Il arrive qu’un traditionaliste attentif puisse trouver même dans Le Monde ou en regardant la chaîne Arte des petits joyaux. C’est rare. C’est
même très rare puisqu’on est plutôt accoutumé à y trouver des gravats stériles… Les traditionalistes américains eux ne sont toujours pas revenus d’avoir pu lire dans les colonnes du
New York Times – qui ne passe pourtant pas pour être un quotidien philo-catholique… – en date du 29 novembre, une curieuse contribution destinée à “célébrer”, à sa manière, les 40 ans
du Novus Ordo Missæ ! Son auteur se nomme Kenneth Wolfe, un jeune célibataire américain travaillant pour le gouvernement fédéral à Washington D.C., mais pratiquant régulier à
l’église St. Mary de Washington où un prêtre diocésain célèbre la Messe traditionnelle. Il est aussi un collaborateur régulier de Remnant (traditionaliste) mais aussi du
Wanderer ou du Seattle Catholic (orthodoxes mais non tradis). Depuis environ 6 ans, il collabore au New York Times, tâchant de décrypter pour ce quotidien ce qui
vient du Vatican, mais sans avoir jamais pu faire passer une ligne d’article… La tribune libre de Wolfe a créé beaucoup de brouhaha aux États-Unis et a même fait s’étrangler de rage les
utlra-progressistes de Commonwheal ! À noter que c’est le New York Times qui a demandé à Wolfe “d’étoffer” un peu ce qu’il écrivait sur Bugnini. Un document en quelque sorte
“historique” que je suis heureux de pouvoir offrir en exclusivité – pour la version française [merci à J. P. et à G. L.] – aux lecteurs de ce blogue…
« En entrant à l’église en ce premier dimanche d’Avent, voici 40 ans, de nombreux catholiques romains ont dû se demander où ils se trouvaient. Non seulement
le prêtre parlait anglais et pas latin, mais, de plus, il faisait face à l’assemblée plutôt qu’au tabernacle ; des laïcs accomplissaient des tâches jusqu’ici réservées aux prêtres ; et l’air
résonnait de musique folk. Les grands changements de Vatican II étaient arrivés.
Tout cela représentait une rupture radicale avec la messe traditionnelle en latin codifiée au XVIe siècle lors du Concile de Trente. Depuis des siècles, cette
messe faisait office de sacrifice structuré par des directives, appelées “rubriques”, qui n’avaient rien d’optionnel. Voici comment il faut procéder, précisait le livre. Dès 1947, le Pape Pie
XII avait publié une encyclique sur la liturgie [Mediator Dei] qui écartait toute modernisation. Il disait d’ailleurs que l’idée de changer la messe traditionnelle le “peinait
gravement”.
Paradoxalement cependant, c’est Pie XII qui est en grande partie responsable des bouleversements de 1969. C’est en effet lui qui, en 1948, nomma à la commission
liturgique du Vatican celui qui allait devenir l’architecte en chef de la nouvelle messe : Annibale Bugnini.
Né en 1912, Bugnini fut ordonné prêtre lazariste en 1936. Bien que Bugnini n’ait eu qu’une petite dizaine d’années d’expérience paroissiale, Pie XII le nomma
secrétaire de la Commission pour la réforme liturgique. Dans les années 50, Bugnini fut chargé d’une révision importante des offices de la Semaine Sainte. Les effets s’en firent sentir le
Vendredi Saint de 1955 quand, pour la première fois, les fidèles s’unirent au prêtre pour réciter le Notre Père et le prêtre se tourna vers l’assemblée pendant une partie de la liturgie.
Le Pape suivant, Jean XXIII, nomma Bugnini secrétaire de la Commission préparatoire pour la Liturgie du Concile Vatican II. À ce titre, il travailla sur les
réformes liturgiques avec des membres du clergé catholique mais aussi, de façon surprenante, avec des pasteurs protestants. En 1962, il rédigea ce qui deviendra finalement la Constitution sur
la Sainte Liturgie, le document qui a donné forme à la nouvelle messe.
Bien des réformes de Bugnini visaient à apaiser les non-catholiques et des changements inspirés des célébrations protestantes furent entrepris, notamment le
déplacement des autels face au peuple plutôt que pour un sacrifice tourné vers l’orient liturgique. Comme il le dit : “Nous devons éliminer (…) de notre liturgie catholique tout ce qui peut
être l’ombre d’une pierre d’achoppement pour nos frères séparés, c’est-à-dire pour les protestants.” (Paradoxalement, les Anglicans qui vont rejoindre l’Église catholique suite à la main tendue
du Pape actuel, utilisent une liturgie où le prêtre et l’assemblée sont souvent tournés dans la même direction.)
Comment Bugnini a-t-il pu introduire d’aussi radicales modifications ? En partie parce qu’aucun des papes qu’il a servi n’était liturgiste. Bugnini a changé tant
de choses que le successeur de Jean XXIII, Paul VI, n’était parfois pas au courant des dernières directives. Un jour, alors que le Pape interpellait ses équipes en leur signalant que les
ornements préparés par leurs soins étaient de la mauvaise couleur liturgique, il s’entendit répondre que comme il avait supprimé l’octave de Pentecôte, il ne pouvait plus porter les ornements
rouges pour la messe. Le cérémoniaire pontifical témoigna avoir alors vu Paul VI fondre en larmes.
Bugnini entra en disgrâce dans les années 70. Des rumeurs alléguant de son appartenance à la franc-maçonnerie apparurent dans la presse italienne, ce qui pouvait
lui valoir l’excommunication. Le Vatican ne démentit pas, mais envoya Bugnini, devenu entre-temps archevêque, occuper une fonction honorifique en Iran. Il mourut dans l’oubli en
1982.
Mais son héritage lui a survécu. Le Pape Jean-Paul II continua à libéraliser la célébration de la messe ; autorisant les jeunes filles à servir la messe et les
laïcs non consacrés, hommes comme femmes, à distribuer la communion dans la main des fidèles se tenant debout devant eux. Même des organisations conservatrices comme l’Opus Dei adoptèrent ces
réformes liturgiques progressistes.
Cependant Bugnini semble enfin avoir un adversaire à sa mesure en la personne de Benoît XVI, lui-même liturgiste reconnu et guère
admirateur des bouleversements des 40 dernières années. Officiant en latin, portant des ornements traditionnels et distribuant la communion sur la langue de fidèles agenouillés (plutôt que dans
les mains), Benoît XVI a entrepris de revenir progressivement sur les innovations de ses prédécesseurs. Et la messe traditionnelle est de retour, au moins sur une base limitée, comme c’est le
cas à Arlington (Virginie) où une paroisse sur cinq offre l’ancienne liturgie.
Benoît XVI a compris que ses jeunes prêtres et séminaristes – pour la plupart nés après Vatican II – étaient de précieux auxiliaires pour une contre-révolution.
Ils apprécient la beauté de la messe solennelle, ses chants, son encens et son cérémonial. Prêtres en soutane et religieuses en habit ne sont plus rares ; les sociétés traditionalistes comme
l’Institut du Christ-Roi sont en plein essor.
Au début de cette décennie, celui qui n’était encore que le cardinal Ratzinger écrivait : “La position du prêtre tourné vers le peuple a fait de l’assemblée
priante une communauté refermée sur elle-même dans sa forme extérieure. Celle-ci n’est plus ouverte ni vers le monde à venir, ni vers le ciel ; elle est plutôt dans une logique de fermeture.”
Il avait raison : 40 années de nouvelle messe ont introduit le chaos et la banalité dans le plus visible des signes extérieurs de l’Église. Benoît XVI veut un retour à l’ordre et au sens. Un
souhait partagé, semble-t-il, par la nouvelle génération de catholiques. »