprio
: ce fut terrible : rubriques omises, credo au banc et sans agenouillement, pas de retournements aux Dominus vobiscum, écorchement du latin, ajout de mots de bienvenue, d’envoi, etc… un
massacre épouvantable…
Le problème a toujours été le même dans l’Eglise : manque d’humilité, de soumission à l’Eglise dans le respect des rubriques… Ainsi, en France ça a toujours été le souk ! Saint Vincent de Paul
disait qu’il ne reconnaissait rien des messes célébrées à St Sulpice… Ensuite, les jansénistes célébraient comme ils voulaient et de façon étonnament proche des modernistes d’ailleurs !! Puis
missel gallican jusqu’au XIX ! la réforme est venue de Dom Guéranger : et le missel de St Pie V n’a été adopté qu’en 1873 dans le dernier diocèse récalcitrant !!!
Alors pourquoi s’étonner qu’à l’époque de l’individualisme triomphant, où chacun a un avis sur tout, se permet de critiquer tout ce qui ne va pas dans son sens, les prêtres fonctionnent avec le
même orgueil et imposent leurs bricolages liturgiques avec l’aide ou parfois le zèle dévorant d’équipes liturgiques qui ne connaissent rien au sacré… Bref, il y a l’Eglise et puis la façon dont
les hommes la défigurent… »