Dans Valeurs actuelles, l’évêque de Fréjus rappelle l’enseignement de l’Eglise sur la franc-maçonnerie, chose devenue rare, puis indique :
Je crois que la franc-maçonnerie interpelle l’Église sur quatre points. D’abord, la nécessité de créer des laboratoires de réflexion, de mettre en place une pastorale de l’intelligence. Deuxième chose, la ritualisation : la désacralisation qu’on a pu constater dans tel ou tel lieu ecclésial, telle ou telle communauté, fait qu’on a cherché des symboliques ailleurs, puisé dans d’autres réserves symboliques. La troisième chose est la fraternité : l’expérience d’une communion entre des personnes, pas simplement dans l’ordre de l’expérience spirituelle, intime, mais d’une réflexion portée et partagée entre tous. J’ajouterai la formation d’une élite : il faut se déprendre de l’élitisme initiatique des loges, qui sont souvent aussi des réseaux d’influence, mais on a besoin de nos jours de former une élite vraiment chrétienne, de personnes qui font une authentique expérience du Christ et qui mettent leur talent, leurs compétences et leurs réseaux au service d’un message qui se veut universel, où le petit et le pauvre ont une place centrale.
La dernière prise de position émanant du Vatican sur cette question date de 1983. N’avait-elle pas été rendue nécessaire par un certain flottement après le Concile, où certains avaient pu avoir le sentiment que l’Église renonçait à l’idée d’une vérité unique, ce qui pouvait entraîner une convergence avec la maçonnerie ?
Oui, il y a eu effectivement une théologie du monde qui est née sous l’inspiration du Concile, une volonté de rencontrer le monde à partir de ses aspirations profondes, dans lesquelles on pouvait discerner l’oeuvre de l’Esprit. Théologie qui est, semble-t-il, juste, dans le sens où le monde garde la trace des « semences du Verbe », pour reprendre l’expression des pères du Concile. Mais il faut être en même temps attentif – et c’est là je pense que certains ont interprété de manière inadéquate le Concile – à ne pas oublier que le monde est traversé aussi par l’esprit du mal. À vouloir rejoindre le monde, on s’est parfois rendu au monde, au sens d’une reddition. Des dialogues se sont donc engagés avec la franc-maçonnerie, et un certain nombre de choses pouvaient être positives dans cette recherche à la fois fraternelle et intellectuelle, mais sans prendre en compte suffisamment l’incompatibilité entre la foi chrétienne et l’essence même de la franc-maçonnerie.
Le rapprochement des années 1970, au moment même où certaines loges travaillaient à faire adopter la législation sur l’IVG, ne traduisait-il pas une forme de naïveté de certains catholiques ?
Oui, c’est sûr. Il y a eu en France, sur les questions qui touchent à l’éthique de la vie, une insuffisante réflexion et prise de position de l’Église, qui s’est beaucoup engagée sur la dimension sociale. Aux États-Unis et ailleurs, il y a eu sur ces questions-là une plus grande pertinence et aussi un courage de se distancier d’un certain nombre de législations qui commençaient à être mises en oeuvre, en soulignant les transgressions anthropologiques qu’elles entraînaient. On l’a beaucoup moins fait en France. Mais c’est vrai que, sur les lois de bioéthique et sur un certain nombre de lois qui touchent au sens de la sexualité, un certain nombre de loges ont fait un travail de sape consciencieux et déterminé.