Dans sa lettre 277, Paix Liturgique se penche sur le cas Mgr Nourrichard :
Nous n’évoquerons pas ici les décisions rocambolesques de l’évêque d’Évreux, qui font que même ses amis doutent, comment dire, de son bon sens : le pauvre homme a annoncé rien moins que l’excommunication du curé et des paroissiens, puis a déclaré que le malheureux curé avait de lui-même cessé – latae sententiae ! – d’être en communion avec lui… parce qu’il continuait à loger dans son presbytère. Mais en dehors de ces gesticulations épiscopales, dignes d’être « montées » au petit théâtre du jardin du Luxembourg, ce qui intéresse au premier chef Paix liturgique, c’est le résultat pastoral concret de toute cette affaire. Or, un mois après le retrait du curé Francis Michel dans son presbytère et l’arrivée de la nouvelle équipe imposée par Monseigneur Nourrichard, c’est un vrai désastre.
Thiberville avant, c’était 14 clochers desservis par l’abbé Michel formant l’ensemble catholique le plus vivant et le plus missionnaire – le seul encore vivant – du diocèse d’Évreux : église de Thiberville comble à craquer aux trois messes du dimanche, la desserte « tournante » des autres églises, les gros bataillons d’enfants des catéchismes, la participation active des fidèles, la foule d’enfants de chœur, les confréries, toutes les églises du canton magnifiquement restaurées, les messes de semaine très suivies, les enterrements célébrés par le curé lui-même, etc. Bref, un des derniers lieux de province où la communion de tous les catholiques était vécue de manière exemplaire, modèle d’application de la volonté du Pape, avec les messes « ordinaires » les plus pieuses qui soient, et la messe « extraordinaire » s’insérant au milieu de la manière la plus naturelle. On reviendra sur ce point.
Thiberville après, c’est une messe dominicale lugubre qui ne rassemble plus qu’une trentaine de personnes (une dizaine de vrais paroissiens et une vingtaine constituant la garde rapprochée du nouveau curé, l’abbé Jean Vivien, et amenée par lui de Bernay. Les messes en semaine ? Supprimées. Les enfants du catéchisme ? Il en reste au maximum une vingtaine. Bref, Thiberville est rentrée dans le lot commun des paroisses de France, 40 ans après la réforme liturgique : « l’automne de l’Église ».
[…] moins d’un mois après le départ du curé si populaire (l’abbé Francis Michel), Monseigneur Nourrichard a fait supprimer la seule messe traditionnelle dominicale régulière de son diocèse. Saluons au moins la franchise de Monseigneur Nourrichard qui, lui, ne s’embarrasse pas de faux semblants et affiche au grand jour son opposition frontale au Motu Proprio de Benoît XVI.
Il faut préciser ce point et faire un petit retour en arrière : Jusqu’à son exil forcé, l’abbé Francis Michel, (ex)curé de Thiberville et des clochers voisins célébrait lui même chaque dimanche à 17 heures dans sa paroisse la messe traditionnelle, après les messes du matin célébrées selon la forme ordinaire. L’abbé Francis Michel avait d’ailleurs prophétiquement anticipé les mesures de bon sens promulguées par le Pape Benoit XVI dans sont le Motu Proprio et avait depuis longtemps commencé à faire coexister paisiblement les deux formes de l’unique rite romain favorisant ainsi leur enrichissement mutuel. […] Ainsi, l’abbé Francis Michel avait réussi à faire de sa paroisse un laboratoire de la coexistence pacifique des deux formes de l’unique rite romain. Il était, en somme, un curé « réforme de la réforme », « esprit Motu Proprio ».
Si nous revenons sur cette douloureuse affaire c’est parce que parmi d’autres aspects, elle est symptomatique de l’opposition épiscopale au Motu Proprio de Benoît XVI. L’évêque aura beau jeu de dire que la décision de supprimer la paroisse de Thiberville et de laisser le « jeune » abbé Michel (61 ans, soit 14 ans avant sa retraite, et sachant que le diocèse d’Évreux est aussi désert en prêtres que la grande majorité des diocèses de France) sans apostolat n’est pas motivée par des questions liturgiques, les faits sont là. Il n’aura pas fallu longtemps à Monseigneur Nourrichard et à ses hommes pour casser cette magnifique expérience du Motu Proprio dans le cadre d’une paisible paroisse de campagne. […]
Le cas de Thiberville illustre à merveille le fait que poser la question de l’application du Motu Proprio à travers celle de la demande des fidèles est au mieux une erreur de jugement, au pire une manipulation. En effet, nous sommes confrontés à un groupe stable d’une paroisse (100 à 150 personnes) qui assiste à une messe célébrée par leur curé dans leur paroisse depuis plus de 15 ans. Difficile de faire mieux en termes de « groupe stable »… Pourtant, l’évêque supprime cette paroisse, chasse le curé, nomme un remplaçant qui ne sait pas célébrer la liturgie traditionnelle : la messe traditionnelle est supprimée et les assistants découragés. Du coup, il n’y a plus de « groupe stable ». Cet évêque est vraiment épatant : il avait révoqué le curé en supprimant sa paroisse ; il supprime la messe traditionnelle en éliminant le groupe stable.
Le succès du texte de Benoît XVI ou son échec dans les paroisses dépend en réalité de la volonté de l’évêque de le suivre ou de lui faire opposition. La notion de groupe stable est une mauvaise excuse invoquée en permanence par les ennemis de la réconciliation et du Motu Proprio. Les enquêtes d’opinion réalisées depuis dix ans par Paix Liturgique auprès d’organismes professionnels et indépendants concordent tous dans le temps et l’espace : 1/3 des fidèles assisteraient à la messe traditionnelle si elle était célébrée dans leur propre paroisse. La paroisse de Thiberville en était une illustration parfaite. Si le Motu Proprio est si mal appliqué en France ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de demande ou de « groupes stables » mais bien parce que de nombreux évêques en empêchent concrètement l’application. Autant qu’à Thiberville, il y a un « groupe stable » de fidèles à Rambouillet, à Reims ou à Saintes pour ne citer que quelques exemples où la messe traditionnelle est célébrée tous les 36 du mois… mais il manque dans tous ces endroits un évêque qui permet l’application du Motu proprio de Benoît XVI.
La paroisse de Thiberville était la preuve vivante que l’intuition du Saint Père de faire coexister dans la même paroisse les deux formes de l’unique rite romain était une richesse pour l’Église. Elle était également la vérification concrète, au vu de tous, que les fidèles attachés à la liturgie traditionnelle de l’Église représentent une part importante des fidèles qui pratiquent leur foi dans leurs propres paroisses (1/3 selon les sondages Paix Liturgique), dès lors que leur curé permet la coexistence des deux formes du rite romain, dès lors qu’il est le prêtre de tous, dès lors qu’il le fait avec un bon esprit. La paroisse de Thiberville illustrait le fait que les fidèles attachés à la liturgie traditionnelle de l’Église ne se réduisent pas aux fidèles qui assistent aux messes de la FSSPX (la preuve : elle célèbre la messe traditionnelle tous les dimanches à Drucourt… village situé à 3 kms de Thiberville, ce qui n’empêchait pas l’abbé Michel d’avoir plus d’une centaine de fidèles à la messe traditionnelle qu’il célébrait le dimanche à 17 heures, pourtant horaire peu pratique). Il faut le dire franchement : la messe paroissiale de l’abbé Michel était bien plus dérangeante que la messe de la FSSPX ou qu’une messe qui pourrait être assurée par une communauté Ecclesia Dei. Parce que la messe de Thiberville était une messe paroissiale. Parce que la messe de Thiberville répondait à l’esprit et à la lettre du Motu Proprio Summorum Pontificum.
Delenda est… On comprend pourquoi, comme le vieux Caton, obsédé par la destruction de Carthage, l’évêque Nourrichard voulait que Thiberville soit détruite.