comprendre moi-même. Quelles sont les conditions (d’une manière générale) qui permettent de qualifier un changement en matière liturgique – il y en a eu dans l’histoire – de « développement
organique » ? Les arguments des laïcs sont les bienvenus. Ceux des prêtres et des liturgistes aussi. Ils sont bien silencieux. Est-ce parce que nous sommes dans un domaine peu exploré finalement
? Pour les autres pièces du débat voir ICI, LÀ LÀ et LÀ.
Nouvelle contribution d’Antoine
« Cher Henri, il me semble que nous avons déjà échangé sur le Blog de l’Abbé de Tanouärn et je vous remercie de vos propos toujours mesurés qui permettent de faire avancer le débat. En réalité,
ce que j’ai voulu dire, c’est que je concède que la forme ordinaire de la messe est une forme appauvrie de la forme extra, en revanche je nie que ce soit une rupture totale et que cette rupture
ait été occasionnée par le dernier concile.
C’est un sujet d’une grande complexité et la difficulté, c’est qu’il fait souvent l’objet d’une approche simpliste… Ainsi, le Bref examen critique soi-disant des Cardinaux Ottaviani et Bacci, a
causé un tort considérable en abordant cete question sous un angle purement dogmatique et en faisant fi de la question liturgique en elle-même… Il faut dire que son rédacteur (le Père Guérard
des Lauriers) n’était certainement pas un liturgiste ! En plus il a célébré toute sa vie selon le rite dominicain… Partant de l’adage “Lex orandi, lex credendi”, il a cru pouvoir induire des
modifications qu’elles impliquaient un amoindrissement de la foi et du dogme quitte à faire des contre-sens liturgiques absolus ! Un exemple, celui de l’anamnèse “Prêtre : il est grand le mystère
de la foi ; Foule : Nous proclamons ta mort, Seigneur Jésus, nous célébrons ta résurrection, nous attendons ta venue dans la gloire”. Pour le BEC, cette formule manifeste l’absence de foi
dans la présence réelle puisque, au moment où le Christ est présent sur l’autel, au lieu de l’adorer, on attent sa venue comme s’Il n’était pas présent… C’est super-capillotracté comme analyse
et cela fait totalement fi de la réalité liturgique voire dogmatique d’ailleurs ! L’Eglise ne vit que pour un seul évènement, c’est l’avènement dernier du Christ : toute la vie du Chrétien est
tendue vers cet objectif : être prêt car nous ne savons ni le jour ni l’heure. Le développement de l’année liturgique part de la préparation à la naissance du Christ pour arriver à la Parousie
lors du dernier dimanche de la Pentecôte ou du dernier dimanche du Temps ordinaire. Bref, l’Eglise attend le retour et la liturgie a une dimension eschatologique incontournable puisque la messe
actualise le Sacrifice dans l’attente du Retour. Les grands Saints avaient souvent des formules personnelles au moment de l’élévation qui contenaient des allusions au retour glorieux et je pense
en particulier à St Alphonse de Liguori qui disait “Mon Dieu, je vous adore présent sur l’autel et j’attends votre venue dans la gloire”… On ne peut pas dire que St Alphonse ne croyait pas à la
présence réelle ! Et puis, c’est oublier complètement le canon romain et le contenu de la prière “Unde et memores” qui suit immédiatement la consécration et qui est pourtant une prière d’anamnèse
(au sens étymologique du terme : mémoire). Bref, le BEC envisage une rupture dogmatique là où il n’y en a pas et, au passage, obscurcit voire nie la réalité eschatologique de la messe… Et c’est
sur la base de ce document erroné que l’on a bâti la seule argumentation contre la nouvelle messe pendant des années ! (et le reste est à l’avenant)
Alors Lex orandi, lex credendi… oui, mais faut-il déduire des faiblesses de la nouvelle messe qu’elles ont entraîné l’amoindrissement du dogme ? Dans la pratique, bien malin celui qui pourra
préciser si la crise de la liturgie a entraîné une crise de la foi ou si c’est l’inverse !! La réalité, c’est que les deux vont de paire et que les prêtres mal formés qui ne croyaient plus en
Dieu ni diable ont célébré une liturgie qui traduisait leur absence de conviction et auraient fait de même avec la forme extraordinaire ! Car lorsque vous dites que la forme extra ne permet pas
ce genre de liberté, cher Henri, vous rêvez, je crains ! Si on a décidé de les intégrer, on le fait et c’est ce qui s’est passé ! Et pas seulement au XXème siècle ! Imaginer comme K. Wolfe dans
le NYT que le 1er dimanche de l’avent 1970, les choses ont changé du jour au lendemain, c’est faire preuve de la plus totale ignorance ! Dans certaines paroisses sûrement, mais pas dans la
plupart où les nouveautés étaient en place depuis bien longtemps, je l’ai montré… Et ce n’est pas le nouveau missel qui a supprimé les sacramentaux, ni les chapelets, ni les saluts du Saint
Sacrement : ce sont toujours ces prêtres sans foi ni loi… Que la nouvelle liturgie les ait aidé, malheureusement, je ne le crois pas ! Elle leur a peut-être enlevé leurs scrupules, mais
visiblement ils n’en avaient pas… En revanche, elle a certainement aidé les évêques pour faire plier les récalcitrants… Oui, certainement, et elle a sûrement aussi ce défaut là d’avoir
facilité la tâche des destructeurs… En revanche, on voit un abbé Michel à Thiberville, faire beaucoup de bien avec le missel actuel : mais il l’applique strictement, et conserve toute les
manifestations de piété populaire que ce missel n’interdit pas, bien au contraire. En fait, il a la foi catholique, et sa liturgie le démontre et entraîne l’adhésion, c’est tout…
Ensuite, imaginer que pendant des siècles, on a célébré le missel de Saint Pie V comme le fait Wolfe, c’est encore faire de l’histoire liturgique de quai de gare ! Je répète qu’en France le
dernier diocèse à avoir accepté le missel romain a été celui d’Orléans et qu’il l’a fait en 1875 ! (j’avais dit 1873, mais j’ai vérifié depuis) Lyon est revenu au missel lyonnais en 1866 et
ainsi, je crains que le Saint Curé d’Ars n’ait jamais célébré le missel de St Pie V : il célébrait avant 1866 et donc selon le missel gallican de Mgr de Vintimille de 1738, qui était la base en
France avec des variantes locales… Ce fut l’oeuvre de la vie de Dom Guéranger que de travailler à la mise en place de la liturgie romaine avec des batailles homériques dont rend compte la
presse catholique de l’époque et notamment l’Univers de Veuillot qui prit fait et cause pour Dom Guéranger et l’ultramontanisme sous tous ses aspects, notamment liturgique. Donc le missel de St
Pie V n’a été la norme en France que pendant moins d’un siècle… et encore avec des adaptations locales car de nombreuses habitudes gallicanes ont persisté…
Il faut aussi étudier la Liturgie d’Asnières initiée par les jansénistes au début du XVIIIème siècle pour comprendre que le “mal liturgique” est profondément enraciné en particulier en France
mais aussi en Hollande ou en Allemagne… Ainsi, les jansénistes avec les prêtres Jubé ou Petitpied, ont mis en place des réformes qui ressemblaient étrangement aux pires cérémonies modernistes
et avec les mêmes hérésies sur la présence réelle, (proches du luthérianisme en réalité : présence réelle seulement liée à la messe), la place des fidèles, le dépouillement des églises, etc… Ce
qui est nouveau, c’est que les crises avaient été externalisées jusque là par les condamnations des hérétiques…
Donc oui, nous sommes encore au coeur d’une profonde crise liturgique qui n’est, je pense, que la tradution d’une profonde crise de la doctrine (ou plutôt de sa transmission) et cela saute aux
yeux depuis qu’internet permet d’avoir accès en direct aux enseignements du Pape. D’autant plus que l’actuel attaque directement les erreurs, alors que son prédécesseur donnait l’impression de
vouloir les redresser en les contournant d’une façon qui nous semblait un peu iréniste… Sans doute que la forme ordinaire du rite est trop ordinaire pour répondre à une situation
exceptionnelle… mais je crois que c’est plutôt la doctrine qu’il faut remettre à l’honneur, car elle a été tellement attaquée par la philosophie moderne qu’elle a du mal à être explicitée
désormais… Et puis il faut connaître l’Histoire, pour ne pas reproduire les erreurs du passé et surtout ne pas apporter de fausses solutions alors qu’elles ont en réalité déjà été expérimentées
et n’ont apporté aucune amélioration !
Enfin, je crois que si l’on prend réellement conscience que la liturgie de l’Eglise est, comme l’a rappelé Benoît XVI, une liturgie cosmique, c’est à dire que c’est celle que les anges célèbrent
dans le ciel devant le Trône de l’Agneau, alors on réalise que, quelque soit la forme ordinaire ou extraordinaire, ce ne sont pas les rubriques qui comptent (même si il les faut pour traduire
humainement l’adhésion de l’esprit) mais bien la façon dont nos esprits et nos âmes traduisent nos convictions profondes et notre communion avec le ciel. Si nous sommes persuadés de cela, alors
nos liturgies le traduiront et les assistants pourront dire à la sortie, dès lors qu’ils auront vu une cérémonie belle, digne et élevant l’âme vers Dieu : “c’était beau, je me croyais au
Ciel”…
PS : pour ne pas sembler totalement iréniste à mon tour, je tiens à préciser que je n’assiste qu’à la forme extraordinaire du rite romain… »