A l’occasion de la béatification de Jean-Paul II, Jean Sévillia publie un article intéressant sur la France et sur le rôle de nos épiscopes dans la déchristianisation. Extraits :
Le Bourget, dimanche 1er juin 1980. Il a plu toute la nuit, il pleut encore, et la température est celle d’un mois d’octobre. C’est dans un morne champ de boue que pataugent les fidèles qui assistent à la messe solennelle célébrée par Jean-Paul II, dont c’est la première visite en France. La précédente venue d’un souverain po.tife dans le pays date du sacre de Napoléon… La foule, toutefois, est relativement clairsemée: 350.000 personnes, alors que les organisateurs en espéraient 1 million. Ce chiffre, même en tenant compte des 50.000 jeunes qui se réuniront le soir au Parc des Princes, traduit une faible mobilisation. Et pour cause: une partie de l’épiscopat et du clergé français a sciemment boudé la messe du Bourget, décourageant leurs ouailles de s’y rendre. Pour quelles raisons? […]
La période de l’après-Concile, en effet, a vu souffler un vent révolutionnaire sur l’Eglise de France. En 1968, était fondé Echanges et dialogue, association de prêtres partisans pour eux du travail salarié et du mariage. En 1970, Marc Oraison, prêtre et médecin, prêchait une vie sexuelle au goût du jour, tandis que le père Cardonnel, un dominicain, déposait au procès de La Cause du peuple, journal maoïste interdit. En 1972, un document de la commission épiscopale du monde ouvrier, composée de 14 évêques, vantait «la société socialiste, la société solidaire». En 1974, au congrès de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), Georges Marchais, secrétaire général du PCF, était accueilli par 35.000 jeunes entonnant L’Internationale, scène se déroulant en présence de 44 évêques, dont Mgr Marty, cardinal-archevêque de Paris, auteur, en mai 68, d’une inénarrable formule: «Dieu n’est pas conservateur.» En 1979, une enquête a montré que la majorité des évêques de France est favorable à une collaboration avec le Parti communiste, 66 % d’entre eux acceptant le bien-fondé des analyses marxistes. […]
A la veille de la messe du Bourget, on a infligé au pape, à Saint-Denis, une cérémonie organisée par la JOC. Avec une assistance qui chantait au son des guitares : «Peuple affamé de justice, toi le peuple opprimé, debout, lève-toi, il faut crier ta faim.» Dans un grand sourire, Jean-Paul II a rappelé que, pour l’Eglise, la vraie libération se trouve en Jésus-Christ… Alors, ce 1er juin 1980, au Bourget, celui que l’on surnomme déjà « l’athlète de Dieu » apostrophe la foule détrempée et transie d’une formule qui a tout d’un blâme pour les évêques présents, mais qui va créer un électrochoc: «France, fille aînée de l’Eglise, es-tu fidèle aux promesses de ton baptême?»
Sept mois plus tard, Jean-Marie Lustiger, évêque d’Orléans, est nommé archevêque de Paris. Cette personnalité puissante va devenir le phare, sur le plan doctrinal comme sur le plan pratique, de la politique papale : relance de la pastorale autour des paroisses et des familles, recentrage sur l’Evangile, redressement de la théologie, formation d’un nouveau clergé, marginalisation des extrêmes. La contestation interne ne désarmera jamais (on le verra rapidement à propos des critiques exprimées par le Vatican sur les catéchismes alors en usage en France, ou à propos de la condamnation de la théologie de la libération, deux affaires au cours desquelles le cardinal Ratzinger servira de paratonnerre pontifical), mais les foules catholiques, réveillées, suivront désormais Jean-Paul II.
Au début de l’aventure des JMJ, il fallait se débrouiller, via des associations, via le scoutisme, pour s’y rendre, l’Eglise officielle en France n’organisant rien de particulier. Aujourd’hui, il n’y a plus un seul diocèse de France qui n’organise pas un car de jeunes pour se rendre aux JMJ.