Pendant des années, l’hebdomadaire Famille chrétienne a évité de parler du problème traditionaliste. Peu d’articles de fond sur le sujet, juste
quelques brèves, sauf quand l’événement s’imposait véritablement, comme en 1988, par exemple. On disait que la proximité familiale du directeur de la rédaction avec les « tradis, tendance
Saint-Pie X », ne favorisait pas les choses. Le futur Mgr Le Gall, alors qu’il était encore père abbé bénédictin avait écrit une série, véritable plaidoyer en faveur de la nouvelle liturgie
pendant qu’Aline Lizotte, sortant de son rôle de philosophe pour s’élèver au rang de liturgiste avait méchamment attaqué un petit ouvrage sur la messe édité par l’abbaye de Fontgombault. Un
article commandité, disait-on alors (mais rien n’a été prouvé) par l’abbaye Saint-Pierre de Solesmes.
Aujourd’hui, les choses changent. Gérard Leclerc, auquel l’hebdo fait appel dès qu’il faut parler de choses qui dépassent l’ordre du témoignage, publie dans le
dernier numéro un long article sur « les cinq principales causes » de la division avec la Fraternité Saint-Pie X. Gérard Leclerc lui aussi a
senti le vent tourner. Il sait qu’à Rome on s’intéresse de près à la question traditionnelle, que le motu proprio a bousculé la donne et… que la mainmise autoritaire du cardinal Lustiger, auquel
il fallait complaire, n’est plus là. En février dernier, il a réalisé un entretien avec Mgr Fellay, qui fut publié par Famille Chrétienne. Mais,
auparavant, Gérard Leclerc se rendait déjà fréquemment aux dîners organisés à Saint Nicolas du Chardonnet pour la presse.
Même s’il reproche au mouvement traditionaliste de ne pas avoir accepté au nom d’un thomisme dépassé les bienfaits de la nouvelle théologie lubacienne (par
exemple), cela n’enlève rien à la proximité intellectuelle de Gérard Leclerc avec quelques traditionalistes, l’abbé de Tanoüarn par exemple.
Dans le dernier numéro de Famille Chrétienne, il s’attache donc à expliquer à un public peu averti les thèmes qui
dérangent. Ils sont au nombre de cinq :
1°) La liberté religieuse
Pour Gérard Leclerc, il s’agit d’un vrai problème dont il pense donner la solution. « Accepter le régime juridique commun ne signifie pas du tout pour
l’Église catholique renoncer à sa mission ». Si l’exposé du problème est juste, l’écrivain n’apporte aucun argument véritable à sa solution. Il y a
seulement une pétition de principe pour répondre à un problème qualifié d’important…
2°)La crise post-concilaire.
Ce thème, ainsi formulé, n’appartient pas au sujet retenu pour le dialogue entre Rome et Écône. Mais il appartient au livre de Gérard Leclerc… Mais là encore ce
sujet, qui relève des historiens et non des théologiens, entraîne une pétition de principe : « L’Église n’est pas responsable d’une crise de civilisation qui s’est produite en
dehors d’elle ». Gérard Leclerc est-il historien pour l’affirmer aussi catégoriquement ? Et s’il l’est, où sont ses preuves ? On notera au
passage que l’on passe dans son article, de « la crise post-conciliaire », proprement ecclésiale, à la crise de civilisation, qui
l’inclut mais la dépasse. Mais pour Gérard Leclerc, le concile a permis d’éviter les conséquences de cette crise de civilisation : « s’il n’avait eu lieu, les conséquences
eussent été bien pires ». On veut bien le croire, mais pourquoi n’y a-t-il aucune preuve, aucun fait, pour soutenir ce qui n’est pas une
argumentation, mais une déclaration de principe. La seule trace d’argumentation repose sur un argument d’autorité, qui peut impressionner les lecteurs de Famille
chrétienne, mais qui n’est quand même pas bien sérieux : « pour Lubac, l’apostasie qu’il dénonce constitue une trahison manifeste de
Vatican II. Il est absurde d’imputer au Concile des idées qui lui sont étrangères et proviennent des théories que ce théologien dénonce comme pernicieuses ». J’ai beaucoup de respect pour Lubac, mais il appartient au problème. On ne peut donc l’appeler à la barre comme s’il était l’autorité infaillible. Sa pensée est à prendre
en compte, mais Gérard Leclerc ne lui rend pas service en la réduisant à une telle utilisation. On imagine au Saint-Office, les membres de la Commission romaine déclarer en substance : il
n’y a pas de crise et de toute façon celle-ci n’est pas due au concile parce que Lubac l’a dit…
3°) Le dialogue interreligieux, avec une référence à Assise.
Pour Gérard Leclerc, on ne peut pas accuser Jean-Paul II d’être tombé dans le relativisme tout simplement parce que sa foi, sa piété, son orthodoxie étaient
impeccables : « un tel grief était proprement absurde, insensé ». On le voit l’argument n’existe pas. L’intellectuel catholique ne fait
appel qu’à un subjectivisme de bas étage, teinté d’une sensiblerie surnaturaliste.
4°) La réforme liturgique.
Elle a été mal appliquée, mais Jean-Paul II et Benoît XVI, sensibles aux plaintes émises, ont rendu possible la célébration de la messe de saint Pie V.
Sauf que Benoît XVI est allé plus loin. Il a rappelé que cette messe n’avait jamais été abrogée et que sa célébration est un droit, et non une faveur faite à des groupes traditionalistes. La
messe traditionnelle est redevenue le bien commun de l’Église. Et le problème soulevé par la Fraternité Saint-Pie X concernant la réforme liturgique dépasse le cadre d’une réforme mal appliquée
ou d’une messe à nouveau autorisée. Elle est d’ordre théologique, avec des questions précises concernant, pour aller vite, la doctrine de la nouvelle liturgie.
5°) La nouvelle théologie.
Selon Gérard Leclerc, Mgr Lefebvre n’a pas compris le concile Vatican II parce qu’il n’avait pas été formé dans le cadre de la nouvelle théologie, renouveau de la
pensée chrétienne. Mais n’est-ce pas inverser le problème ? Mgr Lefebvre ne reproche-t-il pas justement au concile d’être influencé par la nouvelle théologie ? La nouvelle théologie
appartient donc à la problématique soulevée par la Fraternité Saint-Pie X et Gérard Leclerc y voit la clef d’explication d’une incompréhension du concile par l’évêque d’Écône. N’y aurait-il
pas mieux fallu expliquer les reproches contre la nouvelle théologie et chercher à y répondre pour montrer où se situer précisément l’un des nœuds qui sépare Rome et Écône ?